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— Complètement, mon lieutenant ?

— Jusqu’aux chrysanthèmes ! Méfie-toi, car c’est l’homme le plus astucieux qui ait existé. A Paris il a mis en l’air je ne sais plus combien de draupers qui venaient le serrer et il a disparu. Tu n’as pour toi que l’élément de surprise.

L’imbandant ricane :

— Faites-vous pas de souci, mon lieutenant, on peut déjà commencer à creuser un trou pour lui !

— Quand tu auras terminé ce sale boulot, retourne au consulat de France.

— O.K. Mais pourquoi appelez-vous ça un sale boulot ? Y a rien de plus sympa !

— Ne fais pas trop de vagues, dans cette taule.

— J’ai un silencieux.

— Note bien qu’il s’agit d’un nid de forbans, tous bons pour un équarrissage rapide. Néanmoins il faut ménager le petit personnel.

Il a un sourire blasé d’homme sûr de soi.

Je m’en vais, raccroche la clé à sa place et gagne le fourgon où Mathias et Blanc m’attendent en compagnie de Tommaso et Kelfiott. Ces deux derniers sont encore very somnolents et on les devine parfaitement inoffensifs. Je me dis que jusqu’à présent c’est Mathias qui conduit toute l’opération, grâce à ses petites recettes d’apothicaire. Cette croisière en eaux turques paraît l’amuser follement. Elle rompt avec sa petite vie rateuse du labo et ses prestations maritales à la « tac-tac, bonjour maman, au revoir maman ».

On voit arriver Violette et Béru, bras dessus, bras dessous.

— Nous avons failli attendre ! rouscaillé-je.

— La faute à cette vieille salope de marchande qui eguesigeait une rallonge ! Vieille pute borgne av’c une culotte qui sent l’égout par grosses chaleurs ! Fumière à moustaches ! Crevure qui se charogne ! Dégueulance de hyène malade ! Saloperie vivante !

— Nous étions pourtant convenus d’un prix, elle et moi, dis-je, suffisamment élevé pour qu’elle ne le conteste plus !

— C’est ce dont j’y ai dit ! Mais elle gueulait comme quoi ses saletés de beignets n’étaient point compris d’dans !

— Qu’est-ce que ses beignets ont à voir dans l’affaire ?

Violette éclaire ma lanterne :

— Il les a TOUS mangés, dit-elle.

— J’avais une dent creuse, se justifie le Mammouth.

— Il y en avait beaucoup ? demande Mathias.

— Cent quarante-quatre, annonce le Gravos. Pas de quoi péter une pendule à quartz, hein ? D’autant que comme dégueulasserie, vous repassesserez ! Tu sais n’avec quoi elle les frit ? D’l’huile de vidange qu’é rachète à un garagiste. Et encore : la s’conde pressée ! Ici, les garacos filtrent l’huile d’vidange, rajoutent un d’mi-litre d’huile neuve par bidon et, ensuite s’l’ment vendent l’produit d’la deuxième vidange aux friteurs en plein air. Tu juges du goût qu’ça donne à leur camelote !

« Enfin, brèfle, j’ai casqué l’prix d’cent beignets plus un rabais d’ dix pour cent, à la vieille seringue de merde. Un’ espèce de chouette crevée dont j’sus l’seul homme a y avoir palpé la mollusque d’puis la mort d’Atatürk. Y fourrager la babasse, c’est pire qu’malaxer des escarguinches qu’on fait dégorger au gros sel ! Faut vraiment avoir la galanterie ch’villée au corps pour s’lancer dans c’genre d’batifolage ! Mais les gonzesses, é s’rend’ pas compte, é croivent qu’ça leur est dû et qu’c’est nous qu’on leur sommes r’d’vab, qu’tout l’bonheur est pour nous, ces vachasses ! Elles s’aperçoiv’ pas qu’on biche la gerbe, souvent, à leur faire des mamours approfondies. »

J’ai fait signe à Jérémie de décarrer et nous roulons le long de la rive européenne du Bosphore.

— Qu’a donné l’exploration de l’auto ? demandé-je à Violette.

Elle récite :

— Audi 200 noire, il y a le téléphone à bord. J’ai noté son numéro. Les papiers se trouvaient dans la boîte à gants. Ils sont établis au nom d’une agence de voyages. J’en ai pris également les coordonnées.

