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— Ils ont craint que nous finissions par leur couper l’herbe sous le pied !

— Cela dit, on l’a dans l’œuf. La piste est rompue, et les événements se précipitent !

Alors, voilà qu’il prononce des mots qui me foutent en boule, le Fervent.

— Vous allez dénouer cette situation, commissaire, vous interviendrez à temps, j’ai confiance !

Dis, il me draine avec sa confiance, l’Etincelant !

— Pauvre pomme ! explosé-je. Tu me prends pour qui, pour Dieu le père ? L’enchanteur Merlin ? La fée Marjolaine ? Je ne suis qu’un enfoiré de bipède, mon vieux ! Un presque aveugle sans canne blanche, qui marche à tâtons ! Deux mois que je les ai perdus, nos potes ; t’entends, le Reproducteur intensif : perdus ! Comme on perd son mouchoir ! Et maintenant je sais que, dans quarante-huit heures, ils seront morts ! Et je suis infoutu de les retrouver ! Je cours sur les bords du Tibre comme une poule au bord d’une mare. Car j’ai plus rien à quoi m’accrocher, Fleur de Dévotion ! T’es là, plus beau qu’un incendie de pinède, à me mater comme si j’étais la « Dame Blanche » de Bernadette Soubirous. Eh ben ! je vais te faire une confidence, Glandu ! Ton commissaire San-Antonio, c’est du bidon, de la barbe à papa, un malentendu ! Ça tient pas la route ! Ça rouille sur catalogue ! C’est un pet de lapin dans les halliers ! Une buée de respiration de mouche à merde ! Une idée toute faite ! Commissaire pendant encore deux jours, ensuite, je démissionne ! T’imagines un commandant de barlu reprenant du service après avoir perdu son bateau et son équipage parce qu’il s’est bourré la gueule ? Je suis plus que dalle, amigo ! Je vire néfaste ! Jeteur de sorts mauvais !

Ma gargante produit un gros couac. Quelque chose de chaud gicle sur mes mains croisées devant moi. Dis, ce ne serait pas des larmes ? Non mais, alors c’est la fin de tout ! L’abdication !

Mathias sourit. Radieux.

— J’adore vous voir comme ça, commissaire. En général ces crises vous prennent quand vous êtes sur le point d’aboutir.

J’en peux plus de son aveuglement.

— Ferme-la, sinon, je te châtaigne !

Mais il ne la ferme pas.

— Maintenant, vous vous êtes purgé l’esprit de ces miasmes de culpabilité qui l’encombraient ; vous allez redevenir cent pour cent opérationnel, commissaire !

Non, il y a rien à lui dire, ce nœud ! La foi, que veux-tu, est un arbre inarrachable. Tu peux le couper, mais ses racines restent enfoncées dans le sol.

— A présent, on va pouvoir faire le point à tête reposée, continue le buisson ardent. Pour commencer, résumer la situation, selon votre méthode habituelle. Comment se présentait-elle avant que vous ne vous occupiez de l’affaire ? Quelles sont ses modifications. Bon, je commence. Les terroristes japonais. Ils ont pour mission de peser un poids déterminé et de s’entraîner à infléchir ce poids de quelques kilos, presque instantanément, par le seul usage de leurs vessies…

Sa voix, tu dirais un vieux gramophone de jadis. Ceux qui te chantaient Ramona, ou bien Fascination. Ou encore des valses anglaises, lentes et nostalgiques… Me voilà embringué dans son système, le Malin ! Happé, quoi. Bon gré mal gré, ma crise de conscience s’essore, se calme, s’estompe. Je suis pris par le sujet.

Mathias continue de ronronner en 78 tours :

— Quand les deux Japs parviennent à la performance physique qu’on exige d’eux, ils quittent l’institut. On pourrait croire que l’action va suivre. Mais non, au lieu d’exécuter la mission qu’on prévoit, ils disparaissent, embarquent les deux policiers attachés à leurs personnes et qu’ils ont tout de suite identifiés. A quelles fins ? Là est le mystère. Mais nous savons, par Riley, que Blanc et Bérurier vivent. Donc, je le répète, les terroristes ont besoin d’eux. Ces gens ont voulu tirer parti de la situation. Au lieu de se débarrasser des flics, ils les utilisent. A quoi ? Là encore, le mystère reste entier.

— Pas entier, mec, m’embarqué-je, pris par son petit jeu de société ; pas entier : ils vont se servir d’eux pour commettre un attentat, Riley l’a dit. Un attentat qui sera perpétré demain.

