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Je la cueille par la taille.

— Vous savez, lui dis-je, je n’ai, physiquement, aucun point commun avec Fépaça-Gamel ?

Elle répond à cette question par une autre :

— Croyez-vous que j’aie jamais envisagé pareille hypothèse, commissaire ?

La pension de famille grand standing se nomme Windsor Lodge. Dans ce quartier oriental, elle surgit comme un anachronisme, avec son architecture faux gothique, ses fenêtres à petits carreaux, ses murs de pierre envahis par une sorte de lierre plus jaune que celui qui pousse dans la terre grande-albionaise. Un perron de quatre marches permet l’accès à un petit hall garni de boiseries tristes et de tableaux pompeux éclairés par des rampes de laiton.

— Attendez-moi dans les parages, ma Merveille ! dis-je à Violette. Comme vous vous êtes déjà montrée, c’est à mon tour d’intervenir.

J’entre.

A l’intérieur, ça ne ressemble pas le moins du world à un hall d’hôtel. Plutôt à une bibliothèque. Il y a des placards, aux portes pourvues de grillage, qui abritent de beaux livres reliés qu’on devine chiants comme des dimanches britanniques, un meuble Regency, en bois brun, appuyé au mur avec, fixé sur ce dernier, un minuscule placard plat contenant les clés des chambres. Sur le bureau, un carton annonce en anglais : « Si vous avez besoin d’un renseignement, veuillez sonner, s’il vous plaît. »

Exquise politesse. Comme je vais souscrire à cette formalité, une jeune servante turque qui serait terriblement sexy si elle avait moins de moustache, un strabisme moins divergent et une odeur moins ménageresque surgit, traînant un aspirateur ventru par la trompe.

Je lui montre mes trente-six chailles avec tout leur éclat, ce qui l’incite à mettre ses lunettes de soleil.

— Mister Tommaso ? fais-je-t-il.

Elle ouvre sa bouche en grand, comme si elle s’apprê-tait à mordre dans un éclair au chocolat géant ou à sucer une très grosse queue. Déjà deux dents cariées, à son âge, bonjour les dégâts ! Dans dix ans, cette mémé aura la clape pareille à un incendie de pinède.

Elle profite de sa gueule ouverte pour lâcher :

— Manchester.

Des frissons de désappointement me chopent sous le cervelet et me descendent dans les chaussettes après m’avoir court-circuité les balloches. Le mec est reparti pour Manchester ! Il aura fait vite ! La vieille taulière l’aurait-elle mis au parfum ? Pourtant, quelque chose me tarabate : le clille d’une telle crèche va-t-il mettre une humble servante turque au courant de ses déplacements ?

Moi, nigaud, je répète :

— Manchester ?

— Au premier ; à droite ! complète cette exquise musulmane.

Je réalise alors que les piaules de l’établissement, au lieu de comporter des numéros, se distinguent les unes des autres par des noms de villes britanniques.

Je la gratule d’un nouveau sourire, m’élance dans l’escalier.

Fectivement, je lis sur les portes, écrit en anglaise bleue à poils blancs : « Durham », « Leeds », « Liverpool »… Et enfin « Manchester ».

Tout est solennel ici ; le silence règne. La moquette y est épaisse et des plantes vertes se font chier dans des grands pots alors qu’on est si bien dehors ! Le couloir désert m’incite aux imprudences. Je colle l’oreille contre le panneau de bois, essaye de capter quelque chose ; mais bernique, comme disait un mollusque de mes relations. De l’autre côté de l’huis, il n’y a personne ou s’il y a quelqu’un, il dort sans ronfler.

Est-il encore besoin de te parler de mes impul-sions ? Non, n’est-ce pas ?

Alors, poum ! Voyez le petit sésame ! Un coup je te vois, un coup je te vois plus, cric, claque, fric, flaque : servez chauve ! Me reste qu’à pousser la lourde.

Ce dont.

