Content comme un prostatique qui vient de pisser, je quitte l’endroit d’une allure paresseuse, me promettant d’y revenir bientôt.
Les clebs ont abandonné leur projet. Le plus grand est allé se faire tirer ailleurs. Le plus petit lape le liquide innommable du conduit à ciel ouvert. La typhoïde, lui, fume !
CONCILIABULE
C’est le grand amour, Violette et Cathy. Elles sont encore en train de se congratuler le clito lorsque je reviens au consultat. Violette qui, pour l’instant, se fait désintellectualiser la case trésor par la secrétaire, décidément en verve, m’adresse un petit geste d’excuse en pressant ses cuisses contre les oreilles de l’aimable personne pour qu’elle ne puisse percevoir mon inopinance.
Discret, je me retire.
Nous occupons un coin isolé du consulat, près de la pièce des archives. Entre notre chambre et ladite se trouve un local neutre, seulement meublé de quelques chaises et d’une table métallique. Des caisses et des cartons emplis d’imprimés vierges sont empilés le long des murs, composant d’étranges remparts. J’attends en ce lieu morose la fin des dévergonderies de ces demoiselles. Ce qui est un peu fatigant avec Violette, c’est qu’elle n’a que deux attitudes dans la vie : ou bien elle joue Jeanne d’Arc, ou bien elle s’envoie en l’air. La broderie, elle, connaît pas ! Le repos de la guerrière, c’est illico dans le suce-sexe que ça se passe ! Elle ignore les plaisirs intermédiaires.
Un bruit de pas nombreux me fait sursailler et tressautir. Je bondis au couloir et je vois surviendre M. de Pourçaugnac en tête de peloton, suivi de quatre personnages dont la vue me réchauffe l’âme jusqu’aux sphincters inclus.
Je les cite dans l’ordre de leur entrée en scène : Jérémie Blanc, Alexandre-Benoît Bérurier, Raymond-Xavier Mathias et un inconnu d’une trentaine damnée, blond et brique, au regard de porcelaine, que je ne connais pas.
Chacun des arrivants est lesté d’un bagage, à l’exception de Béru, lequel, comme à l’accoutumée, se déplace avec un sac en plastique à l’effigie des prestigieuses caves Nicolas, lesquelles constituent l’honneur du négoce des vins et spiritueux.
— L’équipe annoncée par Paris ! m’avertit M. le consul. Il conviendra d’aménager cette pièce en dortoir, ajoute-t-il. Je vous ferai apporter quatre lits de camp. Par exemple, ces messieurs devront partager avec vous la salle de bains de votre chambre.
Je le remercie. Discret, il se retire, ce qui nous permet de procéder à nos effusions.
La joie de retrouver cette fine équipe en terre ottomane !
Ils sont venus, ils sont tous là, comme chante Aznavoche. Manque Pinuche. On m’explique qu’il est parti en voyage avec une jeune comédienne pour qui il va commanditer un spectacle. On me présente le quatrième larron, le blond aux yeux de Delft : Simon Cuteplet, un as des Brigades d’intervention spéciales. Un hypertireur d’élite. A trois cents mètres, il est chiche de filer une bastos dans l’anus d’un moineau. Du « matériel » est acheminé à Istanbul par la valoche diplomatique ; dans quelques heures, Simon sera opéra-tion-nel. C’est un taciturne, avec une moue répro-ba-trice aux commissures et, quand tu le visionnes plein cadre, une drôle de lueur au fond des prunelles.
Mais moi, ce qui me sidère le plus, c’est la venue de Mathias, homme de labo mais pas homme de terrain. Je lui pose la question ; il y répond :
— Mon instinct m’a averti que je pouvais t’être utile, Antoine, dans cette équipée particulière.
Maintenant ça y est : il se gargarise du tutoiement, l’étale comme de la confiture sur une tartine, bien montrer aux autres « qu’il en est aussi, qu’il en est enfin ».
