Te rends-tu compte de l’importance de cette info, si toutefois elle n’est pas purement inventée par « l’envoyée spéciale « que je viens de m’envoyer moi-même à titre personnel ?
Sur les autres articles, ça s’étiole ; on sent la redite, le remplissage, la panne sèche. L’histoire part en quenouille. Mais si la môme a dit juste concernant Reggio di Calabria, quel pas géantissime elle fait faire à l’enquête enlisée dans les marécages du non-su !
La revoici, Betty, désoutragée grâce au concours vigilant de mes camarades Jacob et Delafon ; remise à neuf, à disposition ; bien pimpante de partout.
Elle me voit aux prises avec sa prose.
— Alors, ai-je un talent de journaliste, Tony chéri ? demande-t-elle en venant se déposer auprès de moi, avec des ondes reconnaissantes encore en activité.
— Un grand ! assuré-je, et un non moins grand talent d’enquêteur. Comment diantre avez-vous découvert que l’avion s’était posé en Calabre ?
Elle a beau être anglaise, la voilà qui minaude un brin. Toujours ce besoin qu’elles ont de faire les chattes, nos gonzesses. Fortes et dominatrices, les belles. Sûres d’elles, de leur charme, de leur pouvoir. Et nous autres grands glandeurs qui nous croyons les maîtres ! Je vais te dire une bonne chose, pour toujours, l’aminche : la femme suit l’homme, ça, c’est vrai. Mais sur les chemins qu’elle lui a tracés ! Et l’homme, tout fiérot, il arque devant, roulant les mécaniques et se disant avec délectation, ce pauvre trou de balle : « Elle me suit ». Tu parles ! Elle le suit là où elle a décidé d’aller. Pas plus difficile que ça !
— Secret professionnel ! elle pétasse, cette roulure !
Merde, c’ t’une baffe dans le museau qu’elle cherche ? Elle en a déjà reçu une dans son patelin et ça n’a pas eu l’air de lui déplaire.
— Vous avez inventé ça pour les lecteurs du Rochester Evening, asticoté-je.
Du moment que je chanstique son honneur professionnel, elle rebiffe ! Veut bien que je la bilboquette sur un coin de pucier, mais que ça dégénère pas, surtout !
— Pour qui me prenez-vous ?
— Alors racontez !
— N’y comptez pas !
Seigneur ! retenez-Vous sinon je la cabosse ! Entêtée comme une Rosbif, cette sauteuse. Mais l’Antonio a plus d’un vautour dans son saccule. Comprenant qu’elle est butée et le restera, je feins de rengracier.
— Petite cachottière, enfin, peu importe, ce qui compte, c’est que vous soyez ici, dans mes bras. J’ai une telle faim de vous que je ne pourrai jamais l’assouvir.
Je la renverse. Cette fois, on change d’orientation. Je décide de déguster ses fraîcheurs, Betty. Tu as dû le lire dans les hebdomadaires bien informés, il est le roi régnant de la minouche yoddlée, ton Antonio.
Quand j’entreprends une nière à la menteuse véloce, c’est voluptas dans sa chair ! Une félicité inouïse l’empare. Elle perd la notion du temps et des réalités. Au bout de dix minutes, elle sait plus si c’est Mitterrand ou Hugues Capet qu’est roi de France ! Et j’y vais comme jamais ! Rebelote !
T’es pas sans ignorer non plus, malgré l’état de déliquescence avancée où tu te trouves, que les sens s’affûtent en servant. Le plaisir du bis est plus intense qu’à la première pressée, contrairement à l’huile d’olive. Cette fois, elle sprinte dès le départ, ma Britiche. Tortille du métronome en folie ! Sitôt que je la sens au paroxysme, à deux millimètres de l’apothéose, j’interromps ma pratique.
Elle hurle qu’ « Again ! Again ! Espèce de dirty pig ! » Mais le dirty pig, il sent qu’il tient le couteau par le manche. Juste je lui entretiens la frénésie en effleurant la partie sensible du bout des doigts. Légère caresse destinée à maintenir l’état critique.
