— Vous venez de le dire, mon général. » Le colonel indiqua d’un geste la direction générale des quartiers de Morgan. « Le colonel Morgan n’a pas encore eu un autre enfant, mais j’ai appris qu’elle était enceinte. »
Oh, génial. Qui diable a bien pu… Drakon se sentit soudain glacé intérieurement. « Morgan, enceinte ?
— Oui, général. » Malin se raidit visiblement pour reprendre la parole. « C’est vous le père. C’est dans ce but qu’elle vous a séduit à Taroa. »
D’autres souvenirs affluèrent : ceux de Morgan souriante, le lendemain matin à Taroa. « Pourriez-vous me dire ce qu’exactement vous espériez obtenir ? avait-il demandé.
— Il me semble que ça crève les yeux. J’ai obtenu ce que je voulais. Et plus d’une fois », avait répondu Morgan.
Il n’avait pas compris sur le moment ce qu’elle voulait dire, n’avait même pas envisagé cette éventualité. Pas de la part de Morgan. « Pourquoi ? » réussit-il finalement à articuler.
Malin haussa les épaules. Il avait recouvré en grande partie son sang-froid. « On peut présumer sans risque qu’elle n’était pas motivée par de tendres sentiments ni par un désir de maternité. Et, en dépit de sa… singularité… Morgan peut se montrer formidablement désirable. Si elle avait voulu un enfant, n’importe quel homme aurait pu la mettre enceinte. Mais c’est le vôtre qu’elle voulait, mon général. »
Morgan, mère de son enfant ? Les vieilles croyances disaient que, quand on sait qu’on fait quelque chose de mal, on finit tôt ou tard par le payer au prix fort. Jamais il n’aurait cru que le prix serait aussi élevé.
Il fixa Malin d’un œil où brillait une toute nouvelle compréhension. « C’est pour cette raison que tu étais assez remonté contre elle pour la braquer de ton arme, hein ? Pas seulement parce que tu craignais qu’elle ait découvert votre véritable relation. Tu savais qu’elle était enceinte de moi. La femme qui t’a instinctivement rejeté allait avoir un autre enfant.
— Il ne s’agit pas de moi », nia Malin. Les évaluations des senseurs de sa chaise fluctuèrent puis rendirent un verdict tempéré : Probablement sincère.
Ou chimérique, rectifia Drakon.
« Elle a l’usage d’un autre enfant, reprit Malin. Vous la connaissez. Morgan voulait avoir cet enfant de vous pour une raison précise. J’ignore laquelle, mais…
— Roh Morgan n’élèvera aucun enfant de moi ! » Drakon se leva en respirant lourdement ; il s’efforçait de réprimer une envie pressante de se précipiter dans les quartiers de Morgan et de…
Et de quoi ?
« Mon général, Morgan ne doit pas savoir pour moi. » L’impétuosité de sa voix réussit à se frayer un chemin au travers des pensées embrouillées de Drakon. « Je ne sais absolument pas comment elle réagirait. »
Drakon se surprit à partir d’un rire rauque. « Morgan ? Je crois qu’on peut affirmer sans risque qu’elle ne t’étreindrait pas tendrement, les yeux mouillés de larme, en murmurant des mots doux à son petit garçon perdu. D’autant que, biologiquement parlant, tu es désormais plus vieux qu’elle d’un an. » Il s’interrompit pour s’efforcer de réfléchir. « Non, je ne le lui dirai pas. Mais qui te dit qu’elle ne cherchera pas une correspondance à ton ADN ? »
Malin haussa les épaules. « Sans doute pour la même raison qui la pousse instinctivement à me haïr. Elle hésitera à procéder à cette comparaison parce que quelque chose en elle lui souffle qu’elle n’aimerait pas la réponse. Mais, si jamais elle l’entreprend, j’ai implanté dans tous les systèmes des mouchards qui me préviendront de cette recherche et m’apprendront l’identité de son auteur. Si j’en suis avisé… je prendrai des mesures pour me protéger.
— Pourquoi ne m’en as-tu jamais parlé ? demanda Drakon.
