Pourquoi le Rouquemoute a-t-il retiré son petit bousin de sa boîte ? Pourquoi ladite se trouve-t-elle dans la chambre de Violette et non dans celle qu’il partage avec Bérurier ? Que faisait Violette dans la piaule de Mathias quand j’ai perçu un glissement, lors de mon épique entretien avec le Bronzé ? D’un coup, ça fulgure. En chaîne. Kif ces pétards à répétition qu’on lançait sur les trottoirs dans ma jeunesse où ils produisaient des ricochets de feu avec un bruit de mitraillette. Trois « pourquoi » lancés en salve : tac, tac, tac. Du talc au tact !
Elle m’a feinté, la pécore. Je la sentais un peu pâlotte des genoux, aussi ! Ses explications manquaient de force convaincante lorsqu’elle m’expliquait ses tribulations culières avec le chef de l’Agence Höyüyü.
Tu veux la vérité, Dorothée ? Elle est revenue au motel pour y prendre la découverte miracle du savant israélien. Comme la boîte était un peu grosse et qu’elle n’a pas de sac, elle en a sorti les accessoires pour pouvoir mieux les planquer dans sa culotte, car elle les a embarqués à mon insu ! Ça rime à quoi, ce cinoche ? Elle m’interprète quelle pièce du répertoire de l’arnaque, Miss Monréchaud ? Oh ! que j’aime pas ! Oh ! la la ! que je déteste ! Si on se met à me vendre de la salade de berlue, parmi mes proches collaborateurs, je vais aller valdinguer chez les gâteux, moi !
Furax, je sors en claquant la lourde. Je suis dans l’état pétardier où j’ai trouvé Jérémie, tout à l’heure.
Vite, le biniou !
Un type à l’accent de Belleville m’annonce que Son Excellence est prise par la réception qu’elle donne pour célébrer l’armistice de Quatorze-Dix-huit (ce qui fait trente-deux). Je lui réponds rudement (avec l’accent de Bourgoin-Jallieu) que les commémorations de victoire, c’est bien joli, mais qu’elles ne doivent pas pour autant nous conduire à des défaites, alors il me faut M. le consul au trot, voire au galop.
Entre Français, on se comprend et il va chercher le consul parmi la bande de consommateurs de gaufrettes moisies (qui se bousculent dans les salles de réception des lieux diplomatiques) qui, une fois n’est pas costume (comme dit Béru), est en train de se goberger au foie gras du Périgord arrosé de sauternes.
— Ah ! fait-il simplement, en reconnaissant mon timbre de Casanova qui contraint les maîtresses de maison à placer des alèses sur les sièges des femmes.
Et il répète plusieurs fois « Ah ! » sur des tons différents mais chagrins dans l’ensemble.
Comme je tarde à débonder mon micro, il murmure :
— Vous savez déjà ?
— Quoi ?
Je perçois sa déglutition comme on reconnaît un pet de Bérurier dans l’immensité de Saint-Pierre de Rome.
— Mes faux brancardiers viennent d’être attaqués en revenant de chez vous et on leur a dérobé… ce que vous savez.
— Les deux clients ? ai-je-t-il-besoin-de-l’entendre-me-confirmer.
— Hélas ! L’un de mes deux gars a été sérieusement blessé. Je n’ai pas encore de détails, la chose vient d’avoir lieu à l’instant.
M. de Pourçaugnac a besoin de tout son sang bleu originel pour le garder froid[11].
Je ferme les yeux pour adresser un reproche au Seigneur sans oser Le dévisager pour autant : « Mais on va donc me faire boire la lie jusqu’au calife dans cette putain de ville ! » Ça pilonne sans relâche. Tu sais que je vais prendre mes cliques, au claque du coin et rentrer chez maman ! Je veux qu’elle me confectionne un bon cacao avec des tartines à la confiture de fraise ! Ensuite je trousserai Maria, notre soubrette ibérique, sur son lit qui sent la lavande. Et puis je disputerai une partie de dames à Toinet, et après j’essaierai d’appeler Marie-Marie au téléphone, lui dire que je l’aime toujours. Depuis le temps qu’on ne s’est pas vus, les deux…
— Consul, soupiré-je, pourrais-je avoir quelqu’un avec une bagnole ?
— Tout de suite ?
— S’il existe plus rapide que « tout de suite », je prends !
