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Confrontée à l’aveu de Rogero, qui venait de reconnaître brutalement sa faute, Morgan le foudroyait du regard. « Mon général, un tel manquement…

— Fera ultérieurement l’objet d’un entretien entre le colonel Rogero et moi… En privé.

— Mon général, on ne peut pas le laisser s’en tirer à cause de sa relation personnelle avec…

— Suffit, colonel Morgan ! lâcha Drakon, dont la voix avait gagné en volume. Je n’exige pas la perfection de mes officiers. J’évaluerai avec soin les erreurs commises par le colonel Rogero et je prendrai ma décision quant aux ajustements à y apporter, mais je garderai aussi à l’esprit que nous sommes tous capables d’en faire.

— Pas moi, mon général, insista Morgan.

— Pas toi ? » Le regard que Malin porta sur Morgan était à la fois dur et atone. « Tu serais surprise d’apprendre quelques-unes de celles que tu as commises.

— Si tu sais quoi que ce soit… commença Morgan d’une voix furibonde, en agrippant le poignet de Malin, un peu comme lui-même avait broyé celui d’Ito dix minutes plus tôt.

— Suffit ! » répéta Drakon.

Estomaquée par cet éclat de voix, Morgan relâcha son étau, se mit au garde-à-vous et salua. « À vos ordres, mon général. Avec votre permission. » Elle fit demi-tour, ouvrit la porte et sortit en trombe.

« Je n’aurais pas cru qu’elle me détestait autant, lâcha Rogero.

— Elle déteste tout le monde, affirma Malin. Mais vous n’y êtes pour rien. Morgan est furieuse parce que c’est moi, et pas elle, qui ai démasqué Ito. Elle a été prise au dépourvu, mal préparée, quand Ito a failli tuer le général Drakon, parce qu’elle nous regardait, vous et moi, au lieu de la surveiller.

— Bran, fit Drakon non sans une certaine véhémence, je te suis très reconnaissant de ce que tu as accompli, mais il n’était pas nécessaire d’énerver Morgan à cet égard.

— Tout ce que je dis serait regardé par elle comme un moyen de la narguer, mon général. Je peux vous promettre que sa rage vient de ce qu’elle n’a su repérer avant moi le danger qui vous menaçait. Elle ne supporte pas que je réussisse là où elle a échoué.

— Tâchez de rester professionnels tous les deux. Tenez-vous-le pour dit. » Drakon se demandait si leur rivalité n’était pas désormais assez exacerbée pour qu’il soit nécessaire de les séparer, en dépit de l’efficacité de leur tandem et de leur apparente loyauté à son endroit.

« Il est bien dommage qu’Ito soit morte avant d’avoir pu nous mener aux autres serpents opérant encore en sous-main à Midway », fit remarquer Rogero d’une voix neutre.

Malin secoua la tête. « Je commence à croire qu’il n’y a pas d’autres serpents dans notre système stellaire.

— Pas d’autres serpents ? s’étonna Drakon. Qui donc alors aurait été derrière les agressions, l’espionnage et tout ce que nous avons encore connu ?

— Je m’efforce de l’apprendre, mon général. Et nous ne pouvons certainement pas écarter l’hypothèse de la présence de serpents parmi les survivants de la flottille de réserve. Mais j’ai découvert que toutes ces tentatives que nous avons subies contreviennent fréquemment aux méthodes habituelles des serpents, sauf lorsqu’elles sont si maladroites qu’on peut avoir la certitude de les détecter. Auquel cas les procédures des serpents sont suivies à la lettre.

— Par des gens qui cherchent à se faire passer pour eux ? interrogea Rogero.

— Oui. » Malin se tourna vers Drakon. « Non, je ne soupçonne nullement Morgan en l’occurrence. Il y a de multiples joueurs dans cette partie, ce qui tend à brouiller indéfiniment les pistes. Je sais par exemple que jamais Morgan ne vous viserait. Aucun signe non plus ne laisse entendre qu’elle pourrait s’en prendre à Bradamont. Mais quelqu’un tente de se livrer sur elle à une surveillance préalable à une agression, et la dernière tentative d’assassinat qui vous a visé était mortellement sérieuse. »

Rogero dévisagea Malin. « Pourquoi ne m’a-t-on pas prévenu ?

