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— Les Énigmas, s’expliqua Iceni. Vous aviez raison. Ils attendaient Black Jack. Ils stationnent entre notre portail et le point de saut pour Pelé. Pour atteindre le portail, la flotte devra les combattre au passage.

— Les extraterrestres savaient que les vaisseaux de Black Jack allaient émerger ? » Drakon secoua lentement la tête. « Ils veulent l’achever avant de nous affronter. Mais, si l’on se fie aux vecteurs qu’affiche cet écran, la flotte de l’Alliance fonce droit sur eux. Elle cherche à engager le combat.

— Si elle fuyait vers le territoire de l’Alliance, ça n’aurait aucun sens, n’est-ce pas ? Cela dit, nul n’a jamais taxé les vaisseaux de l’Alliance de poltronnerie.

— Non, en effet. » Le regard de Drakon s’était fait lointain, comme s’il était témoin d’événements passés et non de ceux qui se déroulaient présentement. « Leurs forces terrestres étaient même sacrément vaillantes, quoi qu’en ait dit à l’époque la propagande syndic. La flotte a peut-être été taillée en pièces, mais elle n’est pas vaincue. » Il fixait Iceni droit dans les yeux et son regard avait recouvré toute sa netteté. « Allons-nous les aider ?

— Nous n’avons pas grand-chose à leur offrir », répondit la présidente, consciente d’éluder la question.

Le colonel Malin avait reparu entre-temps ; il se chargea d’y répondre : « Si nous choisissons d’épauler Black Jack dans cette bataille, ce geste aura une immense portée symbolique. Il saura que nous nous tiendrons à ses côtés même quand nos chances seront quasiment nulles. Si en revanche nous restons neutres, si nous nous croisons les bras, la portée en sera sans doute équivalente mais négative. »

Iceni était consciente que Malin avait raison, pourtant elle hésitait. Je peux compter sur si peu de vaisseaux. Les engager tous pourrait se solder par leur perte irrémédiable, et mes quelques croiseurs et avisos ne suffiront pas à faire pencher la balance en faveur de Black Jack. Par-dessus le marché, ces dernières vingt-quatre heures passées à attendre, impuissants, que les Énigmas se décident à frapper et à annihiler toute présence humaine dans notre système ont amplement démontré que je ne peux pas me permettre de compter sur l’Alliance pour sauver les meubles.

Même si nous menons à bien l’idée de travailler avec Taroa à l’achèvement d’un deuxième cuirassé, il ne sera pas disponible avant plusieurs mois. Nous avons besoin de nos vaisseaux. Mais, si je ne les engage pas, je prends le risque de perdre mon allié le plus puissant de tout l’espace colonisé par l’homme.

Drakon avait sans doute compris son dilemme car, au bout de quelques instants, il reprenait la parole sur un ton mesuré. « Si nous aidions Black Jack, nous pourrions l’emporter. Si nous ne faisons rien, nous perdons quoi qu’il arrive, quel que soit le vainqueur, de Black Jack ou des Énigmas. »

Elle ne répondit pas. Les yeux baissés, elle repoussait le moment d’arrêter une décision dont tout pouvait dépendre ensuite. Le plus sûr serait sans doute d’attendre. De voir ce qu’allait faire le CECH Boyens. Nul doute à cet égard.

Plus sûr à court terme.

Iceni aurait pu attendre avant de mettre son projet de rébellion contre le gouvernement syndic à exécution. Elle aurait pu repousser les coups de sonde de Drakon, les jugeant par trop prématurés, et éviter de faire tout ce qui l’aurait condamnée aux yeux des serpents du SSI. Et, quand ceux-ci avaient reçu l’ordre de ramener certains CECH à Prime pour des contrôles de sécurité – ce qu’ils avaient fait –, elle se serait retrouvée désarmée.

À certaines occasions, les risques les plus démentiels restent la seule option viable.

« Vous avez raison, finit-elle par répondre à Drakon. Black Jack ne nous pardonnerait pas de n’être pas intervenus. » Elle fit signe au superviseur du centre de commandement. « Ouvrez-moi un canal avec la kommodore Marphissa à bord du Manticore. »

Deux secondes plus tard, le superviseur saluait de nouveau Iceni. « Nous sommes prêts à transmettre, madame la présidente. »

Mentalement, Iceni se décrivit Marphissa sur la passerelle du Manticore : la kommodore faisait de son mieux pour afficher vaillance et détermination à l’intention d’un équipage qui devait sans doute perdre un peu plus courage à chaque seconde qui passait, à mesure qu’il prenait conscience de ses maigres chances de l’emporter. Comment ces matelots avaient-ils réagi à l’apparition de la flotte de l’Alliance, dont l’expérience de toute une vie leur soufflait qu’elle n’était pas moins leur ennemie que l’armada Énigma ? « Kommodore, faites changer de cap autant que nécessaire à votre flottille pour vous porter à la rescousse des forces de… » Elle avait failli dire « de l’Alliance ». Mais ça ne serait pas passé. Même à présent, quand ces forces combattaient un ennemi commun. On n’effaçait pas aussi aisément un siècle de guerre – un siècle de haine. « Pour porter assistance aux forