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Je le regarde opérer, goguenard.

— La confiance règne, ça fait plaisir, dis-je.

Mais aucun des deux hommes ne répond.

Leur besogne d’enchaîneur accomplie, Riley déclare enfin :

— Je dois téléphoner ici toutes les trois heures. Si je ne le faisais pas, ou s’il se produisait une bavure quelconque, mon copain ferait sauter le caisson de ce type, c’est clair ?

— O.K., monsieur Buffalo Bill. Allons-y !

Je lui désigne la casquette de mon collaborateur puis la marmotte qu’il portait en entrant.

Riley coiffe l’une et passe la bretelle de l’autre à son épaule. Il croit bon de préciser encore avant de passer le seuil :

— Surtout ne pas chercher à arnaquer Julio ! Il a l’air de rien, mais c’est un vrai terrible quand il s’y met.

Et bon, on part.

Nous voici dans la fourgonnette. Riley se tient tourné vers l’intérieur de la cabine afin de soustraire un max son visage aux guetteurs invisibles.

— Où allons-nous ? demande-t-il.

— Jusqu’à la maison voisine.

— Hein !

— Ceux qui vous surveillent ne sont pas des enfants de chœur. Si notre tournée des usagers s’arrêtait à la villa « La Casseta « , ils ne seraient pas longs à réagir.

Dominé par l’argument, il n’insiste pas.

On entre encore dans trois autres crèches. Je débloque comme quoi, service de l’électraque, est-ce que tout fonctionne bien dans l’installation ? N’aurait-on pas noté une grosse chute de tension vers le milieu de l’après-midi ? Et la nuit ? Non ? Ah ! bon. Des voisins se sont plaints, alors on procède à une vérification du secteur.

Riley m’écoute dégoiser avec curiosité. Quand j’estime la tournée suffisante, il soupire :

— Quel baratineur !

— J’aime bien le silence également, assuré-je.

— C’est pas le moment. Annoncez la couleur : où allons-nous ?

Je lui désigne du menton un opuscule placé derrière le pare-soleil, de son côté.

— Prenez ce plan de Rome, l’endroit où nous nous rendons est indiqué sur le bloc-notes placé dedans.

Il s’empare du petit ouvrage cartonné, l’élève au niveau de sa vue et l’ouvre.

Seule une oreille parfaitement exercée perçoit le léger et fulgurant chuintement qui se produit alors. Le livre tombe des mains de Riley et il pique du nez contre le pare-brise. Envapé complet grâce à l’un des gadgets du Rouillé. Je le renverse en arrière, pas qu’il risque de se fêler la coquille en cas de freinage brusque.

Son réveil, ça commence par des froncements de narines répétés, style un taste-parfums étudiant un nouveau mélange d’essences. Il a un bref éternuement qui lui fait ouvrir les yeux. Il regarde le plafond, au-dessus de sa tête. On dirait qu’il cherche à se rappeler l’heure d’un important rendez-vous qu’il aurait négligé de noter. Puis il tente de se dresser, mais saucissonné comme je l’ai, et avec du câble pour freins de vélos, s’il vous plaît, il est pas près de retrouver la position verticale.

J’amène une chaise auprès de la paillasse où il gît et en use à califourchon, les bras sur le dossier.

— Des maux de tête ? je demande. Le produit est tout nouveau, j’ignore encore s’il entraîne des séquelles.

Ce self, madoué ! Tu crois qu’il fulmine, vitupère, injurie, menace ? Total détachement.

— J’ai dormi longtemps ? questionne-t-il paisiblement.

— Près de cinq heures.

— Dommage pour votre copain.

— Pourquoi ?

— J’avais prévenu.

— C’est vrai, vous aviez prévenu.

Je produis un bruit d’oiseau avec le coin gauche de ma bouche. Un bruit que l’on entend, mais qui ne surprend personne et que seuls les initiés savent interpréter.

