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— Je peux à peine m’asseoir, pleure-t-elle en me découvrant qu’elle a glissé un coussin de crème de duvet sous ses miches ; et marcher encore moins ! Ce vandale m’a forcée, commissaire. Que dis-je, forcée ! Dé-fon-cée. De quelle façon ferai-je l’amour, dans mon état, comme cet anormal est probablement unique de son espèce, je devrai, désormais, dans mes moments d’abandon, me servir d’un mortier à purée ? D’une borne d’incendie ? D’une trompe d’éléphant naturalisée ?

Des larmes coulent dans son maquillage de scène.

La pitié me saisit devant ce dénuement de la femme au sexe démantelé. Dure épreuve !

— Ne vous tracassez pas, Cathy. Il existe de puissants astringents qui, sans vous redonner votre virginité première, vous permettront du moins de faire bonne figure dans l’étreinte. Dès que la douleur s’atténuera, nous aviserons pour vous mettre entre les mains d’un spécialiste averti. Le professeur Labagouze, de Lyon, fait des merveilles en la matière. C’est lui qui traite les jeunes femmes de la famille royale britannique et qui « accompagne » au mariage une quantité de princesses légères, filles de milliardaires nymphowomen, comédiens homos qui, sans lui, ne pourraient plus prendre leur température depuis longtemps.

Un peu rassérénée, elle murmure :

— Vous êtes gentil.

Elle reprend, aimable :

— Vous comprenez, vous, c’est très bien, mais alors très très bien, sans tomber dans l’anomalie !

— Comment le savez-vous ?

— Une confidence de Violette !

C’est vrai que ces dames se sont interprété le concerto pour deux mandolines ! Ben, il lui resterait toujours cette superbe ressource, à la Cathy, si elle n’arrivait pas à s’amidonner le cratère : une lichouil-lette sur le pourtour du green, ça ne mange pas de pain.

— Vous savez où se trouve l’Agence Höyüyü, ma puce ?

— C’est à deux pas de chez mon dentiste.

Elle conduit sec, la petite tire nerveuse fait du slalom dans la circulation. Je regarde fréquemment par la lunette arrière, vérifier que nous ne sommes pas suivis. Tout me semble correct.

Temps à autre, elle pousse une geignerie, dans les virages, surtout.

— A propos, fais-je soudain, que devient Simon Cuteplet, notre pote le para ?

Elle hausse une épaule.

— Je l’ignore.

— Il n’est pas retourné au consulat ? effaré-je.

— En tout cas je ne l’y ai plus revu.

Allons bon ! J’espère qu’il ne s’est pas fait « serrer », le cosaque des savanes, après son coup d’éclat à la pension !

Voilà, on arrive. C’est une rue très courte et assez large, en plein centre. Il y a des joailliers, des marchands d’œuvres d’art ou de tapis de luxe. A cette heure de la soirée, l’artère est relativement calme. Miss Fion-défoncé stoppe à la diable à un corner, tranquillisée, je gage, par sa plaque « C C ». Elle me montre une enseigne éteinte, posée verticalement sur une façade et qui commence par un énorme « H » représentant un paquebot stylisé, vu de face. Il semblerait que l’Agence Höyüyü soit sur deux étages. Au niveau de la rue, elle forme un renfoncement vitré qui permet une grande surface d’exposition. S’étalent, dans un fouillis savamment constitué, une foule — d’affiches, photos, documents de voyages, trophées en tout genre : masques indonésiens, statuettes nègres, instruments de musique exotiques. Je mets ma main en visière devant mes sourcils pour pouvoir scruter les profondeurs de l’agence. Je distingue confusément dans la pénombre un escalier de marbre qui se dresse, avec sa double rampe de fer forgé, au milieu du local.

Retour à la rue pour un examen plus consciencieux de la façade. Les fenêtres en sont éteintes, à l’exception de l’une d’elles dans les vitres de laquelle se lisent des reflets de lumière, malgré ses rideaux soigneusement tirés.

J’opère une brève reconnaissance des abords, espérant voir surgir Jérémie de quelque pan d’ombre, mais zob ! Alors je rejoins ma copine Dolorosa.

— Ma mie, je vais me permettre une effraction peu compatible avec la dignité du corps consulaire auquel vous appartenez. S’il y avait du grabuge, ne m’attendez pas.

Elle grimace un acquiescement.

— Si je tenais votre gros flic, murmure-t-elle, je crois sincèrement que je le tuerais.

Je pose un baiser compassionnel sur ses lèvres brûlantes.

— Pauvre chère martyre, lui dis-je, offrez ce mal à Dieu qui, dans Son infinie bonté, calmera votre souffrance tout comme si elle était consécutive à une rage de dents.

Le reste est accompli aussi rapidement qu’est proférée l’exhortation ci-dessus.

Mon sésame ! La porte du magasin est en verre Securit, avec une serrure de sûreté en laiton. Les serruriers turcs en sont presque restés au loquet de cabinet, en matière de protection, car j’ai à peine le temps d’introduire le bec aplati de mon petit instrument dans l’orifice que le pêne se déloquette. Il est vrai qu’il n’y a pas grand-chose à secouer dans une agence de tourisme, si ce n’est le matériel de bureau. J’inspecte l’encadrement de la lourde, pour si des fois on y avait inséré une alarme, mais apparemment pas.

Alors j’entre dans cette contrée des rêves. Une superbe gonzesse brune me sourit devant le Colisée de Rome. Un couple archibronzé se roule une pelle devant le Parthénon. Je distingue presque la chatte d’une touriste batave, assise dans une gondole flottant sur le Grand Canal. Un gusman élégant, l’œil à verger quinze gonzesses par jour, m’adresse un clin d’œil pas triste depuis le marchepied de l’Orient-Express, tandis qu’une petite fille qui promet cherche à apercevoir les roustons d’un garde écossais en faction devant Balmoral Castle.

La vie dorée des vacances. Soleil, folklore à heures fixes, entretenu par le syndicat d’initiative. Photos garanties ! En avant, le régiment des touristes ! A l’assaut ! infatigables chevaliers du Kodak !

Je pose mes tartisses pour me déplacer sans bruit et m’engage dans les troupes aéroportées de l’escadrin. Au sommet des marches, t’as le choix entre deux vastes pièces séparées par des vitres dépolies. Je m’approche du local éclairé ; on voit s’agiter des ombres chinoises à travers les panneaux de verre. Onc ne jacte. N’importe qui pousserait la porte de cette pièce et ferait une entrée à la Ruy Blas : « Bon appétit, messieurs ! » Mais l’Antonio, vieux bourrin de retour, aime assurer. Alors, au lieu de passer directo à l’action, il vérifie son environnement. C’est donc dans la partie obscure de l’agence que je me rends.

Des bureaux, des téléscripteurs, des appareils comptables, des ordinateurs… Je procède à une rapide inspection et m’apprête à vider les lieux lorsque mes sens suraigus sont alertés par un sentiment de présence. En fait, il provient d’un bruit léger qui ressemble à celui d’une respiration. Du coup, je me repaye un petit viron et finis par dénicher une forme allongée sous un bureau. Mon stylo-torche entre en jeu.

M. Blanc ! Oui : him ! Il est là, ligoté comme dans un film de série « B » (mais plus fortement). Avec sur la bouche et le nez une plaque de sparadrap large comme mon mouchoir. C’est à se demander s’il ne respirerait pas par les oreilles ! Mais faut dire qu’avec la paire de jumelles qui lui sert de pif, cézigo, il doit posséder des ressources que le commun des mortels n’a pas. Ses yeux, gros comme des boules d’escalier en verre, luisent dans l’obscurité.