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On voyait sur l’écran Helge Brockhorst, du centre commun de veille opérationnelle de la fédération et des Länder de Bonn. Il répondait laconiquement : « Ce n’est pas aussi simple que ça. »

Mauvaise réponse, pensa Michelsen. « Si vous permettez, monsieur le ministre, s’immisça le secrétaire d’État Holger Rhess, monsieur Bädersdorf, qui est avec nous, peut sans doute vous expliquer cela rapidement. »

Bädersdorf, pensa Michelsen, comme par hasard. Des années durant, il avait travaillé pour l’Association fédérale de l’eau et du gaz avant que le lobby ne puisse directement l’installer au ministère.

« Imaginez-vous le réseau électrique comme la circulation sanguine d’un être humain, expliqua Bädersdorf. Avec une différence toutefois : il n’y a pas un, mais plusieurs cœurs. Il s’agit des centrales. Depuis celles-là, le courant est réparti dans tout le pays, comme le sang dans le corps. Il y a différentes conduites, de même qu’il y a différents vaisseaux sanguins. Les lignes à haute tension sont comparables à l’aorte ; on peut transporter de grandes quantités sur de longues distances. Il y a ensuite des lignes à tension plus basse qui continuent d’acheminer le courant jusqu’à ce que les réseaux régionaux le conduisent aux utilisateurs finaux, à l’instar des capillaires sanguins qui alimentent toutes les cellules en sang. »

Machinalement, il tapotait différentes parties de son corps, accompagnant d’un fond sonore ses explications. Ce n’était pas la première fois qu’il faisait cet exposé, et Michelsen convint malgré elle qu’il recourait à une analogie parlante.

« Il y a deux aspects capitaux. Le premier : pour conserver sa stabilité au réseau, la fréquence doit être constante. Comparons ça avec la pression sanguine chez l’homme. Si elle devient trop haute, ou trop basse, on tombe dans les pommes. C’est ce qui s’est passé avec le réseau électrique. Le second : il est presque impossible de stocker le courant. Raison pour laquelle il doit couler en permanence, comme le sang. C’est-à-dire qu’il doit être produit lorsqu’il est utilisé. En fonction des jours, il s’agit de quantités très variables. De la même manière que le cœur doit battre plus rapidement lorsqu’on pique un sprint, les centrales doivent fournir plus d’énergie aux heures de pointe. Ou alors il faut en mettre d’autres en service. »

Il regarda alentour, glana quelques regards approbateurs, seul le ministre de l’Intérieur plissait le front.

« Mais, comment cela peut-il se produire dans toute l’Europe ? Je croyais que le réseau allemand était sûr ?

— Fondamentalement, il l’est, répondit le représentant de l’association, ainsi que l’appelait intérieurement Michelsen. L’Allemagne a été l’un des derniers pays à ne plus être alimenté en courant, et l’un des premiers pays à rétablir le réseau. Mais le réseau allemand n’est pas une île isolée au milieu de l’Europe. »

Il tapota quelques touches d’un ordinateur, faisant apparaître sur le grand mur de projection une carte d’Europe traversée par des lignes de différentes couleurs formant un réseau.

« Voici une carte d’ensemble des réseaux d’électricité européens. Comme on peut le remarquer aisément, ils sont étroitement liés les uns aux autres. »

La carte se transforma en un graphique bleu où un réseau de lignes reliait entre eux les symboles de centrales électriques, de postes de transformation, d’usines et de maisons individuelles.

« Autrefois, il y avait des compagnies d’électricité qui produisaient le courant et le distribuaient. Le management de l’approvisionnement dans son ensemble était tenu par une seule main. En raison de la libéralisation du marché de l’électricité, cette structure s’est profondément transformée. Aujourd’hui, il y a d’une part des producteurs d’électricité… » Les centrales de l’illustration passèrent de bleu à rouge. « …d’autre part, il y a les gestionnaires de réseaux de transport ou de distribution. » Les lignes de liaison de l’illustration devinrent vertes. « De plus s’intercalent entre ces deux entités — dans le réseau apparut un symbole supplémentaire de bâtiment portant un symbole d’euro — des bourses de l’énergie. Les producteurs et les intermédiaires y négocient les prix de l’énergie. La distribution du courant repose de nos jours sur de nombreux acteurs qui, dans un cas comme le nôtre, doivent d’abord se coordonner. »

Michelsen se sentit le devoir de compléter la présentation : « Leur mission la plus importante n’est donc pas l’approvisionnement optimal des populations et de l’industrie en énergie, mais la réalisation de profits. Il s’agit donc de concilier les intérêts différents de chacun. Et en cas de crise, en quelques minutes.

— Nous ne savons pas encore ce qui a provoqué cette coupure. Mais vous pouvez être certains que tous poursuivent le même objectif. Par ailleurs, cette situation ne profite à personne.

— Pourquoi ne connaissez-vous pas la cause de la coupure ? demanda un fonctionnaire de la sécurité publique.

— Les systèmes sont bien trop complexes pour le savoir aussi rapidement.

— Dans combien de temps la situation sera-t-elle rétablie ? interrogea le secrétaire d’État.

— D’après nos informations, la plupart des régions auront de nouveau de l’électricité d’ici demain de bonne heure.

— Je ne veux pas être rabat-joie, remarqua Michelsen, mais nous parlons en ce moment de la presque totalité de l’Europe. Les entreprises n’ont aucune expérience d’une crise de cette envergure. » Elle essayait de maîtriser l’intonation de sa voix. « Je suis responsable ici de la gestion de crises et de la sûreté des populations. Si, demain de bonne heure, les transports en commun ne roulent pas, que les gares et les aéroports sont paralysés, que les administrations et les écoles ne sont pas chauffées, que l’alimentation en eau courante pour des parties entières de la population n’est pas plus assurée que les télécommunications et les canaux d’information, alors on aura de très gros problèmes. Il est encore temps de nous y préparer sommairement.

— Comment sera rétabli l’approvisionnement ? » interrogea le ministre de l’Intérieur.

Bädersdorf le renseigna. « En gros, on établit autour des centrales des petits réseaux, les uns après les autres, on fait en sorte qu’ils reçoivent une fréquence stable, puis on l’augmente progressivement. Alors on commence à relier entre eux ces bouts de réseau et à les synchroniser.

— Combien de temps dure chacune de ces étapes ?

— Ça dépend, entre quelques secondes et plusieurs heures pour la reconstruction. La synchronisation va ensuite relativement vite.

— Des parties de toute l’Europe sont touchées ? demanda le ministre. Sommes-nous en relation avec les autres pays ?

— On établit le contact, assura Rhess.

— Bien. Mettez en place une cellule de crise et tenez-moi au courant. Le ministre se tourna pour partir. Bonne soirée, mesdames et messieurs. »

Il a bien parlé, pensa Michelsen. Belle soirée, penses-tu ! Ce sera une longue nuit.

Aéroport d’Amsterdam-Schiphol

Delayed.

Delayed.

Delayed.

Toutes les compagnies aériennes avaient annoncé des retards au cours de l’heure précédente.

« Est-ce que ça va durer encore longtemps ? demanda Louise, sa poupée préférée serrée contre elle.

— T’as qu’à lire, la somma son grand frère, l’air crâneur. Là-haut, il est écrit que notre vol a du retard.