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Quand son camarade eut achevé sa miction, il le héla :

— Viens m’aider, on va voir à quoi il ressemble.

Ils conjuguèrent leurs efforts pour retirer le vieillard de sa terrifiante posture. Le spectacle faillit les faire vomir. La tête du bonhomme n’était plus qu’un formidable grouillement noirâtre ; un essaim mouvant d’où sourdaient du sang et des plaintes. On ne distinguait plus les yeux, ni la bouche.

La femme se mit à hurler de manière hystérique. Ses nerfs craquaient brusquement à la vue de cette insoutenable image.

— On le renfourne ! décida le tortionnaire.

Pendant la période où ils avaient dégagé le vieil homme de la termitière, un flot de bestioles s’était échappé de leur édifice et un grand nombre d’entre elles fourmillaient sur la femme ligotée.

Elle hurlait toujours.

— Au lieu de gueuler, vous feriez mieux de parler, lui dit leur bourreau ; ce serait plus positif. On sauverait ce qui subsiste de gueule à votre vieux crabe. Et vous couperiez à la corvée. Moi, je vous trouve plutôt pas mal, j’en ai niqué des moins bien que vous. Ce serait dommage de vous détruire.

Sa voix avait quelque chose de conciliant, de presque aimable. Elle cessa soudain de crier et fit un signe d’acquiescement.

— Je vais parler, chuchota-t-elle.

— O.K., un instant !

Il alla prendre le magnéto sur le capot de la Range et le déposa devant le visage de la femme après l’avoir enclenché.

— Allez-y, et n’oubliez rien. Mais faites vite si vous voulez qu’il reste quelque chose de votre type.

Il n’eut pas à la questionner. Elle parla avec précipitation, par salves, comme fonctionne une arme à répétition. Elle avait le souci de ne rien oublier. C’était un abandon total.

Les cris du vieillard se muaient en longs gémissements insoutenables.

L’homme attendit que la femme se tût. Lorsqu’elle eut achevé de parler, il coupa l’enregistreur et s’en fut le replacer dans le sac à dos. Ensuite de quoi, il retira de nouveau le vieillard de la termitière. Le malheureux vivait toujours sous l’essaim qui continuait de le ronger.

— Agrandis encore le trou ! ordonna l’homme.

— A condition que tu sulfates ces saloperies au fur et à mesure ! riposta l’eunuque.

— D’accord !

Ce fut une entreprise délicate, les insectes continuaient de sortir en un flot serré de la cavité qui s’élargissait. Quand le chef la jugea convenable, il sortit un revolver de sa poche et logea une balle au centre de l’essaim. Le vieillard stoppa aussitôt ses gémissements et son corps s’immobilisa. Ils s’en saisirent et le firent glisser tout entier dans la termitière. La femme, terrifiée, assistait à la manœuvre avec des yeux béants d’épouvante. Son horreur était si totale qu’elle confinait à l’incrédulité.

Le grand type revint vers elle, appliqua le canon de son arme entre ses seins et pressa à trois reprises la détente. Ils prirent ensuite la femme et parvinrent à la fourrer dans la pyramide de terre séchée, en compagnie de son mari. Ces différentes opérations avaient permis aux insectes de les assaillir et grouillaient le long de leurs jambes. Il leur fallut des projections longues et répétées du produit insecticide pour qu’ils parvinssent à s’en débarrasser à peu près, mais les bestioles égarées continuaient de vadrouiller dans leurs vêtements ; ils les écrasaient de la main à travers l’étoffe en jurant comme des perdus.

— Et maintenant ? demanda le jeune obèse.

— On rentre ! répondit son compagnon en se hissant au volant.

Le gros rangea son pic et ferma le hayon. Quand il reprit sa place sur le siège passager, il dit, désignant la termitière éventrée :

— On laisse ça ainsi ?

— Tu veux faire quoi ? objecta le conducteur. De la maçonnerie ? Il faut laisser usiner les bestioles, elles en savent plus long que toi sur la question.

HAPITREC II

Moi qui suis sensible aux ambiances, je peux te garantir sur facture que celle de l’Institut Rotberg n’est pas folichonne la moindre.

