Maintenant, j’ai conservé pour la bonne bouche leur cheftaine, la très ravissante N’Gruyer Râ Pé, alias Manuella Dubois.
Cette fille était THE mystère. Somptueuse créature d’une énergie incommensurable (et je soupèse mes maux), belle à damner un singe castré, elle jouissait (comme une vache) d’un don peu commun : elle devinait tout comme si elle avait pu lire les pensées d’autrui, regarder à travers les murs, percevoir des sons au milieu du plus parfait silence. Il était inutile (et dangereux) de vouloir lui vendre de la salade flétrie : elle ne te laissait pas ouvrir le sac et te traitait d’arnaqueur avant que tu la lui eusses proposée. Un cas !
Et c’est donc ce trio qui déboule en ce frais morninge à l’embarquement des hydroglisseurs, accompagné d’un autre tout aussi pittoresque, mais qu’il est superflu de te présenter.
Abandonnant, dès lors, mes projets de téléphone, je reviens à la Morgan de ma nouvelle future conquête.
Traversée sans histoire. Où est passé le bon vieux mal de mer de jadis ? Qu’alors, tout un chacun balançait sa belle marchandise par-dessus bord. De nos jours, les poissons du Channel dépérissent et les mouettes font relâche. Tout se perd, décidément.
En arrivant à Dover, je suis au mieux avec Betty Nelson, ma petite tomobiliste, et j’ai pu avoir, à bord, un contact avec mon gentil négus, dans les cagoinsses du barlu.
— Faites gaffe à vos os, les mecs : les Jaunes savent tout de vous et vous chambrent à mort.
— Tu charries, vieux, cette gosse est à ma dévotion !
— Pour te gloutonner le chipolata, sans doute, mais t’es tellement brûlé que…
— Que je suis noir !
— Comme du charbon de bois, monsieur Blanc. Je vais essayer de vous filocher le plus possible, mais faut pas croire aux miracles ; alors prends ce paquet de Gauloises truqué !
— Je fume pas ! bougonne mon Noirpiot.
— Je sais, tu mâches du bétel, comme tous les gens de ta tribu. Ce paquet contient un bip-bip. Essaie de le camoufler sur toi, que je puisse retrouver au moins ta carcasse si d’aventure on te zingue.
Il empoche l’objet, s’égoutte coquette, la coucouche-panier, remonte sa fermeture Eclair d’un coup sec et va rejoindre la Jaunette.
Pour me donner du temps, je me recoiffe. Le miroir du lavabo réfléchit sans parler, alors que tant de gens font hélas le contraire. Il me virgule en pleine poire une frime qui ressemble à de la béchamel figée. Pas assez dormi et trop décontenancé par la tournure des événements. Y a dans tout ce bidule un quelque chose qui me déconcerte tant tellement que, pour un peu, je donnerais ma langue à la chatte la plus nette du bateau et irais lire les dernières pages du book pour connaître la soluce, si tant est que j’en trouve une potable d’ici là !
Mais quoi… Comme l’a écrit Canuet dans son traité sur la confiture de figues : « la suite appartient au futur ».
Alors j’empare Betty, la drive dans un recoin peinard du bar et l’entreprends à la sérieuse, du geste et de la voix. Nous ne sommes pas à cinq milles des côtes que ma main se promène sur sa cuisse comme sur le mail et que j’ai déjà goûté ses lèvres. Entre deux lape-suce linguae, je m’informe de sa vie. Le moyen d’échapper à cette nécessité ? Tu croises la route d’un être, aussitôt te voilà parti à le questionner, puis à lui raconter. Il te dit sa gueuserie existentielle, tu lui fourgues la tienne. « Ah ! vous ?… Ben, moi… » Pinge-ponge party ! Toi, moi ! Inévitablement.