Aussitôt quelqu’un s’apporte de la pièce voisine. Riley reconnaît Mathias, bien que ce dernier se soit dénégré. Poum ! Touché !

— O.K., fait-il, c’est du joli boulot.

— Merci. De votre part, c’est un grand compliment. Bon, êtes-vous d’accord pour convenir que c’est moi qui tiens le couteau par le manche ?

Il sourit et c’est affreux, ce rictus de fumier sous la couche de fond de teint.

— Le jour où un type comme moi convient d’une telle chose, il est foutu, répond-il.

Crois-moi, ça c’est du mec ! Acier inoxydable garanti !

— Alors laissons tomber la vanité. Je résume, mon cher Two and two (l’emploi de son sobriquet lui pose une ride au milieu du front). La C.I.A. ne peut plus supporter que vous respiriez encore ! Il suffirait que je vous remmène devant la villa pour que vous couchiez ce soir à la morgue de Rome. Moi, je veux retrouver mes deux copains, point la ligne. On me les rend et vous êtes libre !

— Tu parles !

— Trouvons un terrain d’échange, proposé-je.

— A vous de jouer !

— D’accord. Mathias, tu veux bien amener ton pote.

Le Rouquemoute acquiesce et sort.

— Comment s’y est-il pris ? demande Riley. Intervention extérieure ?

— Vous êtes fou.

— Alors ?

— C’est un adepte de James Bond doublé d’un grand chimiste. De plus, il a l’esprit bricoleur ; sa marotte c’est de mettre au point des farces et attrapes : vos chaînes le faisaient rigoler sous son fond de teint.

Mon héros rouge revient, soutenant cette grosse gonfle de Julio complètement envapée. Gueule sinistrée de Riley devant la dure évidence.

— Vous voyez, l’ami : je contrôle la situation et j’ai les brèmes en main.

— Je vois.

— En conséquence, vous décidez quoi ?

Il réfléchit.

— Je vous demande deux jours de répit.

— C’est-à-dire ?

— Dans deux jours, je vous ferai rendre vos hommes.

— Vivants ?

Il sourit :

— Vous m’avez bien dit morts ou vifs, non ?

Mon raisin a un flux forcené à l’intérieur de mes tuyaux. Sûr qu’une digue va se rompre ! Je l’emplâtre ou pas, ce requin vomique ? Je lui fais éclater le pif d’un coup de grole ? Je lui désarticule le maxillaire ? Hein, selon toi ?

L’Antonio, faut pas lui retirer une chose : il a du chou. Même au plus noir, au plus ardent, au plus flamboyant de ses rognes, sa gamberge turbine et ne patine pas.

En un éclair, il pense ce qui va suivre ; attache ta ceinture, il te raconte.

Or, donc, je me dis succinctement ceci : « Si Riley demande deux jours de répit avant de rendre Béru et Blanc, c’est parce qu’on a besoin d’eux. Si on a besoin d’eux, c’est qu’ils sont toujours vivants. Mais si, dans quarante-huit plombes on peut les restituer, c’est parce qu’on n’aura plus besoin d’eux. Et comme on n’aura plus besoin d’eux, on les mettra à mort afin qu’ils ne puissent plus jamais raconter pourquoi on a eu besoin d’eux. Tu me suis toujours, Balourd ?

Et il s’en cache à peine, ce salaud de Riley, qu’il joue sur les mots.

Je fixe le bandit comme Jean Valjean le pain qu’il allait voler, ce qui devait modifier le destin de l’humanité, parce que le bread, à cette époque, il valait plus cher que le diamant si j’en crois la hargne de Javert qui passa sa vie à courser Valjean !

Y a des moments où ça suffit, mon pote ! Quand je te dis que « Ça suffit », j’entends par là que tu regimbes, n’importe les conséquences. Une immense détermination t’empare. T’as plus qu’à la laisser agir.

— Je crois comprendre que c’est votre dernier mot, Riley ?