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« Je ne vais pas aux toilettes ici », dit-elle.

Elles retournèrent au restoroute. Une faible lumière passait par le verre cannelé d’une grande porte à double battant. Lorsqu’elles entrèrent dans la salle, Angström eut un sentiment d’aventure, non pas dangereuse, mais davantage dans le goût de ce qu’elle avait vécu autrefois lors d’un orage sur son lieu de vacances. Toutes les tables étaient occupées. Sur certaines tremblotait la lueur de chandelles. Les réfugiés discutaient, mangeaient, se taisaient, dormaient. Il faisait nettement plus chaud qu’à l’extérieur. Une odeur de renfermé les assaillit. Un homme vêtu d’une veste épaisse vint à leur rencontre, un nœud papillon autour du cou.

« Nous sommes complets, les informa-t-il. Lumière, sanitaires, eau courante, frigos, chauffage, systèmes de commande et de paiement, plus rien ne marche. J’ai terminé mon service depuis trois heures. Mais nous ne pouvons refuser de nouveaux voyageurs. Si vous trouvez une petite place, vous pouvez rester. »

Barrage d’Ybbs-Persenbeug

Immobiles, les neuf hommes scrutaient les moniteurs de la salle de contrôle.

« C’est parti ! »

Oberstätter appuya sur la touche. Trois heures durant, ils avaient téléphoné, discuté, simulé. Ils ignoraient encore ce qui avait provoqué la coupure de courant.

Ils ne savaient qu’une seule chose : presque toute l’Europe se retrouvait sans énergie. Les centrales comme celle d’Ybbs-Persenbeug sur le Danube comptaient parmi les plus importantes pour rétablir l’alimentation, dans la mesure où elles pouvaient redémarrer à tout moment sans aide extérieure. Ils savaient également pour quelle raison leur centrale s’était arrêtée en urgence. En raison de la crise de grande ampleur, il y avait eu dans les réseaux une montée soudaine de fréquence, qui n’avait pu être corrigée. Les logiciels de nombreuses centrales les avaient alors désactivées automatiquement, en un quart de seconde, afin d’éviter la destruction des générateurs. Le sentiment qu’avait éprouvé Oberstätter face aux imposantes machines prises de soubresauts s’était révélé juste. Mais il ne comprenait toujours pas pourquoi ses collègues avaient vu des messages d’alerte contraires. Il espérait que les installations n’avaient pas été abîmées.

Pour l’heure, ils tentaient de faire repartir la centrale. Contrairement à une machine à café, on ne pouvait se contenter d’appuyer sur un bouton. Pas à pas, ils devaient conduire l’eau à travers les turbines, raccorder les générateurs. Soupapes de pression et bien d’autres composants devaient être pris en considération avant de pouvoir enfin libérer le courant dans le réseau.

« Et stop, fit un de ses collègues. Il montrait un écran du doigt. Là, risque de court-circuit au niveau XCL 1362. Au tout début. Étrange. Armin, Emil, vous allez en bas pour voir ça.

— Ça signifie au moins une heure de retard, soupira l’un des techniciens.

— Nous n’avons pas le choix, répondit Oberstätter. Tant que tout n’est pas en ordre, on ne peut pas redémarrer. »

Il prit le téléphone et composa le numéro de la gestion de crise de la centrale.

Berlin

Michelsen se hâtait vers la sortie. Elle passa devant la salle de conférence, où le ministre de l’Intérieur discutait encore de la situation, par visioconférence, avec ses collègues européens. Dans le couloir l’attendaient sept employés de différents services, et, ensemble, ils se dirigèrent vers la salle de presse — le porte-parole du ministère de l’Intérieur ouvrait la voie.

Entre lui et son cortège fusaient questions et réponses tous azimuts.

« Connaît-on la cause ?

— Non. Pas la moindre idée. Pour la presse : le plus important, pour l’instant, c’est de rétablir l’alimentation. On recherchera les causes sitôt que les populations pourront de nouveau se chauffer, faire les courses et se rendre au travail.

— Pour quand estime-t-on la fin de la coupure ?

— Difficile à dire. Jusqu’à présent, les fournisseurs d’électricité étaient optimistes. Cependant, ils essayent en vain depuis six heures de rétablir les réseaux. Pour les médias : les fournisseurs travaillent sous haute pression au rétablissement de l’approvisionnement.

— Comment un tel événement peut-il toucher toute l’Europe ? Ce n’est pas normal.

— C’est possible malheureusement, avec des réseaux électriques modernes, reliés les uns aux autres. C’est pour cela que le ministre consacre depuis un certain temps la plus haute attention à la modernisation des réseaux et des systèmes électriques, y compris précisément à un niveau européen.

— Les services de secours ?

— Ils sont à l’œuvre sans répit. Les pompiers ont libéré au cours des heures passées des milliers de gens pris au piège dans les métros et les ascenseurs. La Croix-Rouge et d’autres services prennent en charge les personnes malades, âgées et en transit, restées bloquées sur les routes.

— Pourquoi ?

— Sans électricité, impossible de faire le plein d’essence.

— Ce n’est pas sérieux !

— Hélas…

— Et cela le premier jour des vacances d’hiver pour certains Länder.

— Les moyens techniques sont en alerte et déployés sur le terrain.

— L’armée ?

— Elle se tient prête, le cas échéant, à soutenir les secours.

— Que conseillez-vous aux gens qui n’auront toujours pas de courant demain ? »

Milan

Manzano avait le sentiment que le temps passait plus lentement depuis la coupure. Il écoutait le silence avec attention. Comme sur le chemin du retour, il perçut subitement ce qui jamais ne lui était apparu. Ce qui manquait. Le doux ronron du réfrigérateur. Le glouglou d’une canalisation d’eau. Le volume trop fort des téléviseurs ou des radios des voisins. Il ne restait que le souffle de Bondoni, parfois difficile, ses déglutitions, le frottement de sa chemise contre son pull-over lorsqu’il posait le verre sur la table.

« Il est temps d’aller au lit », fit l’ancien, se relevant en gémissant. En effet, l’horloge de Manzano au-dessus de la porte de la cuisine indiquait une heure passée. Il le raccompagna. Soudain, il eut un sentiment étrange. Il l’évacua, prêt déjà à donner une tape sur l’épaule de Bondoni en guise d’au revoir, lorsqu’il réalisa ce qui était différent. À travers la porte de son bureau, restée ouverte, passait un mince filet de lumière.

« Attends un peu, intima-t-il à Bondoni avant de gagner le bureau dont les deux fenêtres donnaient sur la rue. L’éclairage public est de nouveau en marche. »

Bondoni se tenait déjà à ses côtés. Manzano actionna l’interrupteur. Allumé, éteint. Allumé, éteint. Le bureau restait noir.

« Étrange. Pourquoi y a-t-il de la lumière au dehors et pas chez nous ? »

Manzano retourna dans le couloir et ouvrit l’armoire électrique. Toutes les manettes étaient dans la bonne position. « KL 956739 » indiquait l’écran du compteur.

« Il y a de nouveau du courant, marmonna-t-il dans sa barbe puis ensuite à Bondoni : essaye donc l’interrupteur à côté de la porte. »

Clic, clac. Rien.

« On va regarder ça de plus près.

— Quoi ? »

Manzano était déjà retourné dans son bureau, d’où il ressortit avec un ordinateur portable.

« Qu’est-ce que tu fais ? demanda Bondoni.

— Lorsqu’ils ont installé les nouveaux compteurs électriques, j’ai immédiatement regardé précisément comment ils étaient foutus. Par curiosité. »