Nouveau mystère, plus épais que les autres, à verser au dossier !
Quelle motivation a déclenché mes deux gus pour qu’ils allassent négocier une si étrange affaire ?
Quand elle m’a vu réagir à ces révélations, elle s’est mise à paniquer. J’ai dû lui calmer le sensoriel d’un beau coup de lime, ce qui est toujours bien accueilli après la figure si appréciée de « la tête dans l’étau ».
Je voudrais pas m’attarder sur ces délices ravageuses qui ont malmené son sommier Picpus, mais je l’ai correctement servie, la mère. C’eût été une des frangines monégasques, j’eusse pas fait mieux ! C’est à ça que tu peux me situer pur démocrate. Ma pomme : modestes ou chichiteuses, sommelières ou filles à papa, bourrées d’heures de vol ou tombées de la dernière pluie, je les tire avec la même conscience, la même fougue ; partant de ce principe clé qu’à compter du moment où tu prends la responsabilité de tremper le biscuit, faut que t’annonces le grand jeu !
Après ma fantasia berbère, mon emplâtrage Tarass Boulba, mes brèves interruptions au clavecin à crinière, histoire de lui relancer l’extase, elle était à moi, comme le tricot de corps que tu viens de porter pendant un mois lors de ton voyage à pince au pôle Nord. Prête à me suivre au bout de l’enfer, si nécessaire. D’autant que je lui ai juré de venir passer quinze jours de vacances avec maman et Toinet, à Pâques ! Que je lui ai même promis d’amener du matériel de compétition : le nouveau vibromasseur danois, l’album des pafs depuis l’homme de Gros-Moignon jusqu’à Canuet, et aussi la corde de piano avec olive de plomb, une spécialité tombée en désuétude mais dont je demeure le Jean-Sébastien Bach.
Tu constates à quel point je continue de tout bien te dire, ligne à ligne, centimètre par centimètre ? Pénélope, ton Antonio, chérie ! Le récit urge ? Eh bien ! qu’il aille se gratter les couilles à l’arrivée, moi je suis scrupuleusement mon chemin ! Le « Pèlerin de la vérité », ils m’ont surnommé en haut lieu. Ils saluent mon courage, comme quoi je rebute devant rien. Prends tous les risques, pisse à toutes les raies et à contre-courant. Ecoute, je vais t’en déballer une heureuse, je garantis rien, c’est une impression, rien qu’une impression : je crois bien que je n’ai pas peur. Quand t’es prêt, t’as pas peur ! De nos jours, le mal s’aggrave parce que non seulement ils ont peur, mais parce que, surtout, ils ont peur d’avoir peur. Si tu disposes pas d’un minimum de résignation, t’es naze d’avance. A exister, le cul constamment offert, le sang te « descend » à la tête et te brouille l’esprit.
Mais je vais tout de même te ramener à ce chemin sans lune, bordé de buissons, que nous arpentons, Gertrude, Mathias et moi. Le Blondinet a récupéré grâce à un dix-neuvième coup qu’il est parvenu à tirer in extremis, alors qu’il se sentait mollusquer de la membrane. Il a prié fort au moment que son bistougnet recroquevillait, et le Seigneur qui sait tout, comprend tout, accorde tout, lui a permis une ultime petite crampette d’octogénaire à pile. Content, il va d’un pas de chasseur alpin (l’arme de mon papa, que j’embrasse la mémoire en passant).
Et puis, brusquement, voilà un ronflement de moteur abrupt. Une jeep se rue sur nous, à travers champs, et nous coince. J’ai à peine eu le temps de dégaufrer mon pote Tu-Tue. La tire met pleins phares et nous sommes comme sur la scène du Châtelet à l’époque où Louise Mariano nous chantait comme quoi cette connasse de Belle de Cadix voulait pas d’un amant, tchiquetiquetchique aïe yayaïe !
— Ne bougeons plus ! vocifère une voix dont je crois reconnaître le timbre non oblitéré.
Des hommes descendent et c’est Grantognon Lucien qui s’approche, entre deux vigoureux dont l’un tient un pistolet-mitrailleur et l’autre une matraque qui ferait les beaux soirs d’émeute d’un C.R.S. ou les belles nuits d’une vieille fille.
