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Non qu’il soit en train de l’envisager, pour l’heure. Colin allait devoir trouver d’autres arguments s’il voulait le convaincre. Ou, faute d’y arriver, un autre moyen de partir pour le passé. S’il pouvait découvrir pourquoi M. Dunworthy se rendait à Saint-Paul, peut-être réussirait-il à le persuader qu’il avait grand besoin de lui à son côté. La tech avait dit quelque chose à propos de la provenance de la veste. Elle venait de l’année 1950. Pourquoi M. Dunworthy aurait-il voulu aller à Saint-Paul en 1950 ?

Linna saurait. Il tourna dans Catte Street et descendit en courant jusqu’au labo, mais le trouva verrouillé.

Ils n’ont pas pu fermer ! Ils disaient qu’ils avaient deux transferts en cours, et trois récupérations.

Il frappa.

Linna ouvrit la porte au minimum. Elle semblait affligée.

— Je suis désolée. Tu ne peux pas entrer.

— Pourquoi ? Quelque chose a dérapé ? Rien n’est arrivé à Polly, n’est-ce pas ?

— Polly ? répéta-t-elle, surprise. Non, bien sûr que non.

— L’une des récupérations a échoué ?

— Non… Colin, je ne suis pas supposée te parler.

— Je sais que tu es très occupée, mais j’ai seulement besoin de te poser quelques questions. Laisse-moi entrer, et…

— Je ne peux pas, dit-elle, l’air encore plus accablée. Tu n’es pas autorisé à entrer dans le labo.

— Pas autorisé ? Est-ce que Badri…

— Non. M. Dunworthy vient de nous appeler. Nous ne pouvons plus te permettre d’approcher du filet.

Warwickshire, décembre 1939

J’ai dit à l’homme qui se tenait à la Porte de l’Année : « Donne-moi de la lumière, afin que je puisse cheminer en toute sécurité dans l’inconnu. »

Et il m’a répondu : « Sors dans l’obscurité, et place ta main dans la Main de Dieu.

Ce sera mieux pour toi qu’une lampe, et plus sûr qu’un chemin connu. »

Le roi George VI, discours de Noël, 1939

Quand Eileen parvint à la gare de Backbury, le train n’était pas là. Oh ! pourvu qu’il ne soit pas déjà parti, se dit-elle. Elle se pencha au-dessus du quai pour regarder par-delà les voies, mais ni d’un côté ni de l’autre elle ne put apercevoir un signe du convoi.

— Où est-il ? demanda Theodore. Je veux rentrer à la maison.

Je sais que tu le veux, pensa Eileen, qui s’était retournée pour examiner l’enfant. Tu me l’as dit toutes les quinze secondes depuis que je suis arrivée au manoir.

— Le train n’est pas encore là.

— Quand viendra-t-il ? insista Theodore.

— Je l’ignore. Allons interroger le chef de gare. Il saura.

Elle ramassa la petite valise en carton et le masque à gaz de Theodore, saisit sa main, puis descendit le quai jusqu’au bureau minuscule où le fret et les bagages étaient entreposés.

— Monsieur Tooley ! appela-t-elle, avant de frapper à la porte.

Pas de réponse. Elle frappa derechef.

— Monsieur Tooley ?

Elle entendit un grognement, puis un pas traînant, et M. Tooley ouvrit. Ses paupières clignaient comme si elle l’avait réveillé, ce qui était sans doute le cas.

— Que se passe-t-il donc ? grogna le vieil homme.

— Je veux retourner chez moi, dit Theodore.

— Le train de cet après-midi pour Londres n’est pas déjà parti, n’est-ce pas ? demanda Eileen.

L’homme la regardait à la dérobée.

— Z’êtes une des bonnes du manoir, pas vrai ?

Il baissa les yeux sur Theodore.

— C’est un des évacués de Mme la comtesse ?

— Oui, sa mère le réclame. Il doit prendre le train pour Londres aujourd’hui. Nous ne l’avons pas raté, n’est-ce pas ?

