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Il a raison, le signor Bandoli, avec ça je peux aller me faire cuire un œuf !

Ces pauvres « renseignements » vont rester sur mon petit carnet où figurent déjà tant d’identités bidons ; mais quoi, notre job consiste à noter ce qui nous tombe sous la main. Le côté fonctionnaire, que veux-tu. Faut souscrire aux routines, ces épines dorsales de tous les systèmes.

— Maintenant, signor Bandoli, un dernier détail : le signalement du client en question. Ne lui manquait-il pas un doigt de la main droite ?

Il écarquille son beau regard de nyctalope constipé.

— Ah ! vous savez cela ?

Je ne lui précise pas que c’est tout ce que je connais de l’homme. Tu te rappelles ma méthode : toujours interroger en donnant l’impression qu’on connaît déjà la réponse, ça dissuade de mentir ou simplement de broder.

Mon hibou hertzien se concentre (mais le plus gros est déjà fait), il ne veut pas parler pour ne rien dire, bien qu’ italoche.

— Quarante à quarante-cinq ans…, commence-t-il.

Il se cure l’oreille, ayant deux auriculaires pour ce faire et étant ambidextre, ce qui double ses chances de parfaitement ramoner ses cages à miel.

— Il est grand… Il a les yeux sombres, très rapprochés…

Le signor Bandoli cherche encore et trouve aisément.

— Les cheveux plutôt clairs, sans toutefois être vraiment blonds.

Je note, je note. La mine de mon Caran d’Ache chuchote sur le papier quadrillé menu de mon calepin (que l’on doit justement à l’aimable signor Calepino).

— Il a un drôle de nez, assez fort…

Il hoche la tête ; ce qui est un exploit car il n’a pas de cou.

— Je ne vois rien d’autre. Dois-je vous parler de ses vêtements ? Il pleuvait lorsqu’il est venu louer et portait un imperméable clair avec des épaulettes et une ceinture ; je ne me souviens pas s’il avait ou non une cravate.

— Cela ira parfaitement comme ça, signor Bandoli. Je vois que vous possédez une photocopieuse, j’aimerais que vous me tiriez un exemplaire de ce contrat, à cause de la signature qui nous fournira un spécimen de son écriture.

Et puis, bon, ça va, on échange quelques inévitables banalités sur ces temps d’horreurs où tout le monde tue tout un chacun en revendiquant son crime pour pouvoir postuler la Légion d’honneur ou le Nobel de la Paix, le moment venu.

Qu’après quoi je lui prends un congé grand commak et regagne mon hôtel à pince, manière de renifler la Ville Eternelle où l’Empire Romain est vachement résiduel, je trouve. Avec encore pleins de pompes à colonnes, et des blocs de pierre, dis, tu les as vus ces blocs de pierre ? Les pauvres manars qui manipulaient ça, ils auraient eu vachement besoin de Krakmoilezuki, d’aide mon maire et de Bergeronnet ! Tout ça pour que ça s’achève en pizzerias ! Pas de quoi bâtir le Colisée. C’est bien des grimaces masculines, ça, ces gigantesques témoignages d’une gloire passagère. Plein la vue ! Où que tu ailles : pyramides, Parthénon, tour Eiffel ; alors que les chutes du Zambèze et le Mont-Blanc suffisaient ! Mais non, les matous, toujours la même marotte glandeuse : le France, la Pyramide du Louvre, l’Empire State Building ! Comme si peindre la Joconde ou écrire Hamlet, c’est pas assez ! Faut du tout grand qui te glace les miches ! Ils grimpent après leur bitoune, les mecs. Ça, le péché originel ; là, la grande différence mâle femelle ! L’homme se consacre à une œuvre, tandis que la femme, elle, se consacre à un homme. Merci, mes jolies : je vous ai comprises et je remercie le Seigneur tout-puissant de m’avoir accordé une belle queue à vous offrir !

Mon Dieu, que Votre volonté soit fête !

C’est l’histoire d’une petite fille qui dit à sa mère :

« — Maman, tu es tellement belle que je te mangerais. »

La grand-mère qui a entendu demande :

« — Et moi, tu me mangerais aussi ? »

La petite fille mate la vioque, réfléchit et déclare :

« — Oui, mais je te pèlerais d’abord ! »

Et poum ! ça me fait marrer.

Mon rire me réveille.

