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Mais la discussion semblait plaire à Pucao, peut-être appréciait-il d’avoir un auditoire. « Vous n’avez aucune idée de ce qu’est une guerre, pontifia-t-il. En Amérique latine, les États-Unis et l’Europe ont mené de brutales campagnes, avec leurs régimes d’hommes de paille, provoquant des centaines de milliers de victimes. Ensuite, ce furent le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, instruments des États établis pour empêcher un développement trop rapide des pays nouvellement industrialisés. Idem pour les pays arabes. Raison pour laquelle les peuples ont commencé à se soulever au bout d’un moment. Il n’y a qu’en Europe et aux États-Unis que les souffrances ne sont pas assez grandes pour provoquer des soulèvements, pour changer le cours des choses. Maintenant, les souffrances, elles sont là. Il faut juste que nous ne nous arrêtions pas si tôt. Nous devons continuer, puis tout changera. »

Pucao vérifia si Angström était fermement ligotée.

« Vous entendez ce que vous dites, au moins ? demanda la Suédoise. On a l’impression d’entendre ces types que vous voulez combattre. Des conneries, ces histoires du sacrifice pour aller au Paradis, de purification par le feu, de mesures douloureuses, avant que tout ne soit meilleur… »

Il les força à s’asseoir sur le canapé.

« Apportez également une corde pour vous, exigea Pucao.

— Dehors, il y a des gens qui meurent !

— C’est terrible, horrible, mais inévitable. C’est comme un avion détourné que vous devez abattre pour éviter le pire. Il faut en tuer quelques-uns pour en sauver beaucoup.

— Son of a bitch ! s’écria la journaliste. Vous n’êtes pas celui qui prend la décision d’abattre l’avion, mais le terroriste qui le détourne.

— Il est fou », murmura Angström à Manzano.

Pucao noua la cordelette autour des poignets de Shannon et la poussa vers les autres. « Espérons que je n’aie pas besoin de vous bâillonner ! Un cri encore, et je vous bute tous. »

Soyez raisonnable, voulut lui dire Manzano, mais il savait à quel point il était inutile de faire appel à la raison chez un tel individu.

« Pas de souci, répondit Shannon, non sans une pointe d’insolence, j’ai assez parlé avec vous. »

L’autre ne tint pas compte de la remarque, prit place devant l’ordinateur et examina les fichiers. Manzano se demandait fébrilement ce qu’il pouvait bien avoir l’intention de faire.

« Bâtard, siffla le terroriste en se tournant brusquement vers ses prisonniers. T’as rien compris, ou quoi ? Rien du tout ? Même après que la police t’a tiré dessus. »

Manzano sentit monter la colère, mais il savait bien que c’était le mauvais moment pour perdre le contrôle de lui-même.

« Vous êtes bien informés, répondit-il, s’efforçant de paraître calme.

— On l’a tout le temps été, depuis très longtemps, précisa-t-il… Un court instant, il regarda dans le vide. Comment nous as-tu trouvés ? » demanda-t-il enfin.

L’Italien envisagea rapidement de lui dire la vérité. L’homme qui lui faisait face, à l’instar de tous les grands malades, était un incorrigible Narcisse. La moindre critique pourrait le rendre imprévisible.

« C’est vous qui avez placé les mails dans mon ordinateur ?

— C’est moi qui les ai écrits. C’est un autre qui les a mis.

— Bien écrits. La police est tombée dans le panneau. Mais le mec qui les a introduits dans mon ordinateur depuis votre plateforme centrale de communication, ce mec, vous devriez le virer. »

Pucao maugréa quelque chose d’incompréhensible en espagnol. Ça avait l’air d’un juron.

« Et, tant que vous y êtes, tous ceux qui étaient responsables de la sécurité, continua l’Italien. Pas évident d’embaucher des types compétents, hein ?

— Arrête, s’énerva l’autre, en effectuant un grand geste de la main. Tu crois que je ne remarque pas ton petit jeu ? Que tu essayes de me faire de la lèche ?

— On peut aussi vous insulter, intervint Shannon, avec froideur. Je préfère d’ailleurs. Sale taré ! »

Pucao sourit.