— Avez-vous vraiment besoin de me poser cette question, mon général ? » Malin secoua la tête. « J’ai été tenté de le faire à plusieurs reprises, mais je n’ai jamais pu m’y résoudre. »
Aucune dissimulation notable.
Qu’est-ce que Malin me cache ? Qu’évite-t-il de me dire qui pourrait révéler une quelconque duplicité de sa part ? C’est un expert en matière de tromperie des détecteurs de mensonge. C’est bien pour cette raison qu’il est aussi un de mes meilleurs inquisiteurs. Il connaît tous les trucs susceptibles de les leurrer.
Gwen m’avait prévenu. Méfiez-vous de vos subordonnés. Je croyais tout savoir de Morgan et Malin, mais ma plus grosse lacune a été une surprise totale.
Mais je dois m’occuper maintenant de Morgan. « Je dois être sûr de pouvoir me fier à vous, colonel Malin.
— Je ne trahirai jamais vos objectifs. »
Aucune dissimulation notable.
Mais qu’est-ce que ça recouvrait exactement ?
Drakon lui rendit son arme de poing. « Ce sera tout pour l’instant. Je vais aller trouver Morgan. Il vaut probablement mieux que vous ne m’accompagniez pas. »
Assise nonchalamment dans son fauteuil, une jambe passée par-dessus le dossier, Morgan sourit à Drakon à son entrée dans ses quartiers. « Il est mort ? demanda-t-elle. Ce fut lent ou rapide ? »
Le général fit halte devant sa porte. « Le colonel Malin est vivant. Il m’a fourni une explication acceptable des circonstances propres à cette affaire. »
Le visage de Morgan se figea un instant puis elle reprit contenance pour scruter Drakon. « Vous ne l’avez pas laissé en vie sans raison.
— Effectivement. » Restons-en là et laissons-la patauger. « Mais il y a un point dont nous devons discuter tous les deux. »
Elle feignit le désarroi. « Cette petite fouine aurait-elle porté des accusations contre moi ?
— Quand comptais-tu donc m’apprendre que tu étais enceinte ? »
Morgan était rarement déstabilisée, mais ça ne dura qu’une fraction de seconde, car elle éclata de rire comme si elle était sincèrement amusée. « Il l’a découvert ? Ce garçon est plus doué que je ne le croyais. Et, naturellement, il vous l’a appris.
— Répondez à ma question, colonel Morgan.
— Est-ce une façon de s’adresser à la mère de son enfant ? » le nargua-t-elle avant d’adopter machinalement, dans un sursaut, une posture défensive à la vue du changement d’expression de Drakon. « Je vous l’aurais dit au moment voulu.
— Combien de temps pensiez-vous pouvoir dissimuler cette grossesse ? »
Morgan sourit. « Très longtemps. » Elle tapota son ventre plat. « Ça ne vous concerne en rien. J’ai fait retirer l’embryon pour l’implanter dans une mère de substitution. »
Drakon hésita un instant, estomaqué par cet aveu. « Et vous croyez que je ne peux pas la retrouver ?
— Je crois, général Drakon, que certaines mesures de protection ont été mises en place et que, si l’on s’approche un peu trop près de la mère de substitution, elle et l’enfant mourront », déclara Morgan d’une voix tranquillement menaçante. Le sourire réapparut. « J’ai couvert toutes les éventualités. C’est ce que vous m’avez enseigné. Si jamais vous m’arrêtez et me placez à l’isolement, il se passera quelque chose. Ou peut-être pas. Vous n’en saurez rien. Tuez-moi et il se passera quelque chose. Un horrible fardeau sur votre conscience.
— Pourquoi vouliez-vous cet enfant ? »
Morgan lui retourna son regard sans broncher. L’admiration se lisait à présent sur son visage. « Vous n’avez donc pas saisi ? Vraiment ? Ç’a toujours été une de vos tares. Vous n’en avez pas beaucoup. Vous êtes un homme stupéfiant et un grand meneur d’hommes. Mais vous semblez incapable de comprendre qui vous êtes et ce que vous êtes réellement. Vous vous fixez des limites dont vous n’avez nullement besoin pour vivre.