Betty est mariée, mais séparée de son époux pour cause d’imbandaison congénitale. Il prétendait lui faire l’amour avec un mollusque, le Johnny ! Même à l’aide d’un chausse-pied il restait en rideau. Les tartines de cantharide lui faisaient ni chaud ni froid. On lui a placé une prothèse, ce pauvre gars. Mais la tige servant d’armature s’est enroulée sous l’effet de la chaleur régnant dans son calbute et il a été déclaré out définitivement. Elle l’a largué pour vivre sa vie sexuelle, Betty ; faut la comprendre. Ça n’empêche pas son mari d’être jalmince comme un Corse et de venir faire de l’esclandre devant sa maison quand elle s’emplâtre un quidam super-braqué.
Bon, tout ça… Tout bien… Tranche de vie, tranche de cake ! Elle est styliste. Beau métier auquel rêvent toutes les jeunes filles qui font des études de merde et qui n’ont pas envie de marner. Ramières, ces gueuses, elles te déclarent toujours qu’elles veulent faire styliste ou public-reléchione. Un turf qu’elles imaginent suave comme un bain d’O Bao. A se mignarder le clito entre deux coquetèles ! Entre deux troussées mondaines.
Ma péteuse britiche, je la cerne parfaitement. Fille à papa avec une raison sociale à la mords-me-the-knot ! La crèche dans Chelsea, la Morgan, les virouzes italoches, des toilettes plein ses garde-robes, des levages gracieux de beaux mâles en vadrouille, style ma pomme.
Parvenus à Douvres, donc, j’embarque à son côté, sa valdingue sur les cannes. Celle-ci est tellement volumineuse que je vois rien de la route, ce qui est chiatique quand tu as décidé de filocher une guinde.
Et alors, étant homme des décisions spontanées, voire irréfléchies souvent, je murmure :
— Vous apercevez, devant nous, une grosse Mercedes bleue ?
— Je suis sur le point de la doubler.
— N’en faites rien, mon petit cœur, contentez-vous de la suivre à bonne distance, sans toutefois risquer de la perdre.
— Quelle idée ?
— Lorsque je n’aurai plus vos quarante-cinq kilogrammes de fringues sur mes genoux, je vous montrerai mon portefeuille ; dedans se trouve une carte de police comportant ma photo prise il y a une dizaine d’années déjà mais toujours très ressemblante.
Elle a un temps de surprise, puis s’exclame :
— Aoh, yes ! C’est pour cela que vous n’avez pas de bagages ?
— Exactement pour ça, mon futur grand bonheur.
— Vous suivez cette Mercedes ?
— Plus exactement, les gens qui se trouvent à l’intérieur, car je ne suis pas fasciné par cette marque d’automobile bourgeoise.
— Et c’est qui, ces personnes ?
— Des terroristes, mon ange.
— Mon Dieu !
Légère période de mutisme. Betty gamberge sur ce que je viens de lui révéler.
— La police britannique est prévenue ? questionne-telle.
— Pas encore, mon amour.
— Qu’attendez-vous pour le faire ?
— Que les choses se précisent.
Alors, cette pétasse de merde se fait anglaise à en déféquer par la fenêtre.
— Vous n’avez pas le droit de garder ça pour vous. S’ils commettent un attentat en Angleterre avant que vous puissiez intervenir, vous en porteriez la pleine responsabilité. Moi, je vais le faire ! Mon devoir de citoyenne britannique…
— Ecoutez, baby, m’épluchez pas la prostate ! grondé-je. On a infiltré ces loustics et deux hommes à moi voyagent avec eux. Vous êtes rassurée, oui ?
— Leur chef, à ces terroristes, c’est sûrement le grand Noir que j’aperçois à l’arrière ?
— Non, lui c’est un inspecteur français.
La voici boudeuse, Betty, pas joyce du tout ! Sa francophobie fonctionne à fond la caisse.
J’aurais dû tourner sept fois ma langue dans sa bouche avant de lui faire cette révélation !
— Ils quittent la route de London ! s’écrie-t-elle tout à coup.
— Faites comme eux, tendresse, et vous ne le regretterez pas ; je parie que vous ignorez ce qu’est l’enfourchement tartare ?