« Cette discussion m’ennuie. Dites-vous au revoir. Je suis désolé que vous ayez été là. Je n’étais venu que pour Piero. Tu sais que t’as été un sacré emmerdeur ?

— On me l’a dit souvent, ces derniers temps. »

Pucao s’approcha du canapé par-derrière, le couteau dans la main, et attrapa Angström par les cheveux.

Manzano bondit. Il y eut une seconde d’effroi, Pucao ne bougea pas, surpris par la manœuvre, puis, tous, ils se levèrent en même temps. « Tous ensemble ! » hurla l’Italien, se précipitant tête baissée contre l’abdomen du terroriste. Il trébucha et tomba, avant de se relever, l’air désorienté. Bondoni, vif comme l’éclair, lui asséna alors un violent coup de pied dans le genou ; l’autre perdit l’équilibre, et, Manzano, qui était parvenu, malgré ses mains liées, à monter sur le dossier du canapé, se jeta sur lui, de toutes ses forces. Les deux hommes heurtèrent violemment le mur. L’Italien ressentit une douleur fulgurante à la poitrine. Shannon, de son pied, frappa le terroriste à l’entrejambe. Il se courba en deux de douleur laissant apparaître la lame ensanglantée de son couteau et Shannon, de nouveau, frappa de toute sa colère. Manzano, qui peinait à respirer, parvint à se jeter contre le terroriste, dans un dernier effort ; tous deux roulèrent sur le sol. Il vit alors la chaussure d’Angström venir durement frapper le visage de leur agresseur et le sang gicler de ses lèvres. L’Italien se redressa pour s’agenouiller et se laisser retomber sur le terroriste avant que, de nouveau, enragée, Angström lui assénât une volée de coups de pied au visage. La chemise de Pucao était imbibée de sang.

« Le couteau, haleta Manzano. Où est le couteau ? » Ses sens se troublaient. Nulle trace de la lame dans la main du terroriste.

« Ici ! » fit Bondoni, qui le tenait de ses mains liées et s’attaquait déjà aux entraves de Shannon.

Manzano continuait de peser de tout son poids sur Pucao, rejoint rapidement par l’Américaine qui lui écrasa le visage du pied. Elle coupa les liens de Bondoni, d’Angström puis de l’Italien. Ils ligotèrent alors leur agresseur. Un filet de sang s’échappait de sa bouche, son visage était tuméfié, ses cils tremblaient et il peinait à respirer. Il ouvrit les yeux.

« Beaucoup trop d’erreurs », soupira Manzano en se tenant le côté gauche de la poitrine. Il avait dû se casser une côte. « C’est con pour quelqu’un qui se croyait infaillible. »

Il alla vers l’ordinateur. Un voile noir troubla sa vision, il trébucha, parvint à se redresser.

Plus que dix minutes. Où était cet ordre ? Ici. Envoyer. Espérons qu’il s’agit du bon code. D’où peut bien venir tout ce sang sur le clavier ? Espérons qu’il a tout fait comme il faut. L’écran s’estompa sous ses yeux. Fenêtre de chat vidéo. Christopoulos.

« Oui ?

— Je vous ai envoyé une adresse IP et un code de blocage. Je crois que c’est ce que je cherchais, dit-il en peinant à respirer.

— Qu’est-ce qu’il vous est arrivé ? » s’inquiéta le Grec.

Manzano éluda la question et dit simplement : « Regardez-moi ça. Vite. Maintenant. » Sa tête tomba presque sur le bureau. Il se redressa, râlant d’une voix rauque : « Plus que neuf minutes.

« Quoi ?

— Faites ce que je vous dis.

— Piero ! » s’écria Angström. Elle bondit vers lui, suivie de Shannon. Angström palpa sa poitrine, pour découvrir une plaie béante sous sa chemise. Elle la comprima de la main.

Manzano sombra dans les affres de la douleur, glissa de sa chaise, inerte, rattrapé in extremis par Shannon. La Suédoise était penchée au-dessus de lui, il lisait de la panique dans son regard. Il eut l’impression d’entendre son nom au loin, encore et encore, de plus en plus faiblement — il n’aspirait qu’à dormir, dormir tout son saoul. Ses paupières retombèrent.