Pauvre cher garçon en perpétuelle tragédie ! Oh ! la vie chieuse des modestes happés par une mante religieuse, à l’aube de leur vie d’homme, et qui ne cessent d’être saucissonnés dans les atroces sécrétions d’une aranéide cruelle !
— Passe-la-moi, Mathias.
J’ai évité de justesse le « Rouillé » qui me venait aux lèvres par routine.
Un instant. La voix acide de l’ogresse :
— Qu’est-ce que c’est ?
— Ici San-Antonio, ma mignonne.
Oh ! l’effet ! Ce redoux instantané ! La mégère apprivoisée, à la seconde !
— Oh ! mon Dieu, elle clafouille.
— Mon amour, susurré-je, comme j’avais affaire avec ton grand vilain-tout-rouge, je n’ai pu résister à l’envie de te parler, de te dire ma passion brûlante, ô ma rose d’été aux pétales radieux. Je ne suis plus qu’ivresse en entendant ta voix cristalline. Toutes mes muqueuses sont sur le pied de guerre quand je pense à ta délicate chatte infrisée, dont le timide châtain évoque, je le sens, la noble filasse chère aux plombiers, qu’ils soient zingueurs ou non.
« Ah ! ma noble muse aux bas délicatement tortil-lés autour de ses jambes grêles, comme il doit être exquis de grignoter ton clitoris suavement turgescé par le frottement de ton affolante culotte en jersey de coton, marque Petit Bateau. Comme j’aimerais lui chuchoter des folies à bout portant, au petit bougre ! Et comme je tournerais volontiers sept fois ma langue dans ta bouche d’ombre avant de lui confier un fier pénis d’une longueur de vingt-quatre centimètres hors tout : mesures prises du garrot aux antérieurs et d’un diamètre d’environ cinq centimètres dans ses jours de liesse.
« La vie est interminable sans toi, fille de feu qui ridiculise les plus belles ! Ton corps sert d’oreiller à mes nuits blanches, empêchant ainsi le sommeil de m’investir. Je te devine lourde d’odeurs étranges, telles qu’aucun « nez » réputé n’en saurait concevoir. Cela évoque le marigot stagnant au clair de lune, la romantique venelle parisienne en période de grève de la voirie, la campagne automnale au moment de l’épandage fertilisateur.
« J’érecte en te parlant, nymphe de mes convoitises, et ce bruit sourd que tu perçois résulte de mon sexe fou qui se cogne au pied de la table. Attends-moi, je t’en conjure, femme de Barbe-Bleue ; attends les amours, les délices et les orgues que je te concocte dans les torpeurs sexuelles où je me complais (veston). Exerce tes sphincters à l’accueil inévitable de mon membre en délire, chère chérie, car seule une sodomie d’enfer pourra être l’apothéose de nos retrouvailles. Epluche bien les carottes qui serviront à tes premiers exercices, et dis à ton triste sire d’époux de te ramener un bâton d’agent de la Grande Maison pour exécuter les suivants.
« Et maintenant, va, mon aimée ! Marche la tête haute vers la ménopause qui te délivrera enfin de cette surproduction de lapine à laquelle t’a contrainte un conjoint à la queue fiévreuse. Je t’enveloppe d’ondes qui, pour être résiduelles, n’en sont pas moins chargées de lubricité. »
Une qui se tord de rire, à deux pas, c’est la môme Violette. Elle enfouit sa figure dans un oreiller pour feutrer sa rifouille.
A l’autre bout du fil, il y a un silence. Puis la voix intemporelle de Mme Mathias, pâle, languide… Liquide !
— Antoine… Oh ! Oh ! Oh ! Antoine… C’est un poème… Un chant d’amour… De la musique céleste… Je… je ne peux tout vous dire à cause des enfants qui m’écoutent… Mais je mouille ! Et je… je ne vais pas pouvoir rester comme ça !
