Выбрать главу

Elle agita la main dans sa direction, mais il parlait avec le soldat, tout excité. Elle se retourna vers le pasteur.

— Vous êtes un faiseur de miracles. Je n’aurais jamais pu m’en sortir toute seule. Quelle chance que vous soyez passé par là.

— En fait, je cherchais les Hodbin. Vous ne les auriez pas croisés, par hasard ?

Voilà qui expliquait pourquoi ils avaient disparu.

— Qu’est-ce qu’ils ont encore fabriqué ?

— Ils ont mis un serpent dans le masque à gaz de l’institutrice.

Il avait atteint le bout du quai et scrutait les voies.

— Si jamais vous les apercevez…

— Je veillerai à ce qu’ils viennent faire des excuses.

Elle poussa sa voix, au cas où ils se cacheraient sous le quai.

Et à ce qu’ils soient punis.

— Oh ! je ne me montrerais pas si dure envers eux, intervint le pasteur. On peut comprendre qu’ils supportent mal d’avoir été expédiés dans un endroit inconnu, aussi loin de chez eux. En attendant, je ferais mieux de les trouver avant qu’ils ne réduisent Backbury en cendres.

Il jeta un dernier regard inquisiteur alentour et quitta les lieux.

Alf et Binnie ne réapparurent pas dès qu’il fut hors de vue, comme Eileen l’avait à demi anticipé. Elle espérait que tout se passerait bien pour Theodore. Qu’arriverait-il si sa mère n’était pas là pour l’accueillir, et si les soldats le laissaient seul à la gare ?

— J’aurais dû l’accompagner, murmura-t-elle.

— Et qui s’occuperait de nous, alors ? dit Alf, jaillissant de nulle part.

— Le pasteur m’apprend que vous avez mis un serpent dans le masque à gaz de votre institutrice ?

— Jamais fait ça.

— J’parie qu’y a rampé dedans tout seul, lâcha Binnie, qui surgissait à son tour. P’t’être ben qu’y trouvait qu’ça chlinguait l’gaz toxique.

— Tu vas pas cafter à m’ame Bascombe, hein ? demanda Alf. Elle nous foutra au lit sans dîner, et j’suis à moitié mort, tellement j’ai la dalle.

— Oui ? Eh bien, il fallait y penser plus tôt, assena Eileen. Maintenant, on y va.

Aucun des deux ne lui emboîta le pas.

— On t’a entendue jaser avec ces gus, prévint Alf.

— La mère Bascombe, elle dit comme ça que les filles convenables, ça baratine pas les drilles, renchérit Binnie. On la ferme si, toi, tu la fermes sur ce qu’on a fait.

Ces deux-là sont depuis longtemps des grandes personnes, spéculait Eileen, et on les a envoyés en prison, ou à la potence !

Elle regarda autour d’elle, dans l’espoir que le pasteur allait réapparaître et voler à son secours, puis elle leur enjoignit :

— En route ! Dans l’instant ! Il fera bientôt nuit.

— Y fait déjà nuit, constata Alf.

C’était vrai. Pendant qu’elle se colletait avec Theodore et parlait avec le pasteur, les dernières lueurs de l’après-midi s’étaient évanouies, et le manoir était à près d’une heure de marche, la plus grande part à travers bois.

— Comment qu’on dégottera l’chemin dans c’te sac à charbon ? demanda Binnie. T’as une lampe de poche ?

— C’t interdit, tête de nouille, se moqua Alf. Si les Boches y zieutent la lumière, y balancent une bombe. Et toi, boum !

— J’sais où l’révérend escamote sa torche, annonça Binnie.

— Pas question d’ajouter le cambriolage à la liste de vos crimes, protesta Eileen. Nous n’aurons pas besoin d’éclairage si nous avançons vite.

Elle attrapa la manche du garçon et le manteau de sa sœur et les propulsa vigoureusement jusqu’à ce qu’ils aient dépassé le presbytère et traversé le village.