— Rien d’autre ?

— Non.

On roule dans un flot qui va s’éclaircissant. Le littoral est bordé de restaurants colorés. Beaucoup de touristes, de marchands de bimbeloterie, un grand nombre de boutiques vendent des fringues de cuir.

— Où allons-nous ? s’inquiète Jérémie.

— Cherche un endroit propice, du genre hôtel pour congés payés sans histoire, un peu à l’écart de ce foutoir. Nous louerons pour dix ou douze jours, ce qui inspire toujours confiance.

— Et grouille, gronde Béru : j’ai faim !

COMME DES CHARTREUX

Souvent, tu ne trouves pas ce que tu cherches. Je me rappelle « des coins où baiser » par exemple… Je suis en chignole en compagnie d’une greluse partante du réchaud. Rase cambrousse. Pas d’hôtel à espérer. Tu veux te rabattre sur la clairière discrète, le chemin creux foncièrement désert, la vieille grange aux trois quarts écroulée, n’importe quel lieu discret où tu pourras dégringoler le collant de la péteuse et dégainer ton gros joufflu. Mais t’as beau errer, virer, emprunter une petite route, foncer vers une ligne d’arbres, t’engager sur des voies à la limite du carrossable, zob ! Tu débouches invariablement dans une cour de ferme, sur des bûcherons au labeur, des ramasseurs de champignons occupés à traquer le bolet, des écoliers qui mercredisent ou un tracteur en maraude. Rien n’est inoccupé dans le monde. Même si tu veux limer ta gerce en plein Sahara, t’as une caravane de Touaregs qui déboulent de derrière une dune avec leurs dromadaires à la con (vaisseau du désert, qu’ils disent).

Eh bien, dans notre cas présent, the luck, my dear ! Le Noirpiot a le pif ! Il va en état d’hypnose, téléguidé par son instinct. Une rue entre un restaurant de fruits de mer et un magasin vendant des canots pneuma-tiques. Pourquoi l’emprunte-t-il ? Je suis convaincu qu’il ne saurait répondre à cette question si je la lui posais.

Il la suit sur cinq cent cinquante-deux mètres et vingt centimes. Et alors « C’EST LÀ » ! Un vague établissement baptisé « motel ». Motel des Bains, vu qu’il est assez éloigné de la flotte. Figure-toi cinq pavillons cubiques, préfabriqués en fibrociment sculpté dans la masse. Au centre, une maisonnette de guingois, servant « d’office ». Un terre-plein, bordé d’une palissade de cannisses sur trois côtés, sert de parking. Les véhicules y sont rares et pauvrets : une 203 Peugeot déglinguée immatriculée en Bulgarie, une Dedion-Bouton albanaise et une Mercedes de trente ans venant d’Ankara.

Je vais à l’office où je suis reçu en grandes pompes (il chausse du 52) par un géant creux comme un saule pleureur ayant beaucoup pleuré. Il a une grande gueule aplatie, au centre de laquelle un petit radis rose sert de nez. Une bouche immense contient toutes ses économies, à savoir une douzaine de chailles en jonc qu’un plombier avisé lui a habilement confectionnées. Ses cheveux rejetés en arrière dégagent un front bosselé comme un chaudron de terrain vague. L’un de ses yeux est complètement blanc, l’autre fait de la conjonctivite et du strabisme divergent.

J’explique à ce monsieur que nous sommes sept mineurs du Pas-de-Calais venus en vacances à Istanbul pour une quinzaine de jours, que nous ne sommes pas riches et que « est-ce qu’il-nous-consentirait-des-prix-avantageux » ? Le géant borgne m’assure que nous allons très bien nous entendre. Il articule une somme en livres turques. Je lui en contre-propose le tiers et il l’accepte avec empressement.

Quatre chambres sont alors mises à notre disposition. Violette, l’unique femme du groupe, en accapare une ; Béru et Mathias en partagent une autre ; je choisis Kelfiott pour compagnon, M. Blanc prend Tommaso avec lui et le compte y est. Notre fourgon étant bien placardé derrière la palissade (dans un angle, afin de se trouver mieux abrité des regards), j’estime que nous allons pouvoir connaître un instant de répit.