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— Indiquez-moi le chemin de l’université, dis-je à cette dernière.

— En fait, répond-elle, nous allons un peu plus loin. Vous allez devoir traverser le pont sur le Bosphore pour prendre ensuite la route d’Eskisehir.

— Hé ! doucement, les filles ! Il n’en est pas question ! Vous êtes en train de me chambrer ! Je vous répète que je suis pressé et je n’ai pas le temps d’organiser des circuits touristiques.

Toutes les sept éclatent de rire, comme des péronnelles qui viennent de faire une blague à leur professeur de piano.

— Ne rigolez pas, bougonné-je, je suis sérieux.

— Nous le sommes aussi, assure la Chinoise.

— T’as vu c’qu’ j’ voye ? me demande le Gravos.

Je risque un œil dans le rétroviseur central et ce que je crois y apercevoir m’incite à freiner pour mieux regarder. Je constate alors que les sept filles (je dis bien : les sept) tiennent chacune un pistolet à la main dont les canons convergent sur nos personnes (quatre sont consacrés au Dodu, trois à moi). Dès lors, étant homme de déduction, je conclus que l’accident était voulu et que ce coup de main féminin a été réalisé avec grâce et souplesse par sept jeunes femelles qui n’ont pas plus froid aux yeux qu’ailleurs.

Imperturbable, je murmure :

— Ça consiste en quoi, mesdemoiselles ? Ne me répondez pas qu’il s’agit d’un double kidnapping, j’aurais trop honte !

— Et pourtant, excepté deux ou trois synonymes, je ne vois pas d’autres mots pour qualifier ce que nous sommes en train de faire, répond l’Asiatique.

— Que nous voulez-vous ?

— Ce n’est pas à nous de vous l’apprendre ; notre rôle consiste seulement à vous convoyer à bon port.

Ma pomme, illico de phosphorer pour définir le moyen le plus astucieux de nous arracher de cette béchamel, très nouvelle cuisine.

Mon Valeureux en fait autant de son côté et me livre, en argot, les fruits de sa réflexion, lesquels ressemblent aux miens comme une paire de couilles ressemble à deux testicules.

— Pas dif’, mec. Dès qu’t’avise un drauper dans l’panorama, t’embugnes un arb’ ou n’importe quoi. Ces connasses osereront pas nous zinguer au vuse et au suce d’un poulardin !

La Chinoise m’estomaque. Non seulement elle jaspine le franchouille, mais elle en connaît également les dérivés.

— Si vous tentiez quelque chose de ce genre, nous vous abattrions illico, mes drôles, et nous n’aurions aucun mal à retourner la situasse en notre faveur : vous avez délibérément percuté notre tire, tout à l’heure. Ensuite, vous nous avez proposé de nous conduire à notre destination. Mais une fois à bord, vous avez sorti des armes et nous avez menacées. Dans le choc, les flingues du gros sac-à-merde sont tombés, nous nous sommes précipitées pour les ramasser et nous nous en sommes servis en état de légitime défense. Ce scénario vous paraît-il plausible ?

— Nous vous menacions avec SEPT pistolets ? gouaillé-je miséreusement.

— Nous en jetterons cinq dans le caisson placé sous le siège arrière, qui constitueraient, du coup, votre arsenal de réserve, fait la Chinetoque (ou assimilée) d’un ton léger. Non, croyez-moi, commissaire, le mieux que vous ayez à faire, c’est de nous obéir. Cela dit, si vous nourrissez le moindre doute sur notre détermination, nous allons avec plaisir faire exploser un genou de votre gros lard, voire les deux.

— Inutile, mes chéries, je vous fais confiance !

Elle sourit.

— J’enregistre. Alors conduisez normalement, en suivant mes indications.

— C’est vous le chef ? lui demandé-je.

— C’est moi qui parle français, élude-t-elle.

Ce qui me turlupe, c’est qu’elle m’ait appelé « com-mis-saire ». Ces garces savent par conséquent qui nous sommes.

— Pour le compte de qui travaillez-vous, douce Fleur-de-Thé ?

— Pas de questions ! coupe-t-elle sèchement.