Non, pas mon rire : le téléphone.

J’en écrase comme un fou, moi ! En rentrant de ma tournée chez Hertz[13], j’ai appelé Mathias, l’universel. Il m’a promis de faire fissa. Alors je me suis allongé sur le sofa Récamier où le sommeil m’a coincé. Quatre plombes viennent de dégouliner et le crépuscule enveloppe Rome d’une brume… Comment te dire ? D’une brume… Enfin, d’une brume, quoi ! Merde, on va pas toujours se faire tarter avec des qualificatifs. C’est pas obligé, les épithètes, dans nos phrases, les auteurs de polars. J’ai examiné mon contrat : on n’est pas astreint le moindre ! J’en sais qui fonctionnent rien qu’au verbe de ville et au nom commun, avec une pincée d’articles et de pronoms personnels, juste pour dire. Et qui te font une carrière avec. Moi, je pousse trop les feux ! Je raffine ! Me crois obligé de fleurir ; qu’au bout du compte, vais me retrouver avec le Grand Prix de l’Académie française dans ma boîte aux lettres.

— J’écoute !

— On vous démande, signore.signor Mathias…

— Passez-le-moi !

— Tout dé souite, signore.

Je m’apprête à déguster le Rouquin, mais la communication est sectionnée comme un cordon ombilical par une sage-femme africaine ayant une bonne dentition.

Je raccroche, attendant que le faux manœuvrier du standard me rappelle. Il se presse pas, le frelot. Dis, ça carbure pas encore extra les pets et thés italiens !

Je compte jusqu’à treize et demi (je suis superstitieux) et compose le numéro du standard.

— Si, signore ?

Seulement, à cet instant précis, on sonne à la lourde.

— Momente ! fais-je.

Et je vais déponner. Tu sais quoi ? Non ? Alors, tu sais qui ? Oui ? Gagné ! En effet, Mathias ! Soi-même, plus flamboyant qu’un bouquet de soucis ou une rose de Noël. Plus roux que l’automne à son apogée. Heureux de ce bon tour qu’il me joue en venant me rejoindre illico.

— Ça alors ! béé-je, en en remettant un peu pour lui faire plaisir ; qu’est-ce qui t’a pris ?

— Rassurez-vous, j’ai demandé l’autorisation au Vi… à M. le directeur, corrige le cérémonieux.

— Comment se fait-ce ?

— Eh bien je me suis lancé illico dans les recherches appropriées, concernant le personnage qui vous intéresse. Jouant de chance, au bout d’une heure j’avais découvert mieux que ce que vous souhaitiez. L’envie m’a alors pris de venir vous apporter en personne la bonne nouvelle ! D’autant que j’ai pensé que vous étiez seul ici et que vous auriez probablement besoin d’aide.

Il rit à pleines dents immaculées, mon rouquin. Il ne fume pas et se brosse le clavier quatre fois par jour. Au burlingue il a plein de brosses à chailles dans des étuis de plastique et en trimbale plein ses fouilles. Lui, une praline croquée et il cavale aux lavabos se fourbir les ratiches.

— C’est gentil, remercié-je ; et ta dame t’a laissé partir sans te casser de potiche sur la tronche ?

Là, il rembrunit léger.

— Elle est chez ses parents, à Megève, avec les enfants. Mon beau-père vient d’acheter un chalet… J’ai laissé un message sur mon répondeur pour quand elle m’appellera.

Je lui désigne un fauteuil et vais ouvrir le petit réfrigérateur.

— Ça s’arrose ! On écluse une demie de roteux ?

— Volontiers.

— Ensuite je t’emmènerai claper chez Alfredo l’Original.

Je prends mon temps pour pouvoir bien déguster ses renseignements. Je voudrais les absorber avec une paille. Putain ! Deux mois à me ronger les sangs. Deux mois de stagnation complète. Deux mois dans le vide, le zéro absolu. Et brusquement, le blé qui se met à lever ! L’aurore ! L’espoir…

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13

Je viens de penser que mon cher Bernard Royneau dirige une agence Avis, et moi qu’ai choisi Hertz ! Je te demande pardon, Bernard. Enlève l’étiquette jaune sur le minibus, colle-z’en une rouge à la place et remplace partout Hertz par Avis, je ne voudrais pas qu’il y ait quoi que ce soit entre nous !

San-A.