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Il raccroche enfin et revient vers moi.

— Un thé vert et des scones au blé complet vous feraient plaisir ? demande-t-il avec entrain, comme s’il proposait une mousse au chocolat à un enfant qui ne veut pas manger sa soupe.

— Tout à fait, réponds-je en sentant qu’un refus ne serait pas de bon goût.

Il appuie sur une petite sonnette placée sur son bureau et, instantanément, une splendide créature asiatique, tout habillée de blanc, arrive avec un plateau. Elle se courbe, les yeux baissés, et, d’une théière lourde et peinte de motifs, verse cérémonieusement le thé. Ses gestes sont gracieux et expérimentés. Parimbert observe la scène placidement. On me tend une pâtisserie peu engageante, le scone complet, je suppose. Parimbert mange et boit dans un silence monacal et le temps paraît suspendu. Je mords dans mon scone. Erreur et regret immédiat. La chose a une consistance caoutchouteuse, comme du chewing-gum. Parimbert boit de longues gorgées de thé vert, bruyant, satisfait. Comment peut-il boire ce thé brûlant avec tant d’enthousiasme ?

— Maintenant, dit-il enfin, parlons business.

Il sourit comme le chat du Cheshire dans Alice au pays des merveilles. Le thé a laissé des résidus verts entre ses dents ; une jungle miniature a subitement élu domicile sur ses gencives. Je réprime un fou rire. C’est la première fois que ça m’arrive depuis la mort de Pauline. Un sentiment de culpabilité m’envahit. Toute envie de rire disparaît.

— J’ai un projet, dit Parimbert, d’un ton empreint de mystère. Et je suis persuadé que vous êtes la bonne personne pour le mener à bien.

Il marque une pause et attend ma réaction, tel Zeus sur l’Olympe. Je hoche la tête. Il reprend.

— Je veux que vous imaginiez un dôme de l’Esprit.

Il prononce ces derniers mots avec des trémolos dans la voix, comme s’il avait dit « Saint-Graal » ou « Dalaï-Lama ». J’essaie de comprendre ce que peut bien être un dôme de l’Esprit, tout en priant pour ne pas avoir l’air trop éberlué. Parimbert se lève, les mains dans les poches de son pantalon gris impeccablement repassé. Il fait les cent pas sur le parquet luisant. Il s’arrête au milieu de la pièce d’une façon théâtrale.

— Ce dôme de l’Esprit est un lieu où je réunirai des gens triés sur le volet pour partager nos réflexions sur l’harmonie. Il sera construit dans nos locaux. Je veux qu’il ressemble à un igloo de l’intelligence. Vous comprenez ?

— Absolument, dis-je.

Encore une fois, le fou rire n’est pas loin.

— Je n’ai encore parlé à personne de ce projet. Je vous donne carte blanche. Je sais que vous êtes la personne parfaite pour le réaliser. C’est pour cela que vous avez été choisi. Et vous serez payé en conséquence.

Il mentionne une somme plutôt généreuse, mais je n’ai aucune idée de l’ampleur du dôme de l’Esprit qu’il a en tête, ni quels matériaux il désire.

— Quand nous nous reverrons, je veux que vous arriviez avec des idées. Juste des idées jetées sur le papier. Laissez votre énergie positive s’exprimer. Osez. Faites confiance à votre force intérieure. Ne vous bridez pas, surtout. Ce serait hors sujet, ici. Le dôme de l’Esprit doit être situé près de mon bureau. Je vous ferai envoyer un plan de l’étage.

Je prends congé et marche en direction de l’avenue Montaigne. Les boutiques déploient un luxe inouï pour Noël. La circulation est intense. Le ciel gris foncé. En regagnant la rive gauche, je pense à Pauline, à ses funérailles, sa famille. À Astrid aussi, qui doit être à présent sur le chemin du retour, avec un atterrissage à Paris prévu en fin de journée. Mort d’une adolescente ou pas, Noël approche, inexorablement. Les femmes riches et chic font leur shopping avenue Montaigne tandis que les Parimbert continuent de se prendre au sérieux.