Chambre confortable de château anglais dont je deviens le fantôme familier. Grand plumard à baldaquin, aux montants tournés et aux tentures en point de Hongrie. Mobilier sévère, presque noir. Papier de tapisserie à rayures fanées. Gravures représentant une chasse à courre dans le bocage anglais saisie dans ses différentes phases, la dernière représentant le pauvre renard roux comme la chatte de la princesse Sarah d’Angleterre, cerné par la meute écumante.

Pour m’assurer que la voie est bien libre, je vais couler un regard avide dans la salle de bains, séparée de la chambre par un dressing, ce qui t’indique que c’est de la taule sélecte.

Personne.

Comme je retraverse le dressing, j’avise un truc aussi bizarre qu’étrange accroché à un portemanteau ; cela ressemble à une espèce de harnais de cuir ayant la forme d’un dos humain. C’est épais et la chose comporte des sangles au niveau de la taille et de la poitrine. Mon raisin ne fait qu’un tour, mais très réussi ! J’ouvre les portes des penderies pour y lancer un avis de recherches. Je me mets à inventorier rapido, et que découvré-je ?

Je te le dis ?

Plusieurs choses. Primo : une paire de grosses chaus-sures dont l’une comporte une semelle plus épaisse que l’autre de trois ou quatre centimètres. Deuxio : une perruque presque blanche aux cheveux assez courts. Troisio : une canne de bambou dont l’extrémité, métallique, ne me paraît pas catholique.

Compris, l’ami ! L’ecclésiastique tueur n’est pas un gros vioque boiteux. Sans son harnais, sa perruque et ses chaussures, ce doit être un homme svelte, jeune ou « encore jeune », brun ou blond ; bref, un type dont la silhouette n’a rien de commun avec celle dont on nous a fourni le signalement à l’aéroport !

Je bouillonne d’allégresse. Cette fois, j’ai la preuve absolue que nous étions parfaitement aux trousses du tueur.

Comme je m’apprête à calter, survolté par ma découverte, je perçois un bruit de converse dans le couloir.

Deux mecs s’approchent en parlant l’idiome qui fit la gloire du nègre de Shakespeare. Et moi, intuitif comme une concierge napolitaine, JE SAIS que ces deux-là sont MES personnages et qu’ils viennent ici.

Encore quatre pas, plus le temps d’actionner leur clé, mettons huit à dix secondes de sursis. Pas d’autre soluce que de plonger sous le lit à baldaquin.

Des scènes de gazier placardé sous un plumard, j’en ai tellement lu dans des books, tellement vu dans des films que, rien que d’en causer, ça me flanque la diarrhée verte. Et pourtant, vu les circonstances, que faire d’autre ? Je ne puis prétendre être le valet de chambre ! Non plus que le gus du recensement. Alors, flout. Dans ton terrier, petit blaireau ! Là-dessous, ça pue la poussière et des moutons voltigent dans mon déplacement d’air.

La clé dans la serrure…

Je m’immobilise en songeant que si les bonshommes passent la noye sans ressortir, je risque de me faire vioque sous ce catafalque. Je songe également que la chambre est vaste et qu’à distance, la perspective plongeante risque de me faire découvrir, le lit étant assez haut sur pattes. Mais enfin, quoi, j’ai toujours bénéficié d’une bonne étoile dans les cas délicats. Ma confiance reste inébranlable, contrairement à moi qui le suis si aisément (branlable). A ce propos, qu’il me soit donné de dire en passant combien je suis frappé par la magnanimité du Créateur qui nous a conçus avec tout un attirail sexuel engendreur de plaisirs sublimes, lequel peut fonctionner sans le concours d’une participation étrangère. Certes, l’onanisme est le parent pauvre de la volupté ; mais quel désarroi serait le nôtre si nous en étions privés ! Quel calvaire endureraient les êtres incarcérés, les solitaires de tout poil, les timides, les honteux, les adolescents, les séminaristes !

Voilà : ils sont entrés. Deux paires de pieds vadrouillent dans la chambre. Mocassins légers, pour la première, chaussures de toile à bout et talon de cuir pour la seconde. Ces messieurs parlent une langue que non seulement j’ignore, mais que j’ai du mal à situer. Ce n’est pas de l’arabe ; peut-être un dialecte de Centre Europe, tel que le hongrois ?