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Ils quittèrent la passerelle. Marphissa se demanda si la gravité artificielle du vaisseau n’avait pas quelques problèmes. Le pont lui faisait l’impression de tanguer sous ses pieds comme celui d’un navire en pleine mer. Elle ne se rendit compte que Bradamont l’avait quittée devant la porte de sa cabine que lorsqu’elle atteignit la sienne.

Elle y entra, ferma l’écoutille et la verrouilla par habitude, s’abattit sur sa couchette, agrippa le patch de somnifère que le médecin du bord y avait déposé près de deux jours plus tôt, se l’appliqua et s’étendit pour fixer le plafond, les yeux écarquillés. Elle ne s’endormit que lorsque le patch eut annulé tous les effets des drogues qu’elle s’était administrées.

Elle ne se souvint pas du moment exact où elle avait sombré dans le sommeil de plomb engendré par l’épuisement. Mais, à un moment donné, des rêves où des vaisseaux syndics se livraient à des passes de tir, perçaient ses défenses et réduisaient ses cargos en lambeaux vinrent la hanter, tandis qu’elle-même s’était assoupie sur la passerelle, inconsciente et incapable, malgré tous ses efforts, de s’extraire du coma…

Marphissa se réveilla en sursaut, les yeux grands ouverts pour percer la pénombre de sa cabine. Je ne suis pas sur la passerelle. Elle chercha son écran à tâtons. Nous sommes dans l’hypernet.

Ses nerfs se détendirent de soulagement et le sommeil l’engloutit à nouveau.

Rogero était resté éveillé tout le long du combat pour veiller à ce que les patrons des cargos ne commettent pas d’impairs et, depuis, il avait dormi presque aussi longtemps, du moins lui semblait-il. Affûté par une existence entière consacrée à la guerre, l’instinct de Rogero avait suffisamment repris le dessus pour qu’un unique coup discrètement frappé à sa porte le réveillât aussitôt, en même temps qu’il refermait la main sur son arme.

« Seki Ito. » La porte s’ouvrit, révélant la cadre Ito, dont les deux mains ouvertes ballaient le long de ses flancs. « Aucun danger. Je me disais que vous apprécieriez peut-être un peu de compagnie.

— De la compagnie ? » Ça pouvait recouvrir beaucoup de choses très différentes.

Le sourire qui répondit à sa question lui fut un indice suffisant sur la signification de ce mot en l’occurrence. « J’imagine que ça fait un bon bout de temps, pour vous comme pour moi. Sans conditions. Sauf si vous y tenez. »

Ça faisait effectivement très longtemps, et la présence à bord d’une Bradamont inaccessible n’avait rien arrangé. Cela dit, les coups de canif dans le contrat de mariage (ou de concubinage) n’étaient pas inouïs durant les longues périodes d’éloignement.

Mais, si séduisante qu’Ito pût lui paraître sur le moment, et autant il pressentait qu’il apprécierait sa « compagnie », Rogero ne tenait pas à tromper Honore. « Merci, mais… » Il préféra s’arrêter là.

Ito lui adressa un regard aguicheur. « Vous êtes sûr ? Maintenant que Pers Garadun est parti, j’aurais bien besoin d’un autre parrain. »

Ouch ! Peut-être s’agit-il plutôt pour elle d’une occasion de décrocher un commandement dans les forces mobiles de Midway. Peut-être, après tout, ne suis-je pas si séduisant que cela. Heureusement, je suis maintenant assez grand pour n’en avoir pas le cœur ravagé. « Je peux d’ores et déjà vous recommander pour une affectation, mais, s’agissant des coucheries entre les officiers supérieurs et leurs subalternes, le général Drakon a établi des règles très strictes. »

Cette fois, Ito le fixa d’un œil sceptique, les sourcils arqués. « Les règles ont toujours été très strictes à cet égard dans tout l’espace syndic, pourtant elles ont été enfreintes de tout temps.

— C’est vrai, mais le général Drakon s’efforce de les faire appliquer.