Un cri modulé nous parvient de la chambre proche. Mes « hommes » bronchent.
— Calmos, jeté-je. C’est Violette qui bouffe une secrétaire.
— Elle est ici ! jubile le Mastar.
— Et pas qu’un peu. Tu vas avoir une commotion, Gros, devant son changement de style. C’est devenu une personne b.c.b.g.
Il ricane :
— B.g.c.b. ou pas, elle aura toujours des poils de cul ent’ les dents, mec. C’est sa nature !
Il n’a pas tort.
— Maintenant, faisons le point, dis-je en leur désignant les chaises.
La conférence débute. Je donne la parole à Blanc pour qu’il me résume les résultats de leur brève enquête à Londres.
— Lord Arthur Kouettmoll était un personnage assez mystérieux, déclare Jérémie. Il a dirigé pendant une quinzaine d’années un service très secret du Foreign Office. Il y a deux ans, son épouse a été tuée dans un accident de la circulation et il a démissionné.
« Depuis lors, il a un statut de diplomate et voyage aux quatre coins du monde pour défendre les intérêts de la Couronne partout où ils ont besoin de l’être. Il rentrait du Japon lorsqu’on l’a trucidé et s’apprêtait à s’embarquer pour Athènes. Il est père d’une fille de vingt-huit ans, mariée à un fils de milliardaire américain. Du point de vue mœurs, il semble irréprochable. C’est tout ! »
Béru vient de quitter la pièce en loucedé. Je ne m’inquiète pas, devinant où il s’est rendu.
— A toi, Mathias, dis-je, parle-moi de la capsule.
— Le ruban de papier trouvé à l’intérieur est porteur d’un texte très long, imprimé en caractères microscopiques et illustré de schémas. Il est également assorti de chiffres, et peut-être de formules. Grossi convenablement, le document représente un traité d’une centaine de pages. Nos spécialistes ont eu beau plancher dessus, ils ne sont pas parvenus à définir le système de codage utilisé. Il s’agit d’un procédé entièrement nouveau. L’importance du texte, la fréquence des dessins et des chiffres les amènent à estimer qu’il est question d’une vaste réalisation de grosse envergure. Je l’ai confié à un roi du décryptage étranger avec lequel j’entretiens des relations privilégiées.
Un immense cri fait vibrer les murs du consulat.
C’est la délicate Cathy qui hurle :
— Vous me faites mal ! N’insistez pas !
Pas de panique ! C’est le bouddha lubrique qui est à pied d’œuvre et s’efforce d’engouffrer la brèche ménagée par Violette. Mais la chattoune de la secrétaire joue Verdun : on ne passe pas !
On entend ronronner la voix rassurante d’Alexandre-Benoît :
— Effarouche-toi pas, ma gosse. C’est pas du béton : ça se comprime ! Y t’reste pas un peu d’ beurre du p’tit déje, Violette ? Ou alors, passe-moi un’ savonnette.
Blasé par des prouesses que je lui ai vu perpétrer cent mille fois, je reviens à l’enquête.
— Une chose encore me tarabuste, Mathias : cette capsule, « Cousin frileux » n’a pu l’avaler au Japon.
— Pourquoi ?
— Compte tenu de la durée du voyage, il l’aurait restituée en cours de vol.
— Probablement, fait le directeur du Service labo, imperturbable.
— Tu veux dire que ?…
— Ben oui, Antoine. Je sais que ça heurte ta délicatesse, mais ça me semble être la seule solution. Il aura gobé la gélule en fibre de verre avant de partir. Plusieurs heures après, il l’a recueillie, nettoyée et réavalée. J’ai étudié le contenu de ses poches. Il avait une fiole d’alcool à 90° dans la poche briquet de son veston.
— Quel micmac peu ragoûtant pour un Lord, cousin de la Queen ! m’écrié-je.
— Il faisait passer le Service avant sa délicatesse de gentilhomme.