— Dites-moi comment vous avez trouvé la piste de Reggio di Calabria, petite truie en délire, et je vous promets un bonheur que vous n’aurez jamais ressenti.
Ces Anglais, ce qui les sauve, c’est le flegme avec lequel ils savent appréhender n’importe quelle situation. Là, elle se sent piégée, vaincue. Alors elle s’abstient de tergiverser.
Elle halète :
— Quand je suis retournée chercher ma Morgan avec le garagiste, j’ai trouvé un mouchoir sur lequel un de vos hommes sans doute a écrit un message qu’il a pu jeter par la portière.
Histoire de lui savoir gré de sa confidence, je lui reprends ma tyrolienne moldave interrompue. Elle y va aux clameurs, Ninette que, tant et si bien, des coups sont frappés dans ma porte. La voix désespérée de Maria :
— Mais vous arrête ces couchonneries ! Y a des ninos qu’écoutar !
Je stoppe pile à l’instant que Betty attaquait son hymne à la vie.
— Qu’est-ce qu’il y avait d’écrit sur ce mouchoir, douce salope ?
— Vite ! Continuez !
— En deux mots, mignonne ?
— Il est dans mon sac, je vous le donnerai !
— Parole d’Anglaise ?
— Paroooooole !
Fort de ce quasi-serment, je la termine en beauté. Tu me connais : je suis pas vantard. Mais là, ce que je fignole à la miss, n’est résumable qu’en trois mots : mé mo rable ! Même la regrettée Callas n’a jamais émis un son aussi mélodieux que celui qui salue son panard.
Signé « Béru ! » L’écriture ! Et le style !
Sa Majesté a dû puiser discrètement dans le sac à pogne de sa marquise. Il a écrit sur le mouchoir avec un crayon à cils le texte suivant :
Paraîtrait-il qu’on irerait en Calabe. Y nous
N’a pas eu le temps d’en écrire plus long, le cher Gros. Il a roulé le mouchoir menu, a discrètement abaissé la vitre de quelques centimètres pour pouvoir évacuer son message. Donc ceux que j’ai trouvés dans la Mercedes leur ont été imposés ? Ouf !
— J’ai eu du mal à faire traduire le texte, déclare ma pécore aux yeux cernés, l’on m’a dit qu’il était rédigé en vieux français.
— Exact, grommélé-je, on jurerait du Louis XIV ; mais quelle garce vous faites en ayant conservé ce message pour vous. Deux mois de perdus ! Sans doute est-il trop tard !
Je cause commak mais n’en pense pas une broque ! Ce mot du Gros, c’est un peu sa présence. Bien qu’il ait écrit ces lignes le jour de son envol, j’ai l’impression qu’elles sont récentes et qu’il m’attend…
T’inquiète pas, frangin, je viens !
ECHAPITR VIII
Ça sent le lapin à la tomate.
Je toque, j’entre quand on me le dit, et c’est bel et bien du lapin à la tomate que ce vieux mec et sa rombiasse sont en train de bouffer. Du lapin à la tomate avec de la polenta coupée en carrés et frite. Aussitôt, la faim fait sortir mon estomac du bois et, au lieu de dire bonjour, j’essuie le filet de bave qui me dégouline sur le menton.
Les deux vioquards me considèrent comme si j’étais un camionneur venant de défoncer leur guitoune avec son vingt tonnes.
J’ai le réflexe de sourire avant que le bonhomme n’aille décrocher son tromblon pour me voler de plombs. Mes sourires enjôleurs sont les plus efficaces de la planète et les gens auxquels je les dédie se mettent à m’aimer comme des fous et se battent pour me faire une pension.
— Pardon de vous importuner, leur dis-je aimablement. Dieu que ça sent bon chez vous ! Je suis un expert d’assurances de Paris et je fais une petite enquête à propos de cet avion qui s’est posé un jour sur le terrain désaffecté qui borde votre maison.