— C’est bien ennuyeux. Bon… si vous êtes certain de ne pas vous sentir trop seul… » Ito ne modifia que très légèrement sa posture, pourtant, tout soudain, son corps parut se faire encore plus désirable.

Comment diable les femmes font-elles cela ? se demanda Rogero. « Non, ça va. Ça n’a rien de personnel. »

Ito poussa un soupir théâtral puis écarta les mains, geste archaïque signifiant plus ou moins « Qu’est-ce que j’y peux ? »

« Ito ?

— Oui ? » Elle sourit.

« J’ai appris que Pers Garadun vous avait conseillé, à vous et au cadre Jepsen, de raconter à tout le monde ce qui s’était réellement passé à Kalixa, mais, quand j’en ai parlé à Jepsen, il m’a dit que vous lui aviez ordonné de n’en rien faire, parce que vous vous en chargeriez vous-même.

— C’est exact.

— J’ai dit à Jepsen qu’il pouvait malgré tout le rapporter à tous durant notre transit par Indras. Aucune raison pour que vous en portiez seule la responsabilité. Je tenais à vous faire savoir que Jepsen ne faisait pas fi de vos instructions.

— Oh ! Très bien. Comme vous voudrez. » Elle lui décocha un autre regard inquisiteur. « C’est tout ce que vous désirez ?

— Oui. »

Elle sortit et referma la porte derrière elle.

Rogero souffla de soulagement et fixa le plafond ; il se sentait ridiculement fier d’avoir su résister à la tentation. Une victoire que je vais devoir garder par-devers moi, bien sûr. Mon exploit ne risque guère d’impressionner Honore Bradamont. Cela étant, si j’avais cédé et qu’elle en avait eu vent, les retombées auraient sans nul doute été cataclysmiques.

Le clignotement insistant du panneau de com installé près de son lit réveilla Gwen Iceni. Elle tenait une arme à la main et scruta un bon moment la pénombre de sa chambre avant de se réveiller assez pour comprendre qu’il ne s’agissait pas d’une alarme la prévenant d’une intrusion. « Iceni. Qu’est-ce qu’il y a ?

— Elle est rentrée, madame la présidente ! claironna le superviseur du centre de commande. La flottille de récupération. Elle est au portail de l’hypernet, et la kommodore Marphissa a envoyé un message annonçant le succès de sa mission. Elle est en train de transmettre un rapport plus circonstancié. »

Iceni fut brusquement soulagée d’un poids dont elle n’avait pas été consciente jusque-là. « Tous ? Tous les vaisseaux sont revenus ?

— Oui, madame la présidente. Ils sont tous là.

— Je consulterai ce rapport dans la matinée. Si la kommodore Marphissa ne l’a pas déjà fait, dites-lui de ramener ses vaisseaux vers la planète et de les placer en orbite. »

Mais d’autres poids pesaient encore sur ses épaules, et il faudrait filtrer les rescapés de la flottille de réserve pour s’assurer qu’on pouvait se fier à eux ; cela dit, ces milliers de nouveaux matelots entraînés seraient déjà un souci de moins, qui allégerait les autres.

Tout s’était bien passé.

Quelque chose allait forcément mal tourner d’ici peu.

Iceni passa légèrement la main sur l’écran qui lui faisait face, de sorte que les feuilles de papier virtuelles se tournèrent en bruissant comme les pages d’un livre. « Ces superviseurs et techniciens de la flottille de réserve sont un vrai cadeau du ciel. »

Togo sentit comme une légère réserve dans sa voix, mais tout le monde y aurait sans doute été sensible. « Vous êtes inquiète, madame la présidente.

— Je le suis dès que ça me paraît trop beau pour être vrai. » Elle réfléchit un instant, les lèvres plaquées à son poing. « Nous allons devoir trier très soigneusement ces gens. Je tiens à m’assurer qu’ils sont bien ce qu’ils prétendent. Qu’ils n’entretiennent plus aucune allégeance envers le Syndicat et qu’ils peuvent en toute sécurité former la majorité de l’équipage de deux vaisseaux de guerre extrêmement puissants.