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— On a besoin de s’éloigner. Il faut que vous me donniez une liste des villages les plus proches et d’autres sites possibles, indiqua le tech.

Ce qui signifiait que Mike devrait passer le reste de la journée à la Bodléienne, le nez sur des cartes datant de 1940, à la recherche d’endroits isolés peu éloignés de Douvres, au lieu de ce qu’il aurait dû faire.

À 18 heures, il emporta la liste au labo, la tendit à Badri – qui se faisait engueuler par un gars en justaucorps et collants dont le programme avait été changé – et revint à la Bodléienne travailler sur ses héros.

Ils étaient presque trop nombreux pour qu’on en choisisse. En réalité, chacun des courtiers, des banquiers de la City, et autres marins du dimanche s’était transformé en héros quand il avait pris qui son yacht de plaisance, qui son voilier, qui son skiff, tous désarmés, au milieu des tirs ennemis, beaucoup d’entre eux effectuant de multiples voyages.

Cependant, quelques-uns avaient accompli des actes d’un courage extraordinaire : le quartier-maître gravement blessé, qui avait repoussé l’assaut de six Messerschmitt avec une mitrailleuse pendant que les troupes accostaient ; le comptable qui avait transporté contingent après contingent de soldats sur la plage jusqu’au Jutland sous une averse de plomb ; George Crowther, qui avait laissé passer sa chance de s’en sortir en restant pour assister le chirurgien sur le Bideford ; le retraité Charles Lightoller qui, non content d’avoir approché l’héroïsme sur le Titanic, avait embarqué sur son cruiser de week-end et ramené cent trente soldats.

Mais ils n’étaient pas tous revenus à Douvres. Certains étaient allés à Ramsgate ; d’autres étaient rentrés à bord d’un autre bateau que celui sur lequel ils étaient partis : le sous-lieutenant Chodzko avait appareillé sur le Little Ann et il avait rallié Douvres sur le Yorkshire Lass, et l’un des capitaines de la flottille de pêche s’était fait couler trois bateaux. D’autres, enfin, n’étaient pas revenus du tout. Et pour ceux qui étaient bel et bien rentrés à Douvres, on ne disposait quasi d’aucun détail sur le moment de ce retour, ni sur la jetée où ils avaient accosté. Ce qui signifiait qu’il valait mieux qu’il parte avec un paquet de héros de réserve, au cas où il ne réussirait pas à trouver ceux qu’il avait l’intention d’interviewer.

Cela lui prit toute la nuit. Dès que Garde-robe ouvrit au matin, il leur rapporta son costume blanc et leur laissa prendre ses mesures pour Dieu sait ce que pouvaient porter les journalistes américains pendant la Seconde Guerre mondiale. Il revint ensuite à Balliol pour commencer ses recherches sur Douvres. Charles, vêtu d’une tenue de tennis, sortait à l’instant de chez eux.

— Le labo a téléphoné. Tu dois les rappeler.

— Ont-ils dit s’ils avaient trouvé un site de transfert ?

— Non. Je sors pour ma prépa en prévision de Singapour. Les coloniaux passaient tout leur temps à jouer au tennis.

Il agita sa raquette en direction de son ami et s’en fut.

Michael appela le labo.

— Je ne trouve rien dans un rayon de dix kilomètres autour de Douvres qui soit susceptible de s’ouvrir avant le 6 juin, l’informa Badri. Je vais essayer Londres. Vous pourriez prendre le train pour Douvres.

Et que se passera-t-il si vous ne pouvez pas trouver de site à Londres non plus ? se demandait Mike.

Cela signifierait que le problème n’était pas simplement de trouver un emplacement où personne ne pourrait le voir traverser, c’était l’évacuation elle-même. L’Histoire était remplie de points de divergence dont personne ne pouvait s’approcher, depuis l’assassinat du grand-duc Ferdinand jusqu’à la bataille de Trafalgar. Des événements si critiques et si instables que l’introduction d’une seule variable, telle qu’un voyageur temporel, pourrait changer l’avenir. Et altérer le cours entier de l’Histoire.

Il avait su que Dunkerque était l’un d’eux ; Oxford avait essayé de s’y rendre et échoué pendant des années. Mais il ne s’était pas attendu à ce que Douvres en soit un. Si c’était le cas, un pan de sa mission s’envolait. D’un autre côté, cela signifiait qu’il pourrait aller à Pearl Harbor, pour lequel il était déjà prêt. Et si Douvres n’était pas un point de divergence, ce délai lui donnait plus de temps pour sa prépa. Il avait besoin d’apprendre plus de choses. Par exemple, de quelle gare de Londres les trains pour Douvres partaient, et quand. Et il avait encore à étudier une vue d’ensemble de l’évacuation. Et la guerre. Et tout le reste. En trois jours. Sans sommeil.

Il aurait aimé ne pas être limité à un seul implant. Une demi-douzaine n’aurait pas été de trop. Il réduisit son champ d’investigation aux événements de 1940, à ceux de Dunkerque, et à une liste des petites embarcations qui avaient participé, décida qu’il ferait son choix quand il les examinerait à Recherche et s’y rendit.

La tech hocha la tête.

— Si vous y allez comme journaliste, il faut que vous sachiez comment vous servir d’un téléphone de 1940. Pour soumettre vos articles, expliqua-t-elle. Et aussi d’une machine à écrire.

Michael n’aurait pas à soumettre le moindre article. Tout ce qu’il aurait à faire serait d’interviewer des gens, mais si jamais il se trouvait obligé de taper quelque chose à la machine son ignorance pourrait pulvériser sa couverture. Il y avait eu des espions nazis en Angleterre en 1940. Il n’avait guère envie de passer le temps de l’évacuation en prison.

Il retourna à Fournitures et emprunta une machine à écrire pour voir s’il pourrait improviser, mais il ne comprenait même pas comment installer le papier dedans.

Il revint à Recherche, demanda à la tech de lui fournir une version abrégée des techniques pour machine à écrire et des événements de Dunkerque dans le même lecteur subliminal, l’obtint, et se traîna jusqu’à sa chambre pour y prendre un peu de repos et de ce fait mémoriser tout le reste.

Charles était revenu, vêtu d’un smoking et pratiquant des putts sur le tapis.

— Ne dis rien ! s’exclama Mike. Les coloniaux passaient tout leur temps à jouer au golf.

— Oui, confirma Charles, alignant son putt. Enfin, quand ils n’étaient pas occupés à prendre des messages téléphoniques pour leurs camarades de chambre.

— Le labo a appelé ?

— Non. Fournitures. Ils m’ont dit de t’informer que tes papiers ne pourront pas être prêts avant mardi prochain.

— Mardi prochain ? brailla Mike.

Il rappela, leur expliquant dans des termes choisis qu’il devrait disposer de son matériel vendredi au plus tard, et raccrocha brutalement. Le téléphone se remit à sonner dans l’instant.

C’était Linna.

— Bonne nouvelle, lui apprit-elle. Nous avons localisé un site de transfert.

Ce qui signifiait que Douvres n’était pas un point de divergence, finalement. Dieu merci !

— Où se trouve-t-il ? demanda-t-il. À Londres ?

— Non. C’est juste au nord de Douvres, à dix kilomètres des quais. Mais il y a un problème. M. Dunworthy voulait avancer l’une des récupérations, et nous lui avons donné votre horaire de samedi.

Super, se dit Michael. Ça m’accordera une paire de jours de plus. Et j’arriverai à mémoriser cette liste de petites embarcations. Et à prendre un peu plus de sommeil.

— Quand l’avez-vous reporté ?

— Pas reporté, précisa-t-elle. Avancé. Vous traversez jeudi après-midi – demain – à trois heures et demie.

Oxford, avril 2060

Vers les tranchées →

Panneau, à Londres, 1940