Le Gros qui sort de cure n’en a[9].
— En somme, vous êtes devenus inséparables ?
— C’est pas le rêve pour un drauper, ça, Tonio ? Les gars qu’il doit surveiller deviennent ses amis d’enfance et l’invitent de viendre av’c eusss !
— L’exploit, mec. T’ont-ils dit ce qu’ils venaient faire à Paris ?
— Trouver la fille qui les manage, paraît-il. Qu’après quoi, y d’vront z’aller à London dans un grand théâtre pour s’ reproduire.
— Et tu leur as dit que tu travaillais dans quoi ?
— Dans rien. J’ vis d’ mes rentes. Mon côté fils à papa, Sana. Je chique les p’tits lords désœuvrés quand j’ m’en donne la peine. Le play bosse de lusc, c’est bibi.
Un silence ! De courte durée, car il écluse la boutanche complète et le gaz part ! Dans toutes les directions ! Mais cette fois, les voisins ont pigé la source de ces cris de bêtes féroces et ne s’en formalisent plus. La jungle, la savane, la forêt vierge, ils savent qu’un seul et même individu les assume. Un gros dégueulasse qui est Disneyland à lui tout seul.
— Et ta marquise, c’est le grand amour ?
Là, il devient grave comme une motte de beurre en train de rancir. D’un geste lent et noble, guérisseur d’écrouelles, il avance sa dextre au-dessus de la table. Je découvre alors, à son petit doigt, une énorme chevalière armoriée qui doit bien peser quatre cents grammes.
— La bagouze de feu le marquis Roubignoli, murmure avec onction et même j’ajouterais componction, le Valeureux. Tu t’rends compte si faut qu’é m’aime ! C’est comme si qu’é m’aurait élu marquis. Mate, grand, y a ses armoireries gravées su’ l’ chaglat de la chevaleresque. « De gueule de bois su’ fond d’ tiroir », ou une chose commak, m’a expliqué Antonella. Ces taquets à bouc qu’ j’ vais pouvoir placer, av’c un coup-de-poing amerlock pareil, mec !
« Au départ, si tu t’ rappelleras, j’ la trouvais un peu flacse, la vioque. Trop pendouillante ; le bide plissé soleil autour du nombrille. J’avais tendance à la fourrer dans un pli plutôt qu’ dans l’ frizounet. Et puis j’ m’ai fait à sa tartarie : Elle s’ donne tellement d’ mal pour baiser kif Marie-en-toilette, qu’ j’y ai pris goût. Quand t’es un authentique chevalier d’ la tringlette et qu’ tu tombes sur une passionnée, tu peux pas lui passer l’outre. Faut qu’ tu vas viv’ ton histoire d’amour jusqu’au bout ! »
— Que vas-tu en faire ?
— Y présenter Berthy. C’est conv’nu. Elle va nous ach’ter un p’tit hôtel particulier qu’on s’installera, les trois. Elle habitrera le reste-chaussée, nous le first étage ; qu’ainsi, je lui flanqu’rai sa troussée cosaque dans les baguettes avant d’ monter chez moi. C’t’ un femme richisseuse ; bourrée à l’osier. L’ soleil n’ se couche jamais sur sa fortune, comme pour l’empereur Arlequin. Ell’ a des plantations d’ macaronis en Amérique du Sud, des élevages d’ chevals en Normandie, des vignobs en Italie. Elle fait même son huile, c’ qui fait son beurre ! Je croye qu’en m’arrangeant bien, elle va m’adopter, sans qu’ je perdisse la natiolite française, j’ m’empresse d’ t’ dire. Juste s’ajoutrererais son blaze au mien : Alexandre-Benoît Bérurier de Roubignoli, et allez donc ! Roulez !
Il consulte une montre en or, made in Cartier, dernier modèle : la Pasha de plongée avec grille protectrice, pour scaphandrier.
— Un aut’ cadeau ! m’explique-t-il. Ell’ n’ fait qu’ ça. C’t’ un jeu, ent’ nous ; un peu mutin faut conviendre. Ell’ se le carre dans le chatounet et j’ dois aller l’ chercher av’c les ratiches. Chaque coup, c’t’ crise de marrade, si tu saurais !
— Tu me préviendras l’ jour où elle t’offrira une Rolls, fais-je, j’aimerais voir ça.
Béru rigole volontiers, puis se dresse :
— Bon, faut qu’ j’aille au labour, gars. D’autant que mes deux potes Okimono et Onumonku doivent déjà t’ êt’ aux avant-postes dans not’ piaule pour l’enfilade du soir. En dehors d’ leur voyerie, y a qu’une chose qui les passionne : les puzzelages. L’aut’ jour, y z’en ont réussi un de quai’ mille pièces qui r’ présentait à l’arrivée l’ drapeau japonouille. T’ sais qu’y faut le don pour parviendre à mett’ en place tout ce ch’nil ! Qu’est-ce tu branles, toi ?
