Et puis tout le monde bajaffe un bout. Ils sont tellement dissemblables, tous les six ! Hétérochoses, si tu vois où je ne veux pas en venir ? Les deux poussahs repoussants jaunes, la déesse ambrée, l’athlète noir, la marquise de plâtre, l’obèse rougeoyant ! Tellement peu faits pour se trouver réunis que c’en devient une espèce d’œuvre d’art ! Une fresque turpide de l’absurde, du grotesque, de l’hyperbaroque.
Dix minutes plus tard, ils torchent leurs verres et se répandent. Par deux. Jérémie avec Manuella, puis les deux lutteurs du Mikado d’anniversaire, n’ensuite Bérurier et la marquise. Je reste seul devant mon Dubonnet. Pardon, j’avais dit un Pims’, je m’en dédis pas. Putain, cette affaire ressemble à un jardin japonais. Sauf que les bonsaïs sont gros comme des baobabs ! Où est le terrorisme dans tout cela ? On badine, on boit du champ’, on lutine. Ça tourne en rond. Et bibi devient le vieux con qu’il souhaitait paraître. Me pousse de la mousse aux articulations et des roulettes sous les pinceaux.
Je laisse choir ma canne. Une jeune femme qui passait par là se penche pour me la ramasser. J’ai le temps d’apercevoir deux loloches de première classe sur les bouts desquelles la main de l’homme doit souvent mettre la bouche !
— Merci, madame, vous êtes bien aimable, chevroté-je.
Elle sent bon, elle rit jeune, son cul ressemble à deux melons d’Israël dans un filet à provisions. Pour lors, je m’en trouve ragaillardi.
— Fallait pas vous donner c’te peine, petite maâme, gazouille une voix d’orang-outan enrhumé ; ça lu fait du bien d’ se baisser un peu, grand-père. Y n’est tout de même pas encore dans un état comm’ ma queue[8].
La serviable au dargif ensorceleur sourit et s’esbigne. Le Mastard prend place en face de moi.
— C’est fou c’ que tu prends un coup d’ buis quand t’est-ce j’ sus plus av’c toi, ricane-t-il.
Il consulte sa tocante.
— J’ai l’ temps d’écluser un pot : ma marquise est z’en train d’ se mignarder le baigneur en prévision de ma troussée du soir et ça y prend une bonne d’mi-heure.
— Ainsi donc, tu m’as reconnu, penaudé-je.
Il rit gras comme un chemin vicinal du Nord à l’époque des betteraves.
— En passant la lourde, j’ t’ai retapissé bille en tête, mec ! Técolle, tu pourrais affubler une soutane blanche pour t’ déguiser en cardinal, de dos j’ saurais qu’ c’est toi !
— Tu as fait ami-ami avec les goret’s brothers, à ce que je vois ?
— On est cul et chemise, les trois.
— Lequel des deux Japs fait la chemise ?
Mais les facéties du premier degré restent plus absconses pour lui qu’une affiche égyptienne annonçant le mariage de Ptolémée XIV avec sa frangine.
— D’après selon c’ que je croye comprend’, grand, t’as branché le négro sur la potesse à mes lards jaunes ?
— Affirmatif.
— Et ta pomme, tu chiques les gâteux pour supervisionner la noce ?
— Textuel. Tu me racontes, ta copinerie avec ces messieurs ?
— Fastoche. Y nous ont pris en train de bouillaver dans le téléphéérique, moi et Antonella ; parce qu’y a un p’tit téléphéérique à Rotberg, pour descend’ au village. Une cabine de tout juste huit places, qu’ tu commandes soi-même en appuillellant sur un bouton, kif un encenseur, tu mords ?
— Et alors ?
— Bon, on rentrait d’la vallée où qu’on était été faire des emplettes, moi et la marquise. Et soudain, d’ traverser ces sapins, et la cabine qui trinquebale, je chope le goumi. La vieille, toujours partante, m’ conjure d’ lu placer Popaul dans le module d’haute fréquence. Et rran ! V’là-t-il pas que je bourre la reine dans l’ téléphéérique. Là-bas, c’est plein de petits z’écureuils farceurs qui nous adressaient des mignons encouragements au passage.
Il s’interrompt pour appréhender le serveur galonné.
