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— Ne lui enviez pas ce qu’il a trouvé ici, murmura celui-ci. Cela pourrait s’arrêter n’importe quand. »

Chris découvrit Sue Sampel tout près de s’endormir, seule dans sa chambre sombre. « Marguerite est déjà partie, dit-elle. Chris ? C’est vous ? Chris ? Qu’est-ce qu’il y a, Marguerite s’est perdue ?

— Je n’arrive pas à contacter son serveur. Pas de quoi s’inquiéter. »

Elle bâilla. « Racontez pas de conneries. Vous, vous vous inquiétez.

— Rendormez-vous, Sue.

— Je crois que je vais le faire. Je crois qu’il faut. Mais je sais bien que vous mentez. Chris ? Ne vous perdez pas dans le noir, d’accord ?

— D’accord », promit-il. Même s’il n’avait aucune idée de ce qu’elle voulait dire par là.

Il parcourut le couloir d’un bout à l’autre, en ouvrant les portes. À part la chambre dans laquelle Adam Sandoval reposait immobile et comateux, il ne trouva qu’espaces de rangement vides, armoires pharmaceutiques verrouillées, salles de réunion inoccupées et bureaux plongés dans le noir.

Son serveur bourdonna dans sa poche. Il le sortit et répondit à Élaine, qui l’informa que l’infirmière de nuit avait appelé la sécurité et que le personnel de service entamait une recherche systématique dans toutes les pièces. « Mais il se passe aussi quelque chose à l’Œil. J’ai eu Ari Weingart, qui m’a dit qu’on évacuait l’Allée de l’Observatoire. »

Chris regarda le serveur dans sa main : si le sien fonctionnait, pourquoi pas celui de Marguerite ou de Tessa ?

Si Marguerite et Tessa manquaient toutes deux à l’appel, cela signifiait-il qu’elles étaient ensemble ? Et si elles ne se trouvaient plus dans le bâtiment, où étaient-elles parties ?

Il regagna les épaisses portes en verre de l’entrée. Si Marguerite avait quitté la clinique, elle aurait pris la voiture. Impossible de voyager autrement ; par ce temps. Si l’automobile avait disparu, il pourrait peut-être en emprunter une autre et la suivre.

Mais la conventionnelle et urbaine petite automobile de Marguerite n’avait pas bougé de l’endroit où Chris l’avait garée, les roues sur le trottoir, sous une nouvelle couche de neige. Il ouvrit la porte et la neige entra dans la clinique, portée par un vent passager, petits flocons se transformant en diamants détrempés sur le sol carrelé.

Dans son dos, Élaine lui mit la main sur l’épaule. « C’est bizarre, d’accord, mais il faut que tu te calmes.

— Tu crois que Ray a quelque chose à y voir ?

— J’y ai réfléchi. Ari dit qu’il a eu Shulgin au téléphone et que Shulgin a parlé à Charlie Grogan. Ray est quelque part à l’Œil. »

Chris garda la porte entrouverte, laissant l’air glacé lui caresser le visage. « Elle était juste là, en train de jouer avec ce foutu camion en bois. Les gens ne disparaissent pas comme ça. »

Et pourtant si, pensa-t-il. Ils vous filent comme de l’eau entre les doigts.

« Monsieur Carmody ? » l’interpella Rosalie Bleiler, l’infirmière de service. « Pourriez-vous fermer cette porte, s’il vous plaît ? Elmo, je veux dire Elmore Fisk, notre garde de nuit, aimerait vous voir à l’entrée de service.

— Il a trouvé Tess ? »

Le ton de sa voix fit tressaillir Rosalie. « Non, monsieur, mais il a trouvé des empreintes d’enfant là-bas dans la neige. »

Tess n’était pas habillée pour sortir. « A-t-il suivi ces empreintes ? »

Elle hocha la tête. « Jusqu’à environ cinquante mètres après le parking visiteurs. Mais c’est justement là le problème. Il dit que les empreintes ne vont nulle part. Elles s’arrêtent d’un coup. »

Trente

Jusqu’à ce jour, il y avait eu sept tentatives sérieuses pour sortir de Blind Lake. Trois d’entre elles avaient vu les mini-drones mettre à mort les personnes ayant franchi la clôture et pénétré dans la zone interdite. Les forces de sécurité avaient mis fin à quatre autres tentatives à l’intérieur de Blind Lake. La dernière était celle d’un traiteur souffrant d’agoraphobie qui avait choisi d’escalader seul la clôture mais dont le courage s’était évanoui à mi-hauteur. Le temps que la Sécurité le trouve et le convainque de redescendre, il souffrait de gelure aux doigts des deux mains.