— Je vaque, laconiqué-je.
— Eh ben, vaque bien, mon pote ! Moi, je nique ! Pas d’ consignations particulières ?
— Non, continue de fréquenter tes hippopotames et de faire reluire ta centenaire.
— Tchao, monseigneur !
D’abord, il doit passer la lilliputienne bande sonore par un ampli, Mathias, après l’avoir trempée dans un bain de Claustrophobine Mulatier au Ricord condensé de Morchoisne.
J’aime bien le regarder manœuvrer, le Rouillé. D’abord parce qu’il fait des choses que je ne saurais pas faire moi-même, ce qui est toujours passionnant à suivre, ensuite parce qu’il agit avec des gestes précis, précieux, retenus d’artificier désamorçant une bombe.
Phase terminale : le magnétophone.
On entend la cacophonie des converses. Beaucoup de bruits d’ambiance. Il lui faut sélectionner les répliques en japonais. Pour cela, il use d’un filtre Barrayer et Sardat, qui a valu à son inventeur le prix Nobel de physique l’année où il a fait si chaud. Cette étonnante invention permet de « sortir » des répliques piquées dans un bavardage général, prouesse s’il en est, car tout se chevauche dans un lieu public.
— Ça devient audible, il me semble ? fais-je, remisant mon impatience sur le rayon du haut de mon déterminisme, ainsi que l’a écrit récemment Michel Rocard dans son fameux traité sur le ballon-sonde.
Mathias prend son air pénétré de mélomane, décrit plus précédemment dans un chapitre presque aussi beau que celui-ci.
Kif la first fois, il annote.
Quand la bande est parvenue en fin de course, il coupe le contact.
— Les deux Japonais expliquent à la femme que Bérurier est un imbécile de flic attaché à leurs personnes. Ils ont pris le parti de devenir copains avec lui pour mieux le neutraliser. Elle répond qu’ils ont bien fait et qu’elle va se mettre en rapport avec les « Samouraïs » pour demander des instructions à ce propos. Elle ajoute que ce grand con de nègre est flic également et qu’elle a reconnu un troisième poulet dans le faux vieillard stupide assis à deux tables derrière elle ! (Gueule de faux vieillard stupide). Ensuite, poursuit Mathias, elle s’enquiert de leurs poids. Ils répondent qu’ils ont eu des ennuis de bascules mais que tout est O.K. et qu’ils sont pleinement performants. Ils précisent qu’il ne faudrait pas trop tarder car leur graisse fluctue avec vergetures (et non fluctuat nec mergitur, comme d’aucuns cons pourraient le prétendre à l’Hôtel de Ville de Paris). Et puis c’est tout.
Je souris.
— Double jeu du chat et de la souris, Rouquin. Je te tiens, tu me tiens par la barbichette, le premier qui rira aura Jacques Chazot !
Là, je te préviens, le besoin me chope de dégresser. Alors saute, mon pote, saute jusqu’aux prochains astérixes (et xéril) car je voudrais pas te faire bâiller. Ce qu’il faut de sanglots pour un air de guitare… Et pour un Santantonio, dis ! Qu’est-ce que tu crois ! Ils ne peuvent pas se figurer, tous. Faut surtout pas que je les approche : ils me foutent de l’urticaire à l’âme. Et après, salut ! Va te gratter l’âme ! Ils causent sans comprendre ; sans chercher à comprendre. Ils vivent leur vie au premier degré, tu saisis ? Telle qu’on la leur donne. Caca, maman, pipi, cocu ! Pas plus loin, jamais. Ou si rarement, en si menu nombre que c’est même plus un nombre, mais une ombre de nombre. Ma seule ressource (therminale) c’est de les indigner un peu plus fort chaque fois. Leur en coller jusqu’aux naseaux ; les stupréfier (laisse, laisse, imprimeur, j’ai bien écrit stupréfier). Faut pas que je craigne, je timore beaucoup trop. Je laisse la barre trop basse ; un jour ça va leur partir dans les yeux comme une belle giclée de foutre. Ils vont même plus pouvoir tenir le book, tant tellement qu’il sera brûlant. Hard, tu saisis ? Hard abominablement. Faudra que j’écrive avec un piment rouge trempé dans du vitriol. Que ça corrode indélébilement. Tatouage en creux ! Le roman-intaille ! Mais qui sait ce qu’est une intaille parmi ces trous d’incultes ? O maman ! reprends-moi et va me refaire plus loin, sur Mars ou Vénus, et encore ce serait trop près ; habiter la même galaxie qu’eux, merci bien !