— M’sieur Rudman, y dit qu’les Boches, y s’planquent dans les bois, la nuit, prétendit Alf. Y dit qu’y a trouvé un parachute dans son pré. Y dit qu’les Boches y tuent les enfants.

Ils avaient atteint l’extrémité du village. La petite route qui menait au manoir s’étirait devant eux, déjà plongée dans l’obscurité.

— C’est vrai ? interrogea Binnie. Qu’y tuent les enfants ?

Oui, pensa Eileen, se remémorant ceux de Varsovie, et d’Auschwitz.

— Il n’y a pas un seul Allemand dans les bois.

— Y en a, affirma Alf. Tu peux pas les voir parc’qu’y se planquent en attendant l’invasion. M’sieur Rudman, y dit qu’Hitler y va nous envahir l’jour de Noël.

Binnie hocha la tête.

— Pendant l’discours du roi, quand personne s’y attend, vu qu’y sont tous bien trop occupés à rigoler du bé-bé-bé-bégaiement du roi.

Et avant qu’Eileen ait pu lui reprocher son manque de respect, Alf ajouta :

— Non, tout faux. Y va nous envahir c’te nuit.

Il désigna les arbres.

— Les Boches vont sauter des bois, cria-t-il à tue-tête à Binnie, et nous percer à coups de baïonnette !

Il en fit la démonstration, et sa sœur se mit à le frapper.

Quatre mois, soupirait Eileen, tandis qu’elle les séparait. Il ne me reste plus que quatre mois à passer avec eux.

— Personne ne se prépare à nous envahir, annonça-t-elle fermement. Cette nuit, ou n’importe quelle autre nuit.

— Comment tu sais ça ? s’enquit Alf.

— On peut pas savoir c’qui n’est pas encore arrivé, assena Binnie.

— Pourquoi y va pas nous envahir ? insistait Alf.

Parce que l’armée britannique s’échappera de ses griffes à Dunkerque, et parce qu’il perdra la bataille d’Angleterre. Il bombardera Londres pour mettre les Britanniques à genoux, mais cela ne marchera pas. Ils lui résisteront. Ce sera leur heure de gloire. Et cela lui fera perdre la guerre.

— Parce que j’ai confiance dans le futur, assura-t-elle.

Et, affermissant sa prise sur les deux enfants, elle s’enfonça dans l’obscurité.

Collège de Balliol, Oxford, avril 2060

Les projets les mieux élaborés…

Robert Burns, To a Mouse

Quand Michael revint de Garde-robe, Charles se trouvait dans leur appartement.

— Que fais-tu là, Davies ? demanda-t-il.

Il s’arrêta en plein milieu de ce qui ressemblait à un mouvement d’autodéfense, sa main droite raidie devant lui, la gauche protégeant son estomac.

— Je croyais que tu partais cet après-midi.

— Non, répondit Michael d’un ton dégoûté. (Il drapa sa tenue blanche sur une chaise.) Mon transfert a été reporté à vendredi, ce qu’ils auraient pu m’apprendre avant que j’aille me faire implanter mon accent américain. Ça m’aurait évité d’arpenter Oxford pendant quatre jours en ayant l’air d’un parfait imbécile.

— Tu ressembles toujours à un idiot, Michael, se moqua Charles, tout sourires. Ou devrais-je t’appeler par ton pseudo de couverture, de façon que tu puisses t’y habituer ? Qu’est-ce que c’est, au fait ? Chuck ? Bob ?

Michael lui tendit ses plaques d’identification.

— Lieutenant Mike Davis, lut Charles.

— Ouais. Je prends des patronymes aussi proches du mien que possible depuis que les segments de cette mission sont si courts. Quel est ton nom pour Singapour ?

— Oswald Beddington-Hythe.

Pas étonnant qu’il s’entraîne à l’autodéfense, conclut Michael tandis qu’il posait sur le lit les chaussures que Garde-robe lui avait fournies.

— Quand pars-tu, Oswald ?

— Lundi. Pourquoi ton saut a-t-il été reporté ?