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Il lui sourit d’une manière qui ne plut pas à Élaine, à la fois triste et désolée. Elle décida qu’elle détestait tous les jeunes hommes au regard malheureux.

« Occupe-t’en, Élaine, dit-il. C’est ton article. À toi de raconter l’histoire. »

Élaine l’observa qui introduisait son grand corps dans la voiture et partait à une vitesse imprudente entre les flocons qui continuaient à tomber.

De sa chaise, où il ressemblait à un bouddha tassé dans un fauteuil de compagnie aérienne, Sébastian Vogel lui dit : « Je crois que j’ai fini par comprendre. »

Élaine s’assit avec lassitude à côté de lui. « Par pitié, assez de conneries métaphysiques. » Elle avait à faire. Il fallait qu’elle remballe son serveur et ses notes manuscrites pour les garder sur elle, même si un bureaucrate armé voulait les lui confisquer. Qu’elle se prépare à retrouver le monde extérieur, quoi qu’il soit devenu, avec ses pèlerins, ses avions qui s’écrasaient, ses barrages routiers à l’est du Mississippi.

« Depuis Crossbank, dit Sébastian, je me demande pourquoi vous avez accepté cette mission. Une journaliste scientifique expérimentée, engagée par un magazine new-yorkais clairement de deuxième zone pour traiter un sujet déjà rabâché à mort, en partageant de surcroît les feux de la rampe avec un théologien excentrique et un colporteur de ragots discrédité. Dès le début, j’ai trouvé que ça ne tenait pas debout. Mais je crois comprendre, maintenant. Tout ça, c’est à cause de Chris, pas vrai ?

— Oh, allez vous faire foutre, Sébastian.

— Vous avez lu son livre, vous avez suivi son histoire dans la presse, vous avez assisté à son témoignage devant le Congrès. On vous a peut-être même tuyautée sur les problèmes éthiques de Calliano. Vous avez vu Chris se faire clouer au pilori, et vous saviez qu’il avait raison malgré tout le scandale et la mauvaise presse. Vous vous êtes intéressée à lui. Il vous rappelait peut-être ce que vous étiez à son âge. Vous avez accepté ce boulot pour pouvoir le rencontrer. »

C’était d’autant plus agaçant que Sébastian ne se trompait pas. Élaine fit appel à son plus féroce regard allez-vous-faire-voir.

« Vous a-t-il déçu ? demanda Sébastian. En tant que projet personnel ? »

Je n’ai pas le temps pour cela, se dit Élaine. Le manque de sommeil lui tournait la tête. Peut-être pouvait-elle rester assise là jusqu’à ce que les soldats viennent la chercher. Après tout, elle avait stocké tout son travail important dans son serveur de poche, et il faudrait qu’ils l’arrachent à son cadavre pour le lui prendre. « Quand j’ai rencontré Chris, je me suis dit qu’ils l’avaient brisé. Il était malheureux, cela crevait les yeux : il n’écrivait pas, sa consommation de drogues douces manquait un peu de modération et il se traînait une culpabilité bien trop lourde pour lui.

— Je ne suis pas sûr que son expérience avec Galliano en soit la seule cause.

— Sans doute pas. Je me suis juste dit…

— Vous avez voulu lui donner un coup de main, dit doucement Sébastian.

— Oui. Je suis une foutue sainte. Maintenant, fermez-la.

— Vous avez voulu lui transmettre un peu de votre cynisme.

— S’il apprenait à ne pas s’impliquer, il serait meilleur journaliste.

— Mais peut-être pas meilleur en tant qu’être humain.

— Là n’est pas mon propos.

— Ce dont il a besoin, Élaine, je le dis sans méchanceté, mais ce dont il a besoin, vous n’étiez pas en mesure de le lui donner.

— Dixit le gourou. » Elle se mordit la lèvre. « Et donc, vous en pensez quoi ? Vous pensez qu’il l’a trouvée ? Cette chose dont il a besoin ?

