— Vous racontez divinement bien, Tony chéri ! me gazouille Betty.
— Merci, mon cœur.
Le Dabe marque une certaine humeur.
— Tout cela, je le savais plus ou moins, assure-t-il, avec son impudence habituelle de grand chef régnant.
— Je n’en doute pas, monsieur le directeur, d’ailleurs, tout ce que j’ai cru vous révéler, depuis que j’ai l’honneur de servir sous vos ordres, vous le connaissiez déjà.
Il branle son chef fourbi à la cire à meubles dont les antiquaires usent pour donner de l’âge à ce qui n’en a pas suffisamment.
— Mais que cela ne vous empêche pas de poursuivre, mon bon.
— Peut-être préféreriez-vous narrer à ma place, monsieur le directeur, votre verbe est beaucoup plus chatoyant que le mien. Vous êtes Montaigne, je ne suis que San-Antonio.
Il me virgule quelques nobles pichenettes.
— Puisque vous avez commencé, poursuivez !
Force m’étant, je reprends :
— Les terroristes avaient décidé d’utiliser le laser kasetapinien contre la toute nouvelle centrale nucléaire de Fleisch-Barbaque. Maintenant, pour que vous puissiez comprendre la suite, — je dis cela pour vous, Betty, car monsieur le directeur sait tout cela, lui —, je dois vous fournir quelques indications sur l’invention du professeur Kasetapine. Elle se présente sous la forme d’un petit canon métallique dont l’extrémité du tube comporterait une espèce de couple parabolique néfaste à incidence monothéiste. L’ensemble pèse 252 kilos. La manœuvre de cette arme est la suivante. On calcule le point de fission para-féculente et l’on braque le strurum lacté dans la direction souhaitée. Ensuite de quoi, on enclenche l’action du laser à l’aide d’un bouton de commande à distance assez semblable à ceux qui permettent de manœuvrer un poste de télé. Le lanceur entre aussitôt en action. Sa durée de mise à feu, si je puis employer cette formule, est de vingt secondes. L’arme est alors opérationnelle et petafine la matière visée par caracolance soutanée. Elle agit durant quinze secondes. Deux graves inconvénients à signaler. Primo, le laser kasetapinien est dangereux pour l’organisme dans un rayon de cent mètres, ce qui implique la nécessité d’un déclencheur à distance. Secundo, quand il foudroie l’objectif, il émet une lueur dont l’éclat est comparable à celui du soleil, ce qui le rend plus que repérable, vous vous en doutez.
« Le cerveau de la bande a alors trouvé une solution pour escamoter l’engin tout de suite après son utilisation. Il a fait creuser une fosse dans la région de Fleisch-Barbaque, divisée en deux parties par une paroi de plomb. Un trou a été percé dans ladite paroi pour laisser passer le bras d’une bascule. Trou calfeutré par un produit isolant souple. A chaque extrémité de cette bascule que l’on pourrait comparer à celle dont se servent les acrobastes de cirque pour leurs voltiges, se trouve un plateau. Sur l’un des deux est fixé le “canon lanceur”, vous me suivez ? »
— Je vous précède ! déclare le Vieux avec un grand sourire fat de birbe déliquescent.
— Bravo, patron ! Sur le second plateau prennent place les deux sumos japonais venant d’ingurgiter chacun deux litres d’eau, ce qui leur permet de peser ensemble 255 kilos, soit trois kilos de plus que le lanceur. Que se passe-t-il alors ?
— Ne dites rien, je continue ! aboie Achille langue de velours. Le canon grimpe et sort de la fosse !
— Raisonnement étincelant, patron ! Quel enquêteur vous auriez fait, si vous n’aviez pas été directeur ! Oui, le canon sort. Il est alors armé. Vingt secondes de chauffe ! Puis il se met à étinceler et à détruire pendant quinze autres secondes. Alors, les deux Japonais, sauf le respect que je vous dois, monsieur le directeur, ainsi qu’à vous, chère Betty Nelson, se mettent à uriner. Ils parviennent, en un temps record, à perdre au moins trois kilos, dès lors, ils sont plus légers que l’arme. Cette dernière s’enfonce et les deux Japs refont surface.