— En ce cas, ma Folie, saisis Mathias par la queue et entraîne-le jusqu’à votre chambre matrimoniale. Là, oublie son visage ingrat et pare-le du mien car, dans ton état d’exaltation, l’imagination est la plus sûre des alliées. Il mettra en chantier le vingtième, mais à ma santé, comprends-tu, ma Fleurette séchée ? Tu appelleras ton époux Antoine pendant l’étreinte, et Antoine encore le beau petit garçon qui en consécutera. J’en serai le parrain et, par testament, je lui léguerai cet appareil pneumatique capable d’enfoncer des clous dans le béton que j’ai acheté au B.H.V. et dont je n’ai jamais été foutu de me servir, en espérant qu’il sera moins con que moi. Cette fois, repasse-moi le triste géniteur de ta tribu. Je te le rendrai dans quelques minutes, après lui avoir insufflé quinze pour cent de ma sensualité, ce qui est énorme pour un homme ordinaire.
Temps mort. Je perçois des cris derechef, ça chougne, glapit, proteste. Et puis, dans un silence tranchant parcouru d’étranges haletances, l’organe du Rouillé.
— Ça, alors, breloque-t-il.
— Ça quoi, mon Mathias tant aimé ?
— C’est magique ! Que lui avez-vous-tu-t-il dit ? Elle est comme en état second. Elle vient de virer tous les petits de la pièce et… et…
— Et quoi donc, mon Bébé Rose ?
— Oh ! mon Dieu ! Mais vous, tu sais quoi ? Elle me suce, commissaire ! Elle me suce ! Pour la première fois depuis que nous sommes mariés !
— En ce cas, faisons vite ! tranché-je, étant homme d’expérience. Prête-moi bien l’oreille avant de perdre ou de prendre pied, je t’en conjure.
Et je lui résume avec une clarté qui réduirait au chômage les inestimables frères Lissac (lesquels sont beaucoup plus connus et utiles que « les frères Karamazov »), je lui résume, reprends-je, les excellents chapitres précédents, que tu peux toujours en chercher de pareils chez mes : confrères : tiens, smoke !
Il balbutie :
— Un nid de criminels internationaux !
— Textuel ! Alors voici ce que tu vas faire, Mathias chéri. Dès que tu auras fourré ta ménagère (à ce propos, n’oublie pas de lui filer un doigt dans l’oigne en la tirant, faut que ça soit un coït de gala puisqu’il est placé sous mon haut patronage), demande audience au Vieux, coûte que coûte, et expose-lui le topo. Compris ?
— Vuiii, râle le Rouquinos que sa vieillasse est en train d’éponger en grande première buccale.
Faut que je me presse, sinon il va partir à dame, cet enfoiré !
— Une seconde, Rouillé ! Retiens-toi, tu ne vas pas éternuer à l’enrhumé en laissant quimper ta rombière. Elle t’arracherait les yeux, les dents, les couilles et ton ruban des palmes académiques ! Sois un homme, bordel !
Ça le ranime. Il raffermit de la volonté.
— Oui, oui, commissaire, sois tranquille, je ferai face !
— Face et fesse ! Recto verso, grand, toujours ! Toute médaille a un revers, ne l’oublie jamais, sinon d’autres y penseront pour toi. Donc, tu vas aller raconter tout cela au Dirlo. Il devrait consulter ses homologues européens : les Allemands, les Italiens, les Belges, les Suisses et même les Anglais pour les aviser. Qu’il leur dise bien qu’on ne pourra pas compter sur les confrères turcs, sinon ça foutrait tout en l’air. Tu as compris ?
— Fuiiii, arachnéenne-t-il, la glotte dans les chaussettes.
— Note mon adresse d’ici !
— At… at… attendez… Je papier cherche… aussi crayon…
Il prend mes coordonnées presque en même temps que son foot.
PÉRIPÉTIES AMOUREUSES
— Je voudrais t’ouvrir comme un livre d’heures richement enluminé et, pareil à un myope pieux, plonger mon nez entre tes pages !
Telle est ma phrase d’attaque.
Elle pouffe tandis que je piaffe du paf.
— Vous croyez vous adresser encore à Mme Mathias ? fait Violette.
Nous rions de conserve (ce qui vaut mieux que de s’en nourrir, si je puis oser ce calembour alambiqué).
Et, brusquement, nous cessons d’hilarer pour se jeter l’un contre l’autre d’abord, puis l’un sur l’autre ensuite, avec la fougue retrouvée de la pension Windsor Lodge.