Выбрать главу

« J’ai assez à voir chez moi, sans m’occuper d’assainir la planète, mon garçon ! Les gredins, c’est comme le psoriasis : ça se soigne, mais ça ne se guérit pas ! Qu’ils aient un refuge en Turquie, voire un établissement thermal pour soigner leurs rhumatismes, c’est le cadet de mes soucis ! Je veux les meurtriers de « Cousin frileux », un point c’est tout ! »

Il dérive doucement dans l’insupportable, Chilou ; me pèle les burnes, la prostate, la moelle pépinière dont parle Béru. M’agace, me lézarde le tempérament.

V’là que je perds mon contrôle et me mets à gueuler.

— Mais, putain d’Adèle ! m’écrié-je. (Pauvre chère Adèle qui fut ma cousine ! Défuntée voici longtemps en état de célibat. Elle qui réussissait de somptueuses confitures et fit cuire son chat par inadvertance dans le four de sa cuisinière pendant qu’elle se rendait à la messe ! Quel sacrilège commets-je en associant son prénom de respectable vierge à ce qualificatif de « putain » ! Ah ! comme l’emploi de certaines expressions toutes faites nous entraîne bassement dans l’injus-tice et la mécréance !) Je ne peux pas aller ramas-ser ces deux tueurs, les fourrer dans deux grandes valises et les ramener triomphalement à Paris ou à Londres, patron ! C’est déjà beau de les avoir « situés » !

Mon éclat le fait se figer comme de l’huile par grand froid.

— Très bien, commissaire, je vous envoie des renforts. Mais dites-vous bien que si ces deux individus ne sont pas aux mains des Britanniques avant quarante-huit heures, je saute !

Il répète, le souffle court :

— Je saute ! Ces fumiers d’Anglais ! Etre sacrifié à des gens comme eux ! Et on est allés leur creuser la moitié d’un tunnel, à ces salauds, au lieu d’entourer leur saloperie d’îlot d’une ceinture de mines ! Mais il faut le reboucher, ce terrier à rats ! Pauvre cher Hitler ! Que n’a-t-il réussi dans son entreprise d’invasion de la Grande-Bretagne ! Et Napoléon, dites ! Napoléon ! Conquérir tous ces territoires mais n’être pas venu à bout d’un bras de mer ridicule ! ll était con ou quoi, ce type ? Vous vous rendez compte que ces voyous réclament ma peau, purement et simplement, s’ils n’obtiennent pas satisfaction ?

« Je leur demandais quelque chose, moi ? J’étais sur ma dunette, à driver avec autorité mes services. Je venais de faire la connaissance d’une délicieuse petite journaliste en minijupe, avec des jambes admirables où brillent de délicats poils blonds comme l’or. Et hier soir : la foudre ! Le Quai d’Orsay ! L’Intérieur ! LE PRÉSIDENT ! Vous me recevez cinq sur cinq, San-Antonio ? Le président soi-même avec son ton neutre qui fait froid aux miches. « Mon bon ami, m’a-t-il déclaré, depuis les Malouines, nos chers voisins n’ont pas été aussi nerveux. Ils promettent d’exhiber de vilaines choses si vous ne leur obtenez pas satisfaction. D’ores et déjà, ils posent votre destitution comme a priori à tout ce qui découlerait d’un échec. »

« Dites, vous trouvez cela juste et sage ? Ils laissent buter leur cousin et c’est moi qui dois payer ! Il est vrai que l’Angleterre a tourné en limonade. Le fameux Scotland Yard, l’Intelligence Service sont devenus des clubs du troisième âge où l’on se raconte à voix basse de vieilles histoires d’émirs empoisonnés, de révolutions commanditées, de monarques destitués par des complots d’alcôve. Si l’I.S. existait toujours, vous croyez que des Kadhafi, des Hussein, des ayatollahs Pierre, Paul, Jacques resteraient si longtemps à la verticale ? Je ris ! Jaune ! Mais je ris ! »

Il a une sorte de hennissement qui est le bruit d’un sanglot avorté.

