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— Mais pourquoi ne pas être rentré à Oxford pour le faire réparer ? s’étonna Merope.

— Je te l’ai dit : je n’ai plus accès à mon site.

— Pourquoi ? s’enquit Polly. Des patrouilles contrôlent la plage ?

Si c’était le seul problème, à eux trois ils trouveraient bien un moyen de distraire l’attention des gardes.

— Peu importe. Ils ont installé un canon juste au sommet du site.

Et il restera là jusqu’à la fin de la guerre…

— Mais alors, pourquoi ne t’ont-ils pas envoyé une équipe de récupération ? chuchota Merope.

— Ils l’ont peut-être fait et ne m’ont pas localisé. J’étais inconscient quand on m’a transporté, et je n’avais aucun papier sur moi. L’hôpital ne savait pas qui j’étais et, avant qu’ils aient l’information, on m’a transféré à Orpington.

Polly leva les yeux.

— Orpington ?

— Ouais, au sud-est de Londres. Ils n’auraient jamais pensé à me chercher là-bas. Écoutez, on pourra discuter de ce qui m’est arrivé plus tard. (Il baissa la voix.) Tout de suite, on a besoin de se trouver un point de saut. Polly, tu es certaine que le tien ne marche pas ?

— Oui.

Elle leur raconta l’incident. Michael hocha la tête.

— Les explosions entraînent parfois des effets bizarres. J’ai appris ça pendant ma prépa. Elles peuvent tuer sans laisser la moindre trace sur le corps de la victime. Il ne reste donc plus que ton site, Merope. Que voulais-tu dire quand tu affirmais que tu ne pouvais pas t’y rendre non plus ? Et, s’il te plaît, ne nous annonce pas qu’il y a un canon dessus.

— Non, mais les militaires ont réquisitionné le manoir pour en faire une école de tir.

— Le point de transfert se trouvait sur les terres du manoir ?

— Non, dans les bois, mais l’armée s’en sert pour ses exercices.

— Et ils ont tendu du fil de fer barbelé tout autour, ajouta Polly.

Merope la dévisagea, surprise.

— Comment sais-tu ça ?

— Je suis allée à Backbury te chercher. C’est là que j’étais le jour où tu es venue chez Townsend Brothers. Nous nous sommes croisées.

— Mais pourquoi ont-ils prétendu que tu étais partie dans le Northumberland ? Je croyais…

— Plus tard, les bouscula Michael, impatient. La clôture est-elle gardée ? Penses-tu que nous pourrions la cisailler pour passer ? ou ramper par-dessous ?

— C’est possible, mais ce n’est pas le seul problème. Il me semble que mon site a été endommagé, lui aussi. La fenêtre de saut ne s’ouvrait pas, même avant l’arrivée de l’armée. Après la quarantaine, j’ai tenté de traverser plus d’une dizaine de fois, mais…

— Après la quarantaine ? l’arrêta Michael.

— Oui, ma mission était censée se terminer le 2 mai, mais Alf a contracté la rougeole, et on a mis le manoir en quarantaine pendant presque trois mois…

Sa mission s’était terminée le 2 mai ? Polly imaginait qu’elle avait pris fin quand l’armée avait investi le manoir.

— Quand as-tu quitté le manoir ?

— Le 9 septembre.

Du 2 mai au 9 septembre ! Quatre mois ! Elle était restée au manoir quatre mois après la fin de sa mission !

— Et aucune équipe de récupération n’est venue te chercher ? s’exclama Michael.

— Non, à moins qu’ils soient venus pendant la quarantaine, et que Samuels ne leur ait pas permis d’entrer.

Même s’ils n’avaient pas été capables de l’approcher à ce moment-là, ce qui semblait douteux, ils avaient eu plus d’un mois ensuite pour la sortir du manoir, et ils n’avaient pas l’excuse d’ignorer l’endroit où elle se trouvait, comme pour Polly ou Michael. Oxford savait exactement où elle était.