— Garçon : du champ’, plize ! Comment ça, une coupe ? V’ v’ f’tez de moi, mon grand ! Qu’est-ce v’ dites ? Un quart ? Ai-je-t-il la gueule à boire des quarts ? Répondez-moi en silence. Non, hein ? Une demie ? Franch’ment y me croive malade, ce gus ! D’mande à mon grand-père ici présent si j’ serais l’homme des demi-m’sures ! Une boutanche entière, mon pote ; et au trot, j’ai une créature de rêve qui se fourbit le fion en m’attendant. Qu’est-ce tu dis ? T’as pas de grande boutanche frappée ? Fais-toi pas d’souci : j’la frapperai moi-même, c’est pas la force qui m’ manque ! Bon, où en étais-je-t-il, Sana ? Oui : la bouillave dans le téléphéérique. La marquise, sa ramonée céleste, elle raffolait. La cabine dodelinait dans les azurs. On se croillerait dans une nacelle.
« Des moments, comme y avait un chouïa de zef, je déjantais. Et puis bon, on arrive au terminus avant d’avoir fini not’ besogne. J’la calçais en levrette, la mère. Ça s’ prêtait, l’ plancher étant en pente. J’en avais rien à cirer qu’on soye parvenus à destine, j’ continuais d’embroquer en père Turbable qu’ j’ sus. Et j’y fignole la brosse, médème. Stoppant à des moments pour y créer l’ manque qu’exalte toujours les rombiasses. Un petit coup de pourliche dans la moniche avant de lui renquiller l’ trésor. Du bel art, tu m’connais, pépé ? On termine notre performance. Elle était aux questches, Antonella. Lessivée à mort. Chez elle, j’ai toujours peur qu’ le guignol me lâche dans un transport ; à son âge, tu penses. Déjà qu’elle se cogne des bonbonnes de Végétaline pour s’ mett’ le palpitant au pli.
« Brèfle, je l’aide à s’rel’ver. Qu’à cet instant, qu’est-ce j’aperçois-je, leurs frimes déjà plates écrasées cont’ les vit’, ces messieurs les colosses ! En train d’ se marrer comme des citrouiles entamées. Quand j’ai sorti du téléphéérique, y m’ont gratulé comme si je viendrais d’ remporter l’ marathon du Salaud-de-Paulo. On se comprend un peu biscotte y causent anglais EUX AUSSI ! N’à partir d’ c’t’ instant, on s’est plus lâchés, les quatre ! La baise, ça les amuse pis qu’ les films à Defuneste. Chaque fois que j’enfile la marquise, faut qu’ je les préviende pour qu’y matent la séance à la chambre. Y z’apportent du saké, et puis, naturellement, leurs appareils photo : japonais, comme ils sont, tu penses ! J’ t’arrête tout d’suite ; y a rien de viceloque là-dessous. Eux, la pointe connaissent pas. Ça leur sert juste à pisser. Y nous regardent comme si on s’rait Son et Loupiote sur l’Acre Paul, tu saisis ? C’est des visuels, quoi ! Des artiss dans leur genre. Y z’admirent le boulot, la grâce, la souplesse. Y nous considèrent comme des danseurs. La marquise, pour eux, elle est coryphédrine à l’Opéra et moi Roland Petit, en gros. Tu mords ? J’ sais pas si y sont terroriss dans la vie, mais dans l’ private, tu peux pas trouver plus gentils garçons. Et bouffeurs, là, champions ! Tu voudras qu’ j’ te dise ? C’est pas d’ gaieté d’ caeur. Eh ben, y m’ battent à table. Avant-hier, on a fait un concours. On est été dans un restau faire la clinique buissonnière. On s’est commandé trois dindes : une chacun ! J’ai dû déclarer vingt culs ! Ce sont z’eux qu’a fini la mienne ! J’ai honte visse-à-visse d’ la France d’être étalé par ces Niacouets, mais c’t’ ainsi, mon pote ! Faut s’ faire mettre ou s’ résolver. »
Il stoppe son interminable tirade pour vider à moitié la bouteille de Dom Pérignon qui vient de lui être amenée. D’énormes rugissements, mêlés de feulements en consécutent, créant la panique dans le bar à peu près plein à cette heure. Les consommateurs croient que les pensionnaires d’une ménagerie se sont échappés et investissent l’hôtel. Des dames hurlent d’effroi. Un homme d’affaires du Moyen-Orient tire son parabellum de voyage de son attaché-case, prêt à défendre chèrement sa vie et son H.