Je suis au volant, Astrid est assise à ma droite, les garçons et Margaux sont à l’arrière. C’est l’une des premières fois, depuis le divorce, que nous sommes tous réunis dans l’Audi. Comme au temps où nous formions une seule et même famille. Il est dix heures du matin et le ciel est aussi bouché qu’hier. Astrid lutte contre la fatigue du décalage horaire. Je suis allé la chercher à Malakoff ; Serge a préféré ne pas venir.

Il y a une heure de route jusqu’à Tilly, la petite ville où la famille de Suzanne possède une maison. Toute la classe de Pauline sera là. Lucas a décidé de nous accompagner. C’est le premier enterrement auquel il assiste, tout comme Margaux et Arno. Je jette un coup d’œil à leurs visages dans le rétroviseur. Pas d’iPod. Ils sont tristes et pâles.

Depuis samedi, Arno se tient à carreau. Je n’ai pas encore eu de discussion avec lui. Je sais qu’elle doit avoir lieu, qu’il serait lâche de l’éviter. Astrid n’est pas encore au courant pour Arno. C’est à moi de le lui dire. Après l’enterrement.

Les routes de campagne sont désertes et silencieuses. Un décor d’hiver monotone. Des arbres sans feuilles et sans vie. Si seulement un rayon de soleil pouvait percer ce ciel sinistre. Je rêve d’un premier rayon du matin, la chaleur du soleil sur ma peau. Oui, fermer les yeux et me laisser baigner par la lumière et la chaleur. Mon Dieu, ou quiconque peut m’entendre là-haut, je vous en prie, envoyez du soleil pour les funérailles de Pauline. Je ne crois pas en Dieu, a dit férocement Margaux à la morgue. Dieu ne laisserait pas mourir une fille de quatorze ans. Je pense à mon éducation religieuse. La messe tous les dimanches à Saint-Pierre-de-Chaillot. Ma première communion. Celle de Mélanie. Quand ma mère est morte, ai-je mis en doute l’existence de Dieu ? Peut-être ai-je senti, comme ma fille aujourd’hui, que Dieu m’avait abandonné. Margaux, elle, au moins a pu l’exprimer.

La petite église déborde de monde. Toute la classe est là, tous les amis de Pauline, tous ses professeurs, des camarades d’autres classes, d’autres écoles. Je n’ai jamais vu autant de jeunes à des funérailles. Des rangées d’adolescents vêtus de noir, tenant chacun une rose, blanche. Suzanne et Patrick sont à l’entrée et remercient chaque personne d’être venue. Leur courage m’impressionne. Je ne peux m’empêcher de nous imaginer, Astrid et moi, dans les mêmes circonstances. Je suis sûr qu’Astrid éprouve la même angoisse. Je la vois déjà en larmes serrer désespérément Suzanne dans ses bras. Patrick l’embrasse.

Nous prenons place derrière eux. Le grincement des chaises contre le sol s’atténue peu à peu, puis une voix de femme s’élève, qui chante un hymne pur et triste. Je ne vois pas la chanteuse. Le cercueil entre dans l’église, porté par Patrick, ses frères, son père.

Margaux et moi savons à quoi ressemble Pauline dans ce cercueil, la chemise rose, le jean, les Converse. Nous le savons parce que nous l’avons vue, avec ses cheveux coiffés en arrière, ses mains croisées sur son ventre.

Le prêtre, un jeune homme aux joues rouges, commence son oraison. J’entends sa voix, mais je ne saisis pas le sens des mots. Je trouve insupportable d’être ici.

Au son des accents monotones du prêtre, nous nous levons, nous asseyons, prions. On appelle Margaux. Astrid me lance un regard interrogateur. J’ignorais qu’elle interviendrait au cours de la cérémonie.