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— Tiens, c’est toi, brigand ! s’écrie-t-il. Où es-tu ?

— Rome.

— Rappelle-moi au bon souvenir du Saint Père.

A travers la vitre de la cabine, j’aperçois mon Mathias, sagement assis sur une banquette de bois du bureau de poste, en train de s’essuyer les yeux sur le gros michier d’une donzelle fracassante. Doit être en pleine refoulade, le Toit de Chaume, avec sa gonzesse-dompteuse. Sans doute qu’il reluit avec elle, pourtant il rêve en secret de fourrer des culs plus marrants, je le sens depuis lulure.

— Latuile, j’ai terriblement besoin de toi !

— S’il ne s’agit pas de te balancer un voyou, je suis ton homme.

Car y a ça, avec Latuile : il connaît tout le Mitan parisien et il est le pote des malfrats les plus notoires ; mais au grand jamais il ne filerait un bout de tuyau à messieurs les archers de la République. Homme d’honneur, quoi ! Ça existe encore. Les primes du genre wanted ne sont pas pour lui.

Je le rassure :

— Je suis loin de messieurs les hommes, Raymond ; dans la béchamel où je macère, j’aurais plutôt tendance à les trouver sympas.

— En ce cas, ne ruine pas l’Etat en communications internationales et dis-moi ce que tu veux.

— Je voudrais savoir si, demain, dans notre cher hexagone, il va se produire une réunion internationale, ou bien la visite d’un chef d’Etat étranger, ou bien encore un déplacement du président de la République, voire une manifestation de caractère plus ou moins universel.

Il ne répond pas tout de suite.

— Tu m’entends, la Plume d’On ?

— Minute, je réfléchis. Tu veux que je te passe un disque pendant ce temps ?

— Prends ton temps, je te rappelle dans dix minutes. Ma question n’a l’air de rien, mais elle est capitale.

— Bon, je me renseigne ; à tout de suite.

— Elle te botte, hein ? chuchoté-je à Mathias dont le regard est toujours ventousé sur le prose de la superbe luronne.

Il tressaille.

— Oh ! je… je réfléchissais, commissaire.

— A sa moulasse ? Tu sais que pour s’attaquer à un tel sujet, faut avoir son permis « transports en commun », grand. Quand tu te retrouves au pucier avec cette jument, tu es face à de grosses responsabilités. Verlaine ne t’est plus d’aucun secours, faut se comporter comme Rambo dans la jungle viet. T’as plus la possibilité de crier pouce, de chiquer au malentendu, une fois allumé un brasier de cette ampleur, si t’as pas la caserne Champerret dans ton Kangourou, tu restes complexé à vie !

Et que voilà justement la matadoresse qui se tourne vers nous et nous décoche un gigantesque sourire éclatant avec plein de rouge à lèvres visqueux autour.

— Cela dit, tu as ta chance, Rouillé. Si t’es un vrai brave, montre-le. Profite de ce qu’il y a mille bornes et une frontière entre la mégère et toi pour m’épater. On est au pays des gladiateurs après tout !

Il reste incertain, convoiteur, nostalgique de tous les bons coups qu’il n’aura pas tirés au cours de sa lamentable vie privée (extrêmement privée, tellement privée qu’il est privé lui-même, ce biquet).

La luronne continue de nous guigner, en faisant la bite (pardon : la queue) au guichet des recommandés. Et moi, délibéré, je m’en approche. Baratin de commande. Le blabla 14 bis, pour chambrer les filles de salle, les femmes de peine, les demoiselles de petite vertu et les dames portées sur. Les arguments en sont simples, le thème (un peu, beaucoup, passionnément) schématique : nous sommes deux journalistes français éblouis par Rome. On va écrire un grand article sur la Ville Eternelle : de Jules César à Aldo Moro. On aimerait consacrer un numéro entier de notre journal, consentirait-elle, nani nana, nani nanère ?