— Très juste, commissaire. Reste à savoir où ?

Un long bout d’instant se transforme en moment, puis en période, sans que nous trouvions quoi que ce soit à bonnir. Mon caberluche patine.

— Généralement, finit par reprendre le Brasero, un attentat concerne un haut personnage, sinon cela s’appelle bêtement un assassinat. Et les assassinats sont hélas fréquents de nos jours. Il serait intéressant de s’assurer s’il y aura, demain, un homme d’Etat ou un magnat international en voyage à Rome.

Nouvelle période de haute méditation.

— Pourquoi Rome ? fais-je brusquement.

Il méduse comme Géricault, le souci de mes cadets.

— Mais, commissaire, ces gens sont venus à Rome après avoir employé une ruse qui consistait à nous entraîner auparavant en Angleterre…

— Et alors ? Suppose, Rouquemoute, qu’il s’agissait là d’une précaution supplémentaire et que le patacaisse doive avoir lieu ailleurs.

— Où ?

Je souris, content, rasséréné, sûr de moi et dominateur, comme la plupart des cons de Français, de ces veaux que parlait de Gaulle.

Il m’a branché, mon Mathias. Il a gagné le Jacques pote. Cette fois, j’y suis en plein, dans les sublimes gamberges. Le feu a pris dans mon esprit, mes pensées l’attisent et voilà qu’il flambe haut et clair avec un bruit de sarments crépitants.

— Où, Mathias ? Mais en France, mon voyou ! En France ! Ils ont brouillé les pistes afin de revenir peinards à leur point de départ après avoir mis le compteur de notre enquête à zéro. Premier temps : on franchit le Pas-de-Calais. Puis, de là, on s’embarque à bord d’un zinc clandestin. Logiquement, la piste devrait s’interrompre. Mais ils admettent que je parvienne à trouver le lieu de l’atterrissage : le sud de l’Italie. Ils me laissent même encore une chance de venir à Rome. Cette fois ce sera l’impasse. Je ne penserai jamais que tout ce bigntz ne servait qu’à me poudrer les carreaux, mon Bijou d’or rouge. Ils croient que je morfondrai dans ce prestigieux cul-de-sac, traînant mon enquête du Colisée à la Villa Borghèse, sans me gaffer un seul instant qu’ils seront retournés à leur point de départ.

L’Enflammé change de rôle et, d’inconditionnel disciple, se met à jouer les avocats du diable :

— Ce serait en effet une superbe astuce, commissaire ; mais rien ne prouve que vous ayez raison.

— Prouver est un bien grand verbe, Mathias ; je lui préfère « indiquer », beaucoup plus modeste. Eh bien si, mon Dadais, quelque chose « indique » que je suis dans le vrai.

— Quoi donc ?

— Ton raisonnement, Van Gogh. Tu as dit que les terroristes avaient décidé de se servir de M. Blanc et du Mastar ; et je pense que tu as mis dans le mille. Qu’est-ce qui rend nos deux amis opérationnels pour ces gredins ? Le fait que Blanc soit noir et Béru obèse ? Que nenni. Ils leur sont utiles parce qu’ils sont flics ! Uniquement à cause de cela. Mais leurs prérogatives de flics ne peuvent s’exercer que dans un seul pays : la France !

L’homme de feu saisit ma main de ses chères siennes et la pétrit comme ton boulanger sa pâte à tartes.

— Pourquoi ne me croyez-vous pas, quand je vous affirme que vous êtes un génie, commissaire ?

— Par coquetterie, dis-je.

Toujours fidèle au poste, Latuile !

Il existe deux sortes de journalistes : ceux qui arpentent la planète, et ceux qui arpentent leur bureau au journal. Latuile est de la seconde catégorie. Cézigue, il riraillete. Chope la provende des premiers et en fait du sensationnel. Il a l’art de la formule choc ! Du détail qui oriente les réactions. Dans sa prose, c’est plein de petites filles éthiopiennes pleurant sur le cadavre de leur mère, de pompiers qui n’écoutent que leur héroïsme, d’Alain Prost gagnant la course déterminante à la voile, en utilisant son casque comme un spi, de chiens qui font huit mille kilomètres à pattes pour retrouver leur maître ou bien qui se laissent mourir de faim sur la tombe de celui-ci. Dans sa carrière, il aura davantage fait pour l’idéal des concierges, que Léon Blum pour les congés payés.