— Antoine, mon tout petit, mon disciple, mon chouchou, vous n’allez pas laisser destituer votre vieil Achille ! Vous n’allez pas permettre à cette racaille dorée britannique, à ces veaux en carrosse, de ruiner l’une des plus nobles carrières de la Police française ?

Vaguement ému par ses suppliques, je murmure :

— Je vais faire l’impossible, patron.

Alors il fulmine :

— L’impossible ! Et quoi encore ? Vous croyez que c’est suffisant, l’impossible, espèce de grand con avantageux ? Je suis là, dans des sables mouvants qui m’engloutissent et tout ce que Môssieur le commissaire Trou-du-Cul vient me promettre, c’est de faire l’impossible ! Ah ! non, mon vieux, pas avec moi. Je connais trop ça : l’impossible ! J’en ai vendu toute ma vie ! C’est pas l’impossible qu’il me faut, c’est le nécessaire ! Vous entendez bien ? C’est clair, net, admis, approuvé ? LE NÉ-CES-SAIRE !

Il raccroche, au bord de l’apoplexie.

Il est dur avec le subalterne, Chilou.

Lorsque je reviens dans notre « morgue », un délicat spectacle s’offre à mes yeux, comme j’aime à répéter. Aimable formule qui prépare bien la suite. Que voici.

Si tu as lu Le bal des rombières, œuvre prépondérante de ton serviteur smigard, dans laquelle nous faisons la connaissance de Violette, tu dois te souvenir que la donzelle aux sens survoltés y montrait (et y développait) des mœurs hétéro et homosexuelles très échevelées. Or, voilà que je la trouve en train de lutiner la secrétaire du consul de France, à la faveur — d’essayages qui m’ont eu l’air de tourner court. Oh ! note qu’il s’agit en fait d’amusettes de pensionnaires. Violette joue à emprisonner le minois sérieux de l’employée consulaire entre ses seins plantureux, ce qui, tu le vois, ne tire pas beaucoup à conséquence. Après quoi, elle la fait asseoir à l’envers sur une chaise, les jambes repliées sur le dossier et lui déguste le Mont Saint-Michel entre les montants dudit, tout en ponctuant d’un médius garnement dans le petit borgne : frivolités vénielles qui ne tirent pas à conséquence. Elles plaisent beaucoup cependant à cette personne qui, coupée de Paris et plongée dans un milieu ottoman peu porté sur de telles réjouissances, trouve là, à cinq heures et quelque du matin, de menus plaisirs nationaux prodigués par une personne très attachée à cet aspect des valeurs traditionnelles.

Elle roucoule de bonheur.

Violette qui m’aperçoit à travers les jambes en « V » majuscule de sa nouvelle amie m’engage à me joindre aux festivités en proposant à la secrétaire un beau joufflu toujours heureux de se laisser revernir le dôme ; mais mes préoccupations professionnelles me poignent avec trop d’insistance, aussi leur laissé-je le soin d’organiser entre elles d’autres féeries variées.

Grâce au consul, on met sur pied, dans le courant de la matinée, une macabre mise en scène qui impressionnerait des êtres moins aguerris que Violette et moi-même.

Magine-toi que nous sommes allongés, roides et momifiés dans des cercueils flanqués de cierges, un chapelet autour des mains croisées, vivant notre futur trépas avec un maximum d’intensité.

L’Excellence a prévenu les autorités et Mustafa Kémal Foutu, qui nous a reçus la veille, vient en personne s’incliner devant nos dépouilles. Il ne souffle mot au consul de notre visite chez lui. Ce dernier joue les innocents avec conviction. Bref une réussite.

Après son départ, lorsque nous « ressuscitons », de Pourçaugnac me dit, presque en jubilant.

— Sans me vanter, j’ai bien vendu votre mort, cher commissaire. Il faut dire que vous étiez parfaits, votre collaboratrice et vous.

— Vous a-t-il posé des questions concernant notre présence à Istanbul ?

— Très peu et comme j’ai fait l’ignorant profond…

— Vous avez entendu parler de la pension de famille Windsor Lodge, monsieur le consul ?

— Absolument pas. Je devrais ?