« Avant qu’ils ne soient hors de la fosse, on a déjà fait coulisser par-dessus le canon, un couvercle plombé recouvert de terre. Les Japs s’évacuent. Leur partie de fosse est escamotée à son tour. Ni vu, ni connu ! »
— Génial ! s’écrie Betty en anglais !
Je reprends la main courante pour les guider jusqu’à la sortie du présent ouvrage, lequel, pardon, merde, plus formidable que lui, tu meurs et j’entre dans les ordres !
— Il y a deux mois, ces gredins avaient préparé leur petite affaire en plein champ, en effectuant les travaux sous le couvert de l’Electricité de France. Et puis la mise en service du centre nucléaire dut être reportée sine die, et ils durent évacuer le terrain, car ils se seraient fait repérer par les services de sécurité en poireautant sur place. En voulant les surveiller, je leur fournis la solution de rechange : Blanc et Bérurier. Ils eurent tôt fait de les démasquer et ils résolurent de s’en servir. Savez-vous pourquoi, patron ?
— Cette bonne blague ! Evidemment que je le sais ! Vous me prenez pour un zozo, mon garçon ? Je suis votre supérieur, gamin ! Et il y a fatalement une raison à cela, hmmm ? Hein, hmmm ?
— Alors, je vous la laisse expliquer à Mlle bientôt Zouzou, boss !
Et c’est là qu’il est unique en son genre, l’Achille. Là qu’il m’aura toujours. Tu sais quoi ? Il déballe tranquillos la bonne raison. Déduction rapide ? Télépathie ? Je crois qu’à un certain moment, quand je raconte, il finit par lire dans mes pensées, ce vieux bonze bricolé.
— Parce que la fille N’Gruyer Râ Pé est dotée d’un pouvoir d’envoûtement qu’elle a appris dans les îles Patatra, mon bon. Elle a fanatisé vos deux nigauds en un tourne-pot ou en deux coups de cuiller à main !
— En effet, papa trontron…
— Ils sont devenus ses deux zélés. Obéissants ! Dévoués jusqu’à la mort. Ils ont accompli tout ce qu’elle leur a ordonné de faire ! Ils ont réquisitionné cette maison abandonnée de l’aubergiste où la bande a pu accomplir son sale travail à l’abri des curieux et sans risques !
— Exact, boboss…
— Bien sûr, exact.
— Ils ont amené un hélico en pièces détachées et l’ont remonté dans le hangar, prêt à s’envoler pour l’Allemagne, leur coup fait, car ils tenaient à fuir rapidement le désastre…
— Je sais, je sais, s’énerve-t-il.
Bon, puisqu’il sait tout, je la ferme. A lui de tirer les marrons. De faire le glorieux. De remettre à notre gouvernement, le canon Kasetapine que nous avons déniché dans le jardin en friche jouxtant la fermette de Gertrude.
— Où en sont nos hommes au point de la santé ?
— Côté gaz, ça va : ils ne s’en tirent pas trop mal ; mais les effets de l’envoûtement ne se dissipent pas. Le professeur Cibouloche, de la faculté de psychiatrie anale tente électrochoc sur électrochoc sans arriver à les arracher à leur torpeur hébétée. Celle qui les a plongés dans cet état ne pouvant plus les en sortir, étant décédée d’un arrêt du cœur, je pense que je vais faire appel à Ramadé, l’épouse sénégalaise de Jérémie Blanc. Son père était sorcier dans leur village, et comme vous avez pu le lire dans Le casse de l’oncle Tom, mon précédent chef-d’œuvre, monsieur le directeur, elle pratique certaines thérapeutiques mystérieuses qui…
Il m’interrompt :