Connie Willis
Black-out
L’Histoire, c’est maintenant, et c’est l’Angleterre.
Pour Courtney et Cordelia, qui font toujours beaucoup plus que leur part.
Oxford, avril 2060
Venez tous ! Attelez-vous à la tâche, partez au combat, oubliez la fatigue – chacun à sa place, chacun à son poste, il n’y a plus une semaine, plus un jour, plus une heure à perdre.
Colin essaya la porte, mais elle était fermée. À l’évidence, le concierge, M. Purdy, avait parlé sans savoir quand il avait affirmé que M. Dunworthy était allé à Recherche. Zut ! j’aurais dû deviner qu’il ne serait pas là, se dit Colin. Seuls les historiens qui se préparaient pour des missions venaient à Recherche. Peut-être M. Dunworthy avait-il informé M. Purdy qu’il allait faire de la recherche, et dans ce cas il serait à la bibliothèque Bodléienne.
Colin s’y rendit, mais M. Dunworthy resta introuvable. Je vais devoir interroger son secrétaire, pensa Colin. Il revint à Balliol. Il aurait bien aimé que Finch soit toujours le secrétaire de M. Dunworthy, plutôt que ce nouveau type, Eddritch, qui ne manquerait pas de lui poser un tas de questions. Finch n’en aurait posé aucune, et ne lui aurait pas seulement dit où trouver le professeur, mais aussi quelle était son humeur.
Colin courut d’abord à l’appartement de M. Dunworthy, dans l’espoir que M. Purdy ne l’aurait pas vu revenir, mais il n’était pas là non plus. Puis il traversa la cour et entra dans Beard, gravissant les marches jusqu’au secrétariat.
— Je cherche M. Dunworthy, annonça-t-il. C’est important. Pouvez-vous me dire où…
Eddritch le regardait froidement.
— Avez-vous un rendez-vous, monsieur… ?
— Templer, se résigna Colin. Non, je…
— Êtes-vous étudiant de premier cycle ici, à Balliol ?
Colin fut tenté de répondre oui, mais Eddritch était du genre à vérifier s’il était bien inscrit.
— Non. Je le serai l’année prochaine.
— Si vous postulez pour devenir étudiant à Oxford, vous dépendez du bureau du principal, dans Longwall Street.
— Je ne suis pas candidat. Je suis un ami de M. Dunworthy…
— Oh ! M. Dunworthy m’a parlé de vous. (Il fronça les sourcils.) Je croyais que vous étiez à Eton.
— Nous sommes en vacances, mentit Colin. Il est essentiel que je voie M. Dunworthy. Si vous pouviez me dire où le…
— À quel sujet voulez-vous le voir ?
Mon avenir, pensa Colin. Et ça ne te regarde pas, mais une telle réponse, évidemment, ne lui serait d’aucun secours.
— C’est au sujet d’une mission historique. C’est urgent. Si vous pouviez juste me dire où il se trouve…, commença-t-il, mais Eddritch avait déjà ouvert le carnet de rendez-vous.
— M. Dunworthy ne peut pas vous recevoir avant la fin de la semaine prochaine.
Ce sera trop tard. Zut ! il faut que ce soit maintenant, avant que Polly revienne.
— Je peux vous donner un rendez-vous à 13 heures le 19, continuait Eddritch. Ou à 9 h 30 le 28.
Quelle est la partie du mot « urgent » qui échappe à ta compréhension ? se demandait Colin.
— Tant pis, prétendit-il.
Et, descendant l’escalier, il rejoignit l’accueil dans l’espoir d’obtenir davantage d’informations de M. Purdy.
— Êtes-vous certain qu’il a bien dit qu’il se rendait à Recherche ?
Quand le concierge eut répondu par l’affirmative, il insista :
— A-t-il déclaré où il se rendrait ensuite ?
— Non. Vous devriez essayer le labo. Il y est resté sacrément longtemps ces derniers jours. S’il n’y est pas, M. Chaudhuri saura peut-être vous indiquer où il se trouve.
Et s’il n’est pas là, je pourrai questionner Badri sur la date du retour de Polly.
— J’essaie le labo, l’informa Colin.
Allait-il lui demander de prévenir M. Dunworthy de son arrivée s’il le voyait ? Non, autant s’abstenir. Un homme averti en vaut deux. Ses chances seraient meilleures s’il lui sautait dessus à l’improviste.
— Merci ! s’exclama-t-il.
Et il descendit en courant vers le High et jusqu’au labo.
M. Dunworthy ne s’y trouvait pas. Seuls Badri et une jolie tech qui ne paraissait guère plus vieille qu’une lycéenne occupaient les lieux. Ils étaient tous les deux penchés sur la console.
— Il me faut les coordonnées du 4 octobre 1950, dit Badri. Et… Qu’est-ce que tu fabriques ici, Colin ? Tu n’es pas censé te trouver au lycée ?
Pourquoi se conduisaient-ils tous comme des surveillants ?
— Tu n’as quand même pas été renvoyé, hein ?
— Négatif. (Pas s’ils ne m’attrapent pas.) Vacances scolaires.
— Si tu es venu me persuader de te laisser partir aux croisades, la réponse est non.
— Les croisades ? s’exclama Colin. C’était il y a des années…
— M. Dunworthy sait-il que tu es là ? demanda Badri.
— En fait, je le cherche. À Balliol, le concierge m’a dit qu’il pourrait être ici.
— Il y était, intervint la tech. Tu viens juste de le rater.
— Savez-vous où il est allé ?
— Non. Tu devrais essayer Garde-robe.
Garde-robe ? D’abord Recherche, et maintenant Garde-robe. À l’évidence, M. Dunworthy se préparait pour une mission.
— Où part-il ? À la cathédrale Saint-Paul ?
— Oui, confirma la tech. Il cherche…
— Linna, je veux ces coordonnées, l’interrompit Badri en la fusillant du regard.
La tech hocha la tête et se rendit à l’autre bout du labo.
— Il part sauver les trésors de Saint-Paul, n’est-ce pas ?
— Le secrétaire de M. Dunworthy devrait savoir où il se trouve, lui opposa Badri, qui retournait à la console. Pourquoi ne pas retourner à Balliol et le lui demander ?
— Je l’ai fait. Il n’a rien voulu me dire.
Et il était clair que Badri ne lui en apprendrait pas plus.
— Colin, grogna-t-il. On est très occupés, ici.
La tech, Linna, qui était revenue avec les coordonnées, approuva.
— On a trois récupérations et deux transferts cet après-midi.
— C’est ce que vous faites en ce moment ? demanda Colin, s’avançant pour regarder les plis drapés du filet. Un transfert ?
Badri s’interposa sur-le-champ et l’empêcha d’approcher.
— Colin, si tu es ici pour essayer de…
— Essayer quoi ? Tu me traites comme si j’avais l’intention de me glisser sous le filet, ou quelque chose comme ça.
— Ça ne serait pas la première fois.
— Si je ne l’avais pas fait, M. Dunworthy serait mort, et Kivrin Engle aussi.
— Sans doute, mais ça ne signifie pas que tu peux en faire une habitude.
— Je n’en avais pas l’intention. Tout ce que je voulais…
— … c’est apprendre si M. Dunworthy se trouvait ici. Il n’y est pas, et Linna et moi sommes extrêmement occupés. Alors, s’il n’y a rien d’autre…
— Il y a. J’ai besoin de savoir quand la récupération de Polly Churchill est programmée.
— Polly Churchill ? fit Badri, immédiatement suspicieux. Pourquoi t’intéresses-tu à Polly Churchill ?