Herb Dunn, un vétéran de la Marine de cinquante-deux ans, travaillait à la Sécurité civile depuis que, dix ans plus tôt, la succursale de FedEx à Fargo avait réduit ses effectifs. La quarantaine de Blind Lake avait coupé la communication entre Herb et ses créanciers (dont deux ex-femmes), ce dont il ne se plaignait pas. Seul l’accès aux derniers films et aux sites Web érotiques lui manquait, Quand il eut compris qu’il n’allait pas attraper la peste ou quoi que ce soit, Herb s’était installé dans le blocus sans vraiment d’inconfort.

Sauf cette semaine. Cette semaine, il était de ce que la Sécurité appelait Patrouille du Petit Jour, le tour de garde le moins apprécié de tous. La Patrouille du Petit Jour consistait à envoyer un type en véhicule tout-terrain faire le tour de la clôture, sans doute pour sauver les mécréants de leurs propres et malencontreuses tentatives d’évasion. La Patrouille du Petit Jour n’avait encore jamais trouvé un seul mécréant, mais Herb lui supposait un certain effet dissuasif. Ce jour-là, étant donné la saloperie de tempête subie par Blind Lake durant la nuit, Shulgin lui avait dit de raccourcir son circuit : juste un aller-retour au portail principal. Cela n’avait malgré tout rien d’une partie de plaisir.

La neige avait commencé à se calmer lorsqu’il sortit du garage, mais un vent féroce soufflait hélas du nord-ouest. Les véhicules de la Sécurité, des Honda à conduite intelligente munies de pneus à roulement mutable, étaient de bonnes machines ; Herb pensait néanmoins qu’une motoneige se serait montrée plus efficace.

Un chasse-neige avait dégagé la route principale partant de Hubble Plaza, au centre, mais seulement jusqu’au lotissement du personnel, en direction du sud. Ensuite, et jusqu’à la clôture, ce n’était que neige soufflée et dérivante, flocons trop épars pour dissimuler la route mais pas pour ralentir la Honda. Herb se consola un peu en pensant que son déplacement n’avait rien d’urgent ni d’indispensable, ce qui lui rendit les retards plus faciles à supporter. Il trouva une position plus confortable dans la chaleur embuée de la cabine et essaya de se représenter son actrice favorite du moment dans une nudité totale. (Chez lui, il avait des applis de vidéoservice pour cela.)

Quand il arriva au portail principal, l’aube avait eu le temps de venir et de disparaître. La lumière suffisait désormais à marquer les limites de son champ de vision, une bulle de neige soufflée par le vent autour de la cabine de la Honda et une portion de nuages pesants dans un ciel qui ressemblait à une rivière boueuse.

Il atteignit le point de demi-tour au portail principal – aucune audacieuse tentative d’évasion en cours – et s’arrêta, moteur au ralenti. Il fut tenté de fermer les yeux et de récupérer un peu du retard de sommeil qu’il avait pris en regardant de vieux téléchargements jusqu’après minuit alors qu’il devait se lever à 3h30 afin de se préparer pour cette expédition qui ne rimait à rien. Mais si on le surprenait à dormir, il se retrouverait de Patrouille du Petit Jour jusqu’à la fin des temps. De toute manière, le café du petit déjeuner avait fait son chemin en lui et il ressentait le besoin pressant d’écrire son nom dans la neige.

Il descendait de la Honda dans la matinée glaciale lorsque les nuages bas se levèrent. Il vit alors quelque chose bouger de l’autre côté du portail principal. Quelque chose dehors dans le noman’s land. Quelque chose de gros. Il crut d’abord à un de ces camions de livraison robotisés chargés de vivres et de fournitures, mais lorsque le vent vira à nouveau, il vit plusieurs autres formes incertaines. Des machines énormes, juste à l’extérieur de la clôture.