— Je crois qu’il est justement en train de la chercher », répondit Sébastian.

Sur le chemin de l’Œil, Chris croisa plusieurs voitures qui en partaient. Le bruit se répand que le siège est terminé, devina-t-il, et du coup le personnel de nuit quitte les installations.

Malgré le petit jour, la route restait délicate. Il vit plus d’une automobile abandonnée dans le fossé et des employés vêtus d’épaisses parkas faire signe à leurs collègues pour qu’ils les emmènent.

Il passa le poste de garde désert et se rendit directement à l’entrée de l’Œil, où il trouva Charlie Grogan occupé à faire sortir des retardataires dans l’air glacé du matin. Le bruit des sirènes se heurtait au vent déchaîné.

« Absolument impossible, décréta Charlie lorsque Chris lui eut expliqué ses intentions. Le bâtiment a subi une espèce de secousse tôt ce matin et il y a eu ensuite des problèmes électriques et de communication divers et variés. On a des protocoles stricts pour des situations de ce genre. Je ne peux laisser personne entrer dans le bâtiment avant qu’il n’ait été déclaré structurellement sain. Et même une fois inspecté, il y aura le problème du confinement cryogénique. » La tristesse se peignit sur son visage. « Les O/BEC sont sans doute déjà morts.

— Tessa est là-dedans.

— Que vous dites, monsieur Carmody, mais j’en doute fort. Nos gars de la Sécurité ont dirigé l’évacuation de manière très méthodique. Et de toute manière, que ferait Tessa ici à 5 heures du matin ? »

Elle chercherait la Fille-Miroir, se dit Chris. « Ce ne serait pas la première fois qu’elle entre dans le bâtiment sans que personne ne s’en aperçoive.

— Vous avez vraiment une raison valable de croire Tess là-dedans ?

— Oui.

— Vous voulez bien me la donner ?

— Désolé. Il va falloir me faire confiance.

— Désolé aussi, écoutez, même si elle est à l’intérieur, on a des gens de la Sécurité de Blind Lake qui vont entrer. Ils peuvent peut-être vous conseiller.

— Charlie, vous feriez bien de vérifier. J’ai entendu dire qu’on redirigeait les hommes de Shulgin sur le portail sud.

— Quoi, à cause de ces militaires qui arrivent ?

— Appelez Shulgin. Demandez-lui quand vous pouvez espérer voir arriver un détachement de la Sécurité. »

Charlie soupira. « Écoutez, je vais en discuter avec Tabby Menkowitz, peut-être qu’elle a moyen de trouver un volontaire chez nous pour faire le tour de…

— Si Tess voit un étranger, elle se cachera. Dans une aussi grande installation, je ne doute pas qu’une fillette de onze ans saura éviter de se faire prendre.

— Mais elle se montrera pour vous ?

— Je crois qu’il y a des chances, oui.

— Vous avez l’intention de faire comment, d’explorer toutes les pièces du bâtiment ?

— La dernière fois, vous l’avez trouvée dans la galerie O/BEC, pas vrai ?

— Ouais, mais…

— Ce sont les O/BEC qui l’intéressent.

— Je pourrais perdre mon boulot, dit Charlie.

— Est-ce vraiment un problème, à ce stade ?

— Merde, Chris. » Puis : « Si ça finit mal et qu’on retrouve votre corps dans les décombres, qu’est-ce que je suis censé dire ?

— Que vous ne m’avez pas vu.

— Si seulement. » Le serveur de Charlie bourdonna dans sa poche, il l’ignora. « Bon, écoutez. Prenez ça. » Il tendit à Chris son casque rayé de jaune. « il a un transpondeur intégré. Ça vous donnera des privilèges d’urgence passe-partout s’il reste encore un minimum de sécurité automatique en état de marche. Mettez-le. Et si vous ne trouvez pas Tess là où vous pensez la trouver, tirez-vous au plus vite, d’accord ?