— Parce que je ne dispose toujours pas d’éléments suffisants pour avoir une certitude, ni sur la prochaine tentative ni sur l’identité de son instigateur, expliqua Malin. Et le capitaine Bradamont se montre désormais très soucieuse de sa sécurité personnelle.

— Oui, reconnut à contrecœur Rogero. L’émeute du cargo l’a mise sur ses gardes : un environnement prétendument sécurisé n’est pas forcément synonyme d’absence de danger.

— Qui donc me prendrait pour cible, en ce cas ? demanda Drakon. Cette tentative d’assassinat par les gens de La Parole au Peuple porte indubitablement l’empreinte des serpents, n’est-ce pas ?

— Je n’en suis pas si sûr, mon général, s’expliqua Malin. On nous a induits à le croire, mais j’ai réfléchi depuis. » Il se dirigea vers le mur, où était accrochée une illustration du système de Midway qui faisait à la fois office de décoration et d’utilitaire, et il pointa la représentation de la planète. « L’agression qui vous visait s’est traduite par une intervention des services de sécurité qui a effectivement balayé l’organisation La Parole au Peuple de la surface de la planète. Les meneurs ont été abattus ou contraints de se retirer, leurs partisans les plus zélés ont été tués durant l’assaut et la plupart des autres, éparpillés, ont rejoint des mouvements moins radicaux. Tout le programme de La Parole au Peuple a été discrédité par son implication dans cet attentat contre vous. Si vous étiez un serpent et que vous cherchiez à déstabiliser politiquement notre système, ne préféreriez-vous pas voir une telle organisation renforcée plutôt qu’éliminée ? La voir se consolider pour défier votre autorité, à la présidente Iceni et à vous-même ? »

Drakon vint se placer près de Malin et réfléchit en plissant les yeux, tout en fixant l’image de la planète. « C’est un excellent argument, en effet. Ces gens de La Parole au Peuple avaient déjà passablement désorganisé la planification des élections. Leur élimination nous a profité, à la présidente et à moi. » Il décocha un long regard à Malin. « Mais elle aurait aussi bien pu impliquer ma propre mort. Suggérerais-tu que la présidente Iceni était derrière tout cela ? »

— Que non pas, mon général. J’ai la certitude du contraire, affirma Malin avec véhémence. Mais ça n’exclut pas quelqu’un de son camp.

— Quelqu’un qui voudrait vous faire croire qu’elle est derrière tout cela, suggéra Rogero.

— Ou qui voudrait lui faire croire que vous cherchez à la doubler. »

Le rire de Drakon se réduisit à un reniflement amer. « Je vois. Nous n’en avons toujours aucune idée. Mais, si tu prétends que les serpents ne sont jamais les instigateurs de ces incidents, quels qu’ils soient, alors il faut en informer la présidente Iceni. Je m’en charge. Colonel Rogero, allez trouver le capitaine Bradamont et faites-lui savoir qu’on veut encore s’en prendre à elle. Et mettez-la aussi au courant pour Ito.

— Et moi, mon général ? demanda Malin.

— Tâche simplement d’éviter Morgan pendant quelque temps. »

Gwen Iceni offrit à Drakon un siège derrière son bureau, en même temps que sa main tendue pour le lui indiquer esquissait fugacement un signe dont elle espérait qu’il le reconnaîtrait.

On les écoutait peut-être.

Tous deux se trouvaient certes dans son bureau, sans doute le lieu le plus sécurisé placé sous son autorité personnelle, mais son instinct lui soufflait que, même ici, parler trop librement risquait d’être dangereux. Cette impression lui était jusque-là inconnue, mais la conviction ne cessait de s’en imposer à elle. S’agissait-il d’une prudence justifiée ou d’une authentique paranoïa ?