Ouf ! J’ai eu chaud.
— Vous ! commissaire ? il exclame. Et vous, madame Gertrude ! Mais où allez-vous est-ce ? Il est près de deux heures !
— Vous tombez à pic, Grantognon ! déclaré-je.
— Toujours, affirme-t-il, modeste. Nous sommes équipés de jumelles à infrarouge et mes hommes de veille vous ont repérés de loin.
— Accordez-moi deux secondes d’entretien privé, mon cher, et vous serez sur les fesses !
— Je suis plutôt généralement la plupart du temps sur celles des jolies femmes ! plaisante cet infiniment gland, perdu dans les galaxies.
Ils ont la radio à bord de leur tire, ce qui est la moindre des choses. En deux coups et demie les gros, il répercute mes instructions à ses archers ; bientôt, une petite armada silencieuse ne tarde pas de monter à la conquête de la colline où s’érige la fermette délabrée de ma tenancière.
La consigne est formelle : pas de coups de feu, car des hommes à nous se trouvent dans la place. Tout à la matraque et à la bombe soporifique ou paralysante.
— Tu peux retourner au lit, Gertrude, soupiré-je, car ce qui va suivre risquerait de perturber ton psychisme.
— Vous n’allez pas abîmer ma maison ? se soucie cette honnête commerçante pour qui, même une ruine constitue un capital.
— Nous ne toucherons pas à la prunelle de ses volets ! Sois tranquille.
Les effectifs sont d’une douzaine d’hommes, plus Mathias et bibi, de quoi usiner si on n’est pas trop branques. Seulement, dans ces cas d’attaque surprise nocturne, on finit vite par ne plus savoir qui est qui et par se marcher sur les pieds.
Je dispose deux hommes sur chaque face de la bicoque, ayant pour ordre d’empêcher toute fuite en grenadant les éventuels fuyards. Grantognon, le Rouillé, ma pomme et trois gusmen pas trop chétifs, on va perpétrer l’assaut proprement dit. Pour cela, je vais m’offrir un entretien privé avec la serrure, par l’intermédiaire de mon sésame qui est le plus doué des interprètes.
La nuit est noire à souhait. Au diable mon costard ! Je me mets à ramper en terrain merdeusement découvert. Y a plus d’animaux défécateurs à la ferme, mais le sol est boueux en cette saison. Pour me consoler du massacre de mon Cerruti, je me dis que Béru vaut bien une veste !
Au lieu de couper sur le terre-plein, je longe les bâtiments, la remise pour débuter. Et je suis étonné de voir que sa partie ouverte sur la cour a été fermée par une immense bâche.
Au passage, j’en soulève un pan pour filer un petit coup de périscope à l’intérieur. La ténèbre est telle que je dois utiliser mon stylo-torche. Surprise de taille ! Au-delà de la bâche, il y a un hélicoptère. Un beau zinc rouge vif, avec des parties chromées. Pas du moustique de marécage fait pour chasser le canard sauvage, mais un vrai engin de locomotion capable de transporter une demi-douzaine de passagers au moins. Décidément, il a bonne mine, Grantognon Lucien, avec ses services de sécurité, ses équipements à infrarouge, ses patrouilles surprise, ses soi-disant explorations minutieuses de la contrée jusqu’au moindre pissenlit !
L’équipe des Japs est parvenue à établir une tête de pont à mille mètres du centre et à se munir d’un superbe hélico dernier cri pour se trisser, une fois le coup perpétré !
Mais poursuivons !
Et me voici à la porte.
Sésame, ouvre-moi !
Fume !
Tu sais quoi ? Je t’y dis ?
A la place de la serrure, y a un trou ! Récent. Quelqu’un a fait péter le bonheur au moyen d’une bombe à ventouse nitroglycérinée (ni pas assez !). Ce qui veut dire que la porte n’est plus fermée mais simplement poussée !
« Oh ! oh ! me dis-je en aparté, bien que j’utilise peu cette langue, il vient de se passer des choses sacrément bizarroïdes dans ce rural délabré. L’odeur ! Chimique ! »
Je m’efface sur le côté, manière d’être protégé par le mur, et je pousse la porte.