Il barguigne pas :
— Je vous envoie Cathy, ma secrétaire, avec la Renault 5 de mon épouse. Au motel ?
— Oui, merci. Qu’elle se munisse de l’adresse de l’agence de voyages Höyüyü, please.
Oh ! cette panade ! Cette soupe de merde ! Un chprountz pareil, y avait lurette ! Faudra que j’appelle ma gentille copine Elizabeth Teissier, lui demander ce qui débloque dans mon horoscope. Elle aurait pas déconné avec mon thème, la jolie ? Filé mars en carême et Charybde en Scylla, par inadvertance ? C’est pas catho, une embrouille de ce format ! Un virus a dû se glisser dans mon ordinateur privé.
Je sors pour attendre la messagère…
La nuit est douce, presque féerique sur les bords. Je comprends pourquoi elle rechignait à emmener le Noirpiot, la môme. Il lui perturbait le programme. Quelle girie est-elle en train de concocter ? Pourquoi chique-t-elle les cachottières ? Que de points à résolver (dirait Béru). Y a des nœuds vomiques qu’imaginent que c’est cool d’écrire santantonio ! Bande de glandus ! Rien de plus périlleux. La concentration qu’il y faut, grains de courge ! Par moments, je préférerais rédiger un traité sur la parthénogénèse cyclique du puceron du mûrier. Ça se vendrait moins, mais je pourrais rédactionner ça sur une jambe, au lieu de me dévaster le bulbe.
Istanbul, sa principale magie, c’est la mer et les odeurs qui en découlent ; ça renifle le sel, le goudron, le poisson et mille autres parfums venus d’Orient. Odeurs de femmes, d’épices (c’est pareil). Odeurs d’huiles rancies ou frites, odeurs de ferrailles aussi. Odeurs de plantes entêtantes, de coquillages attardés…
Quelque part retentit de la musique nasillarde, de celle qui te fait grincer l’âme : aigrelette et lancinante comme un appel qui ne cessera jamais.
Je m’assieds sur une espèce de plot qui servait à maintenir un panneau (signalant probablement le motel) mais qui a été arraché depuis lurette.
Autre « pourquoi » : comment se fait-il que le Gros ne m’ait pas encore rejoint ? Ça cagate, mon lapin ! Ça cagate de tous les bords. Seule chose positive : l’exécution réussie de Carlos par Simon Cuteplet. Il a peut-être du gnocchi en guise de zifolo, le mercenaire, mais quand il s’agit de rectifier ses contemporains, il est médaillé olympique !
Une petite chignole débouche dans la rue tranquille. Bref appel de phares. C’est la môme Cathy.
J’ouvre la portière passager et je monte.
— Mille grâces, douce amie, quelle joie de vous retrouver sous ce ciel clouté d’étoiles.
Je m’aperçois qu’elle a les traits crispés et l’on distingue sa pâleur au clair de lune.
— Ça n’a pas l’air d’aller fort ? m’inquiété-je, car je suis un être pétri de sollicitude.
— Je souffre beaucoup, soupire-t-elle.
— Qu’avez-vous ?
Elle embraye, puis maussade :
— Eh bien… c’est votre ami, vous savez bien ?…
Je me rappelle alors les rudes dégâts provoqués par le membre d’Alexandre-Benoît dans le plissement alpin de la donzelle. C’est vrai qu’il éprouve toujours (ou presque) des difficultés à « s’engager « dans une histoire d’amour. Il doit préparer le terrain avec soin et progresser lentement, en ménageant des aires de repos. Généralement, la nature l’assiste, comme pour se faire pardonner l’une de ses anomalies. Pourtant, il semblerait qu’avec la secrétaire du consul, l’affaire ne soit pas réglée. Il a fait un loupé, Béru.
— Des séquelles ? interrogé-je prudemment.
Car il est délicat pour un gentleman de questionner une dame à propos des ennuis que sa chatte lui cause. Il peut (et doit) « l’entreprendre » totalement dans l’étreinte, mais aussitôt après, ça devient verboten. Une fois que ta partenaire s’est payé sa petite séance équestre dans les écuries Jacob-Delafon, tu passes pour goujat si tu fais la moindre allusion à son petit entre-deux Renaissance. La cérémonie est finie, madame reprend ses droits imprescriptibles sur son cul. Normal !
11
Raccourci bien dans le style san-antonien. L’illustre romancier fait ici allusion au sang-froid, les moins cons d’entre nous l’auront sans doute compris.