— C’est tout ? fit Malin. Ils ne correspondent pas ?
— C’est bien suffisant. Vous êtes un imposteur, un usurpateur qui se fait passer pour Bran Malin. »
Drakon brandit la main. « Passe-moi cette disquette, Morgan. Si jamais tu as forgé de fausses preuves…
— Vous pouvez vous procurer à l’instant un autre échantillon de son ADN, mon général, et le comparer à celui de son dossier. »
Drakon s’empara de la disquette que Morgan lui tendait d’un air satisfait et se tourna vers Malin. « Bran ? Tu as quelque chose à dire ?
— Oui, mon général. Je répondrai à toutes vos questions à votre entière satisfaction, mais… (il désigna Morgan de la main) j’exige fermement que le colonel Morgan ne soit pas présente.
— Pourquoi ?
— Vous comprendrez quand j’aurai répondu à vos questions, mon général.
— Vous n’avez rien à exiger, colonel Malin, ou qui que vous soyez, lui cracha Morgan au visage.
— Tais-toi ! » ordonna Drakon. Il continua de fixer ses deux officiers dans le silence qui venait de s’installer. Il les scrutait en se remémorant tout ce qu’il avait exigé de chacun d’eux et ce qu’ils avaient fait pour lui par le passé. Que leur devait-il présentement ? « Colonel Morgan, si votre disquette contient bien ce renseignement, votre présence n’est pas requise. Je vais donc exaucer la requête du colonel Malin. Si ses réponses ne me satisfont pas pleinement, je vous ferai convoquer ultérieurement. »
Morgan fronça les sourcils, mais elle ravala ce qu’elle s’apprêtait à dire et se tourna vers Malin. « Tu ne pourras pas t’en sortir cette fois par le mensonge. Tu n’en aurais pas eu besoin si tu avais eu les tripes de me tuer avant que je ne te dénonce au général, mais tu as toujours été un cloporte. Je suis sûre que le général Drakon saura gérer la situation si tu fais le mariolle, et je sais aussi ce qu’il fera quand il aura pris connaissance de mes preuves. Bon séjour en enfer ! »
Malin se contenta de lui retourner son regard sans ciller. « Je t’y garderai une place. Bien au chaud. »
Il relâcha lentement sa prise sur son arme de poing et la tendit à Drakon.
Le général la posa sur le bureau à portée de sa main. « Vous pouvez disposer, colonel Morgan. Puisque le colonel Malin exige un certain secret, regagnez vos quartiers, s’il vous plaît, pendant que je m’entretiens avec lui. »
Morgan dénuda ses dents en un rictus haineux puis salua. « À vos ordres, mon général. »
Elle sortit lentement, le dos délibérément tourné, en faisant étalage de sa vulnérabilité, comme pour narguer Malin le temps de ces quelques secondes.
La porte se referma sur elle. Malin attendit que les diodes de sécurité fussent passées du rouge au vert au-dessus de la porte pour signaler qu’aucun dispositif de surveillance ne pouvait plus entrer dans le bureau, puis il se tourna vers Drakon. « Vous devriez jeter un coup d’œil à ce que Morgan vous a apporté, mon général. »
Drakon indiqua une chaise devant son bureau. « Asseyez-vous. »
Ce n’était pas un témoignage de courtoisie mais un ordre, et Malin en était conscient. Assis, il serait handicapé s’il tentait de prendre la fuite ou d’agresser son supérieur, d’autant que cette chaise était ciblée par plus d’une arme dissimulée et équipée de divers senseurs chargés de déterminer si la personne qui l’occupait disait la vérité telle qu’elle la connaissait.
Pendant qu’il prenait place, le général inséra la disquette dans le lecteur de sa console. Deux images d’ADN standardisées s’affichèrent sous forme de codes-barres : celui provenant des états de service du colonel Bran Malin et celui correspondant à l’échantillon prélevé sur le Malin assis en face de lui.
Un segment de chacun des deux profils était surligné en rouge. « Vous avez dit que vous répondriez à mes questions, commença Drakon. Savez-vous ce que montrent ces deux images ?
— Oui, mon général. »
Drakon fronça les sourcils en se demandant pourquoi son interlocuteur avait l’air soulagé. « C’est-à-dire ?
— Que les ADN mitochondriaux ne correspondent pas. »
Drakon consulta son écran. « C’est exact.
— L’échantillon de mon dossier a été falsifié. » Malin leva lentement et prudemment le bras pour éviter toute attitude menaçante. « L’ADN de la puce implantée qui contient mes données personnelles est exact. Toute variation avec le mien aurait été repérée depuis longtemps.
— Vous avez falsifié celui de vos états de service ? Pourquoi ? »
Malin poussa un soupir contrit. « Il le fallait. Sinon, on aurait pu établir une relation à partir de mes états de service lors des contrôles génétiques de routine.
— Une relation ? Avec quoi ? » Malin aurait-il espionné depuis toujours pour le compte de l’Alliance ? Ou bien y avait-il un lien avec les Énigmas ? Voire, si impossible que ça pût paraître, avec les serpents ?
« L’ADN mitochondrial, mon général, laissa tomber Malin. Il permet d’identifier la génitrice de tout individu.
— Vous cherchiez à cacher l’identité de votre mère ? » Drakon secoua la tête, mystifié. « C’était un médecin chef syndic. Les serpents eux-mêmes n’auraient rien pu trouver d’incriminant dans son dossier. Elle est morte il y a… quoi… huit ans ?
— Oui, mon général. » Sous la tension, la voix de Malin n’était plus qu’un filet. « Le médecin chef Flora Malin est morte il y a huit ans de complications consécutives à une exposition à certains matériaux lors de recherches imposées par le Syndicat. Elle m’a donné le jour. Elle m’a élevé. Mais ce n’est pas ma mère biologique.
— Bon sang, les gens qui ont un passé familial compliqué sont légion ! Nous venons de vivre une guerre d’un siècle ! Pourquoi dissimuler l’identité de votre mère biologique ? C’était un serpent ?
— Non, mon général. » Malin pointa l’écran. « Lancez une recherche comparative avec l’échantillon d’aujourd’hui, mon général. Celui que le colonel Morgan a prélevé sur moi. Vous trouverez une correspondance.
— Votre mère biologique est encore à Midway ?
— Vous pouvez limiter la recherche au personnel de votre QG, mon général. » Le visage de Malin était aussi blanc que s’il s’était vidé de son sang, mais sa voix restait égale.
Les senseurs de sa chaise n’enregistraient aucun signe de tromperie. Drakon lança la recherche, le front plissé de perplexité, non sans se demander qui, parmi les soldates affectées à son QG, pouvait bien être la mère biologique de Malin.
Il fixa longuement la réponse. Il déchiffrait sans doute les mots, mais leur signification persistait à lui échapper. Il ne pouvait croire à ce qu’il avait sous les yeux.
La voix du colonel Malin lui parvint comme étouffée par la distance. « Ainsi que le prouve clairement, j’en suis sûr, la correspondance de nos deux ADN, ma mère biologique est le colonel Roh Morgan. »
Chapitre dix-neuf
« Quand Morgan a affirmé qu’elle connaissait mon secret, j’ai cru qu’elle ne parlait pas seulement de l’incohérence entre l’ADN de mes états de service et le mien, mais qu’elle avait aussi découvert la nature de notre lien, expliqua Malin de la même voix suprêmement calme. Je reconnais n’avoir pas réagi posément. »
Drakon, qui jusque-là était resté debout, s’assit brusquement et le dévisagea. « Comment est-ce possible ? Vous êtes pratiquement du même âge et… Oh ! Cette mission !