Christopoulos a-t-il réussi ? pensa-t-il. Froid. Sommeil.
Dix-neuvième jour — mercredi
Bollard fut accueilli par un déferlement de flashes lorsqu’il entra dans le hall. Il se figea, et, aveuglé, mit sa main sur ses yeux, se demandant quelle célébrité pouvait bien être attendue. Puis il entendit son nom. Les journalistes lui tendirent leurs micros, le bombardèrent de questions qu’il ne pouvait comprendre dans ce tumulte. Bollard prit ses enfants contre lui pour les protéger. Louise trépignait d’excitation, elle adressait aux caméras ses plus beaux sourires, et, pour finir — à la honte de son père — leur tira la langue, ce qui déclencha un nouveau déferlement de flashes et de grands rires dans l’assistance. Bollard se détendit alors. Comment les reporters étaient-ils au courant de son retour, et en quoi cela pouvait-il les intéresser ?
Il reconnut, parmi la foule, ses parents et la mère de Marie. Louise et Paul leur tombèrent dans les bras. La scène parfaite. Toutes les caméras filmaient — Bollard et sa femme en profitèrent pour contourner la meute.
« Est-il exact que vous allez recevoir la grand-croix de la Légion d’honneur ?
— A-t-on arrêté tous les terroristes ?
— Comment votre famille a survécu à La Haye, pendant ces dernières semaines ?
— James Turner, CNN. On dit que vous voulez démissionner d’Europol. Est-ce vrai ?
— Quand allez-vous être reçu par le président ?
— Que diriez-vous si on vous proposait de devenir ministre de l’Intérieur ? »
Bollard ne répondit à personne. Marie à son bras, il rejoignit le reste de sa famille. Les enfants, excités, parlaient à leurs grands-parents. Ils étaient loin de penser au décès de leur grand-père. Bollard serra un peu le bras de Marie, en guise de réconfort, avant qu’elle n’embrasse sa mère.
Enfin, quelques policiers arrivèrent pour évacuer toute la famille et l’escorter jusqu’à un taxi. Alors qu’ils avaient pris place dans le minibus, Bollard se tourna soudain vers la foule.
« Je vous remercie pour cet accueil chaleureux. Mais je ne suis que l’un de ceux qui ont mis fin aux activités des terroristes. Remerciez-les. Je n’ai rien à ajouter. »
Il embarqua, la voiture se mit en marche, et, bientôt, ils n’entendirent plus les questions qu’on leur lançait.
Vingt-troisième jour — dimanche
Un vent frais soufflait sur la cathédrale de Milan. Sous eux, les lumières de la ville scintillaient. Sur la piazza del Duomo, des milliers de personnes manifestaient depuis des jours contre le gouvernement et pour demander un meilleur approvisionnement. Leur clameur, parfois, parvenait même à étouffer celle de la circulation.
« Tu te rends compte que c’est la première fois que je viens là ? demanda Manzano.
— C’est toujours comme ça, non ? répondit Angström. Lorsqu’on y habite, on pense qu’on peut le faire tous les jours. Et on ne le fait jamais. Sauf lorsqu’on reçoit de la visite. »
Le couteau avait provoqué une profonde entaille dans la poitrine de Manzano et lui avait éraflé le poumon, sans mettre ses jours en danger. Il avait dû passer quelques jours à l’hôpital, rendu de nouveau à son minimum opérationnel. À sa sortie, ils étaient restés un peu à Bruxelles. La Suédoise avait pris des congés, ils n’étaient guère sortis de l’hôtel où ils avaient pu se reposer, téléphoner à leurs amis et à leurs familles, échanger des mails, tout en s’étonnant d’être sortis indemnes de ces deux semaines d’horreur.
Internet et la télévision fonctionnaient sans difficulté, les médias ne parlaient que d’une chose. Jorge Pucao était encore auditionné par les enquêteurs, ainsi que ses complices d’Istanbul et de Mexico. La police aux frontières avait arrêté Balduin von Ansen à Ankara alors qu’il tentait de fuir. Ce serait bientôt au tour de Siti Jusuf. Il faudrait des années pour faire la lumière sur toute l’affaire. Et plus encore pour en effacer tous les stigmates.
Malgré un approvisionnement sommaire en électricité, de nombreuses régions continuaient d’être mal desservies en biens de première nécessité, des zones entières étaient inhabitables en raison des accidents dans les centrales nucléaires ou dans les usines chimiques, des millions de personnes étaient déplacées. L’économie était ruinée pour des années, on s’attendait à une grande dépression. On n’avait pas encore pu arrêter le nombre précis de morts, des millions peut-être, en comptant les États-Unis et l’Europe, sans même parler des victimes à plus long terme. Mais ça aurait pu être encore pire. Les jours suivant l’arrestation de Jorge Pucao, les informaticiens avaient trouvé ce fameux programme devant être bloqué toutes les quarante-huit heures et infiltré dans les réseaux européens et nord-américains. Lorsque les populations connurent les mobiles des terroristes, elles s’étaient enflammées, animées de l’envie de les lyncher. Depuis quelques jours, la colère grondait contre les responsables au pouvoir qui n’avaient pas su anticiper les faits et qui se montraient maintenant incapables de revenir à l’état antérieur des choses. Les émeutes se firent plus violentes et se propagèrent, aucun des gouvernements militaires au Portugal, en Espagne ni en Grèce ne rendit le pouvoir aux institutions démocratiquement élues.
Manzano se demandait si, peut-être, Pucao n’avait pas rempli ses objectifs. Pour l’heure, il ne voulait pas y penser. Il passa ses bras autour d’Angström. Malgré la douleur qu’il ressentait à la poitrine, il appréciait le panorama devant lui ; toutes ces lumières scintillant sous la voûte céleste. On entendait le tumulte de la foule, tout en bas, sur la place. Ils restèrent ainsi une minute, en silence.
Le téléphone de l’Italien, dans sa poche, émit un son indiquant la réception d’un message.
Il le lut.
« Lauren est bien rentrée aux États-Unis, chuchota-t-il à l’oreille de sa compagne.
— Je ne crois pas que Pucao ait raison, dit-elle en considérant les manifestants, petits comme des fourmis, sur la place.
— Moi non plus. Il y a d’autres moyens. Des meilleurs. »
Il laissa son regard glisser vers le lointain et la prit par la taille.
« Et d’ailleurs, si nous retournions manifester ? »
Postface et remerciements
Bien entendu, un auteur de thrillers ne peut que se réjouir de voir son livre figurer sur des listes de best-sellers, ne peut que se réjouir de la vente des droits de traduction et d’adaptation.
J’ai soupçonné que Black-out irait plus loin encore, à la première demande de renseignements reçue après la parution de l’ouvrage, début 2012. Elle ne venait pas d’un libraire qui aurait voulu organiser une lecture, mais d’un institut travaillant sur la protection des infrastructures critiques. Depuis, j’ai été convié par de très nombreux organismes politiques nationaux et internationaux, par des organisations publiques comme privées pour faire des conférences et débattre de Black-out.
Cet ouvrage n’a pas été présenté uniquement par des rubriques ou des émissions littéraires, mais également par des médias économiques, scientifiques et d’informations.