Je m’écoute et ne m’en crois pas mes propres oreilles. En pleine mouscaille, alors que l’heure est si critique, le temps si compté, voilà que je charge une nana ! Elle me répond, objectivement, qu’elle n’est pas romaine mais napolitaine ; je lui rétorque que c’est pareil, vu de Paris. Moi j’ai un coup de turlu à donner, mais elle pourrait démarrer l’interviouwe avec mon ami, le beau blond cuivré là-bas présent. D’acc ? Merci. C’est à son tour, au guichet. Elle envoie à son vieux padre un dentier qu’elle a trouvé d’occasion chez un brocanteur. Des années que ce pauvre papa édenté clape de la polenta, il rêvait de se farcir une scalopina avant de décéder. Chère fille au grand cœur !

Allez, il est temps que je sonne Latuile. Je fais signe à Mathias qu’il va avoir de la visite sur son banc. Il blêmit, ce qui revient à dire qu’il n’est plus que de teint orangé. A lui la belle vie !

— Alors, le Kessel du pauvre, t’as quelque chose de positif à m’annoncer ?

— Mes burnes, mon vieux Sherlock ! gromeluche Latuile. Calme plat. R.A.S. de prévu. Paris est quotidien à ne plus en pouvoir. Il pollue et ne prépare rien de glorieux. Aucun chef d’Etat en vadrouille dans nos contrées ! Pas même une vedette américaine du show-biz ! Le président s’embaume dans le mausolée de l’Elysée. Le Premier ministre fait du home traîneur à Matignon et le temps est doux pour la saison, point à la ligne.

Mon écœurement va brioche[14] au fur et à mesure (de sécurité) qu’il cause.

Force (motrice) m’est de conviendre que j’ai mis à côté de la plaque. Mon bel édifice s’écroule. Adieu, Devos, vache, Fauchon, couvée ! Si j’avais un môme, ce serait un enfant de marri ! Ecrémé jusqu’à l’âme, il est, le Sana d’amour !

On toque à la vitre de ma cabine. C’est Mathias. Il entrouvre juste pour laisser passer quelques paroles :

— Ça vous ennuierait de m’attendre à la brasserie du coin, commissaire, je… c’est à cause de Rafaella…

Il me désigne la grande « poutrône » qui l’attend, l’œil gourmand et les salivaires déjà en préactivité.

Tiens, il se lance, le Pourprier ! Tant mieux, qu’au moins ce voyage lui permette de gambader un peu dans des délices transalpines !

— Et en province, dis, l’Energique, il s’y passe des choses en province ?

— Tu sais bien qu’il ne s’y passe jamais rien ! Quoi qu’on raconte, la décentralisation, c’est pour ce siècle.

Il toussote, biscotte les quinze vouiskies-Coca qu’il s’est enquillés au cours de la nuit dernière, Latuile. Une main de scotch, un doigt de Coca pour parfumer ! Sa potion magique. Jamais au plumard avant quatre plombes du mat’ et debout dès huit heures, faut tenir le choc !

— C’est indiscret de te demander ce qui te tenaille le cuir, limier ?

Je ne lui cachotte rien :

— Un malfrat de première grandeur m’a confié, juste avant de défunter, qu’un attentat allait être commis demain, mais il n’a pas eu le temps de préciser où ? Mes déductions m’induisaient à penser que ça devrait se passer en Francerie. Faut croire que mes glandes déductrices sont en rideau.

— Probable.

Bon, ben voilà, on s’est tout dit. Je vais raccrocher et rechuter dans ma déprime. Je traverse une période blette. Dans la vie, faut assumer ses zones d’ombre. Pas regimber ; espérer… L’homme qui n’espère plus n’est déjà plus en vie, comme celui qui parle est déjà en train de mentir. L’espoir, c’est une loupiote au fond de nos ténèbres intimes. Une lueur subconsciente, si j’ose dire. Flamme pour tabernacle.

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14

Lapsus (la moi) consécutif à la rapidité d’écriture. Ce bâcleur d’Antonio veut dire que son écœurement va croissant.

Le Service Littéraire du Fleuve[19]