Et il y avait plus : M. Dunworthy n’aurait jamais laissé Merope affronter une épidémie, et il n’aurait certainement pas laissé Michael traîner avec un pied blessé.

Et il s’agissait de voyage dans le temps. Même si localiser Michael dans son hôpital prenait des mois, Oxford pouvait envoyer une seconde équipe à l’instant précis où il débarquait à Douvres, et l’emmener vers un nouveau site de transfert afin de le ramener en sécurité.

— Une explosion n’a pas pu abîmer mon point de saut, ajouta Merope. Le manoir n’a pas été bombardé. Alors, qu’est-il arrivé ?

— Je l’ignore, soupira Michael.

Moi, je sais, pensa Polly, nauséeuse. Elle l’avait su dès qu’elle avait découvert les ruines de Saint-George, quand elle avait compris que l’équipe de récupération aurait dû se manifester chez Townsend Brothers la veille. C’est pourquoi ses genoux s’étaient dérobés sous elle, parce qu’elle avait saisi ce qu’une telle absence signifiait. Mais, pour ne pas affronter la vérité, elle leur avait inventé des excuses. Et, la vérité, c’était que quelque chose de terrible s’était produit à Oxford, et que l’équipe de récupération ne viendrait pas.

Personne ne viendra.

— Mais si nous ne pouvons utiliser aucun de nos sites, disait Merope, qu’allons-nous faire, maintenant ?

Londres, le 25 octobre 1940

Seuls.

La une du Times de Londres, le 22 juin 1940

— Comment rentrer chez nous, si mon point de saut et celui de Polly sont fichus ?

Merope essayait à la fois de se faire entendre malgré le vacarme ambiant, et de rester inaudible pour les réfugiés installés sur les couvertures voisines.

— On n’est pas sûrs qu’ils sont fichus, remarqua Michael. Tu as dit qu’il y avait des soldats au manoir. Ils étaient peut-être assez près du site pour empêcher son ouverture.

Merope secoua la tête.

— La quarantaine était finie depuis un mois quand ils sont arrivés.

— À quelle distance était le site, dans les bois ? insista Michael. Quelqu’un pouvait-il l’apercevoir de la route ? ou l’un de tes évacués te suivre ? Et le tien, Polly ? Tu es certaine qu’il a été détruit ? Un garde de l’ARP qui traînait par là aurait pu repérer le halo, non ? ou un guetteur d’avions ?

Polly aurait voulu crier : « Tout ça n’a aucune importance ! Tu ne comprends donc pas ce qui s’est passé ? »

Je dois partir d’ici, se dit-elle, et elle se leva.

— Il faut que je vous quitte.

— Que tu nous quittes ? s’exclamèrent Michael et Merope, médusés.

— Oui, j’avais promis de retrouver des contemporains. Je dois les prévenir que je ne pourrai pas être là.

— On t’accompagne, déclara Michael.

Non. Ça ira plus vite si je les rejoins sans vous.

Et elle s’enfuit à travers la foule.

— Polly, attends ! l’entendit-elle appeler. Non, reste ici, Merope, je vais la chercher.

Polly se garda de se retourner, creusant son sillon au milieu des gens, par-dessus jambes étendues, couvertures et paniers de pique-niques, traversant l’arche et descendant le couloir, prête à tout pour s’échapper et trouver un endroit où elle pourrait s’installer seule, où elle pourrait assimiler ce que Michael et Merope venaient de lui apprendre. Mais, où qu’elle se tourne, c’était la cohue. Le hall principal se révélait encore plus envahi que les tunnels.

— Polly, attends ! répétait Michael.

Elle lui jeta un coup d’œil. Il gagnait du terrain en dépit de son handicap, et le hall était si bondé qu’elle ne parvenait pas à s’y frayer un chemin.

— Vous, là-bas, arrêtez-vous ! hurla quelqu’un.