Magine-toi une immense bâtisse, façon caserne germanique d’avant-guerre, érigée au milieu d’une forêt de sapins dans les Alpes Bernoises. La route d’arrivée la surplombe et un pont unit le parking à l’institut, si bien que le visiteur pénètre dans celui-ci par le quatrième niveau. Après être « monté » jusqu’à lui par une route en lacet, on y « descend » en fin de parcours, ce qui déconcerte.

Les lieux sont plutôt austères, peints d’un vert-gris de feuille d’olivier (sans en avoir le velouté). Escaliers de pierre, rampes de fer, éclairage chichoit, galerie de portraits sur les murs dans des cadres dorés ; t’as un peu l’impression de débouler chez un vieil hobereau bavarois dont l’existence n’aurait été qu’un long bâillement.

Un comptoir d’accueil à l’arrivée, tout de suite après la porte vitrée automatique dont un avis placardé contre annonce qu’elle ne fonctionne plus à partir de 21 heures et qu’il faut sonner le veilleur de nuit ! La nuit commence tôt à Rotberg.

Derrière la banque, deux personnes : une demoiselle blonde et plate, vêtue d’une jupe plissée bleu marine, d’un chemisier blanc et d’une jaquette grise très seyante ; un homme en costume noir, dont le strabisme est à ce point divergent qu’il lui permet de lire deux journaux en même temps ; la peau blafarde, le cheveu plat, séparé par une raie très basse, presque britannique. La demoiselle actionne une machine à calculer. Le mecton écrit dans un grand livre. A première vue on pourrait penser qu’il le fait avec son nez ; mais quand mon approche le redresse, on découvre sous sa poitrine creuse une pauvre main presque entièrement dissimulée par une manche trop longue et qui se crispe sur un porte-plume antédiluvien comme on n’en trouve même plus chez les antiquaires spécialisés dans l’écriturerie.

Mon apercevance le fait se dresser. Il a une courbette comme s’il était Feldwebel dans l’armée allemande et moi le maréchal Goering.

— Repos ! ne puis-je m’empêcher de lui lancer.

Je lui explique que je viens rendre visite à un client de l’institut : M. Alexandre-Benoît Bérurier, et est-ce qu’il se pourrait-il qu’on m’ait une chambre pour la nuit car je suis fourbu par une longue route et j’aimerais récupérer avant de la reprendre.

Mais comment donc, c’est justement la saison basse. Une chambre à un lit me suffirait-t-il-t-elle ?

Je réponds que, depuis ma naissance, j’ai pris l’habitude de dormir dans un seul plumard ; alors, bon, bien, il me vote le 214 qui offre l’avantage de faire couloir commun avec la chambre de M. Bérurier. Ce dernier se trouve pour l’instant à l’hydrothérapie.

Je signe une fiche, souris tendrement à la plate blonde dont le regard vient de se hisser jusqu’à moi et suis un valet en pantalon noir et gilet rayé qu’un timbre vient d’alerter.

Pas difficile à filocher, l’esclave ! Lui faudrait des roulettes sous les pinceaux pour le déplacer comme ces Samsonite qu’on promène en laisse dans les aérogares. M’est avis qu’il a été construit bien avant l’Institut Rotberg, lequel, cependant, n’a plus l’âge de ses artères.

Un coup d’ascenseur nous fait débouler deux étages et le 214 se trouve pile à côté de la cage ; qu’heureusement cette crèche ne connaît pas le mouvement du Carlton de Londres, sinon, pour roupiller, je devrais me farcir les manettes de boules « Qui-est-ce ? ».

La piaule est joyeuse comme le traitement des rhumatismes par infiltrations ; dans les jaune-gris. Un plafond haut de quatre mètres permet de mesurer la fragilité de l’espèce humaine, si mignarde parmi les immensités qui la cernent. Lit de fer (si je mens je vais en enfer), commode laquée blanc, éclairage forfaitaire, salle de bains dont les éléments proviennent de la démolition d’un château de Louis II de Bavière, carrelage de marbre en damier ; pour calcer une frangine dans cette ambiance, faudrait lui faire boire beaucoup de champagne, mettre beaucoup de musique et en avoir une de quarante centimètres, comme Béru.