— Le réclame, hein ? Elle a prétendu que son précieux lardon lui manquait, je parie. Elle veut son carnet de rationnement, ça, c’est plus probable. Même pas capable de venir le chercher elle-même !

— Elle travaille dans une usine d’aviation. Elle n’a pas pu obtenir un jour de congé.

— Oh ! elles peuvent. Et sans problème, quand elles veulent. J’en avais deux, là, mercredi, en route pour Fitcham. « On ramène nos loupiots à la maison pour être tous ensemble à Noël », qu’elles disaient. Elles voulaient plutôt s’rincer la dalle au pub de Fitcham. Elles avaient déjà un beau p’tit coup dans le nez.

Ça te va bien de parler de ça, ironisa Eileen… qui sentait depuis le seuil l’odeur alcoolisée de son haleine.

— Monsieur Tooley, reprit-elle, tentant de le ramener à son sujet de préoccupation. À quelle heure doit arriver le train de cet après-midi pour Londres ?

— Y a que c’lui de 11 h 19. Ils ont arrêté l’autre la semaine dernière. À cause de la guerre.

Oh non ! Cela signifiait qu’ils l’avaient manqué, et qu’elle aurait à convoyer Theodore sur tout le chemin du retour jusqu’au manoir.

— Mais il n’est pas encore passé, et qui sait quand il sera là. C’est à cause de tous ces transports de troupes. Ils poussent les trains de passagers sur des voies de garage et attendent donc, le temps qu’ils aient tous défilé !

— Je veux…, commença Theodore.

— Aussi ratés qu’leurs mères, fit M. Tooley, qui le regardait fixement. Aucune éducation. Et Mme la comtesse qui s’use les doigts jusqu’à l’os pour tenter de décrotter ces mômes ingrats !

C’est plutôt : qui oblige ses serviteurs à user leurs doigts jusqu’à l’os !

Eileen l’avait appris, lady Caroline ne s’était préoccupée que deux fois en tout et pour tout des vingt-deux enfants évacués de Londres, la première quand ils étaient arrivés – à ce que prétendait Mme Bascombe, elle avait l’intention de s’assurer qu’elle n’en aurait que de « gentils » et s’était débrouillée pour se rendre au presbytère et les choisir elle-même comme des gâteaux –, la seconde quand un journaliste du Daily Herald lui avait rendu visite pour un article sur les « sacrifices de la noblesse en temps de guerre ». Le reste du temps, les soins de la dame se bornaient à donner des ordres à ses domestiques et à se plaindre du bruit excessif produit par les enfants, de leur usage exagéré de l’eau chaude, et de leur terrible propension à érafler ses planchers cirés.

— C’est merveilleux de voir Mme la comtesse s’y coller et faire de son mieux pour l’effort de guerre, proféra M. Tooley. J’en connais d’autres, à sa place, ils n’accueilleraient même pas un chaton perdu ! Ils ouvriraient encore moins leur maison à toute une flopée de gosses des taudis.

Il n’aurait pas dû prononcer le mot « maison ». Dans l’instant, Theodore tirait le manteau d’Eileen.

— À combien estimez-vous le retard du train aujourd’hui, monsieur Tooley ?

— Impossible à dire. Des heures, peut-être.

Des heures, et déjà l’après-midi touchait à sa fin. À ce moment de l’année, le ciel commençait à s’obscurcir dès 15 heures, et il faisait nuit noire à 17 heures. Avec le black-out…

— Je veux pas attendre des heures, protesta Theodore. Je veux rentrer à la maison maintenant.

M. Tooley ronchonna.

— Connaissent pas leur bonheur. Maintenant que Noël approche, ils vont tous vouloir rentrer chez eux.

Eileen espérait que non. Les évacués avaient déjà commencé à revenir à Londres pendant les mois de la « drôle de guerre » et, au moment où le Blitz débutait, soixante-quinze pour cent étaient de retour, mais elle n’avait pas imaginé que cela se produirait si vite.