Béru se met à entonner : Nuit de Chine nuit câline nuit d’amour… Bel organe qui évoque un Yvan Rébroff ayant éclusé deux litres de vodka pour soigner une angine. Puis il se tait et déclare :

— Flingues ou pas flingues, c’est mieux d’être rapté par des jolies gonzesses plutôt que par de vilains malabars. T’sais qu’en a deux trois dans l’lot dont je leur ferais volontiers leur fiesta, Tonio ? J’te prends la courtaude moustachue à la robe blanche brodée, é doit avoir une cressonnière luxurieuse qui m’inspirerait. Comment j’t’y dégagerais les moustaches et les babines pour lu déguster son bouton de rose.

« Tu croives qu’ell’ est turque, c’te princesse ? Hein, dites, Miss Soleil-Levant, la brunette qu’a l’ pot d’échappement au ras du gazon, elle est turque, ou quoi ? Si v’o’lez t’êt’ ma traducteuse, dites-y qu’je lu f’rais des bricoles inoubliab’, comme jamais qu’j’la mets au défi d’pas app’ler sa mère pendant l’opération.

— Arrêtez vos saloperies, grommelle l’Asiatique. Vous, alors, vous n’êtes pas français pour rien !

— Hé ! dites, Miss Caramel-au-lait, insultez pas la France, j’vous prille. Chez nous, on est en vie et on l’prouve ! Vous aut’, les canaris, av’c vos ziquettes de bébés atrophiés, tout c’ qu’ v’s’êtes capab’, c’est d’vous r’produire. Et encore j’m’d’mande si c’est pas par l’ séminaire artificiel qu’ça s’opère ! J’voudrais vous grimper qu’ça fonctionnererait pas. Vous d’vez avoir une pastille pas plus large qu’une pièce de cinquante centimes. On a dû vous déberlinguer av’c un compte-gouttes après un bain d’siège prolongé d’huile d’olive !

La Jaune ne répond pas et le Mahousse continue de déverser sa litanie érotique jusqu’à ce que nous parvenions à destination.

Drôle de destination, en vérité. Pour le moins surprenante.

Je m’attendais à bien des choses, voire même à tout. Mais pas à cela. Je ne te fais pas languir davantage : un monastère. Byzantin. Il se dresse sur un promontoire planté d’oliviers aux feuillages d’argent vieilli et aux troncs noueux. Il est blanc crayeux, avec des mosaïques bigarrées qui étincellent au soleil. Un écriteau annonce en anglais : « Sœurs de la Contra-ception Contemplative ». La Chinoise m’invite à m’arrêter devant un large portail de bois à doubles battants. Elle descend du fourgon et va sonner. Un grand judas grillagé s’ouvre ; je ne distingue rien du museau qui apparaît alors de l’autre côté, toujours est-il que le portail ne tarde pas à s’ouvrir en grand. L’Asiatique me fait signe d’entrer. Je pénètre dans un cloître aux colonnes graciles, pavé de bonnes intentions et de pierres roses. Au centre dudit se dresse une fontaine ouvragée dont le double filet d’eau glougloute menu, créant un doux bruit céleste. On voit déambuler des religieuses aux robes de bure blanches et noires qui les font ressembler à des hirondelles.

— Si j’m’serais attendu ! soupire Béru en défrimant les saintes filles qui vont l’amble, un livre de prières entre leurs mains pucelées.

La Jaunette me fait parquer le fourgon dans un recoin jouxtant les cuisines du monastère (des odeurs de frigousse ne laissent pas d’équivoque).

Tout le monde descend. Le portail s’est refermé. Notre venue n’a pas perturbé la sérénité des lieux et aucune des religieuses n’a relevé le nez pour nous regarder. Les sept intrépides jeunes filles (qui semblent échappées d’une collection de bouquins pour la jeunesse) nous ordonnent de les suivre. Et on leur emboîte le pas en regardant onduler leurs charmants postères. Je me demande à quoi rime ce patacaisse[7]. On emprunte une porte basse, on suit un long couloir blanchi à la chaux de Pise, on grimpe quatre marches de pierre et nous voici-voilà dans une pièce voûtée, carrée, dont l’unique fenêtre, pourvue de barreaux, donne sur le cloître.

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7

Que je continuerai d’écrire « patacaisse » et non « pata-quès » comme le voudrait ce vieux gringrin de mes fesses qui perd son temps et ses timbres à nous écrire à ce propos, alors que les deux orthographes sont admises et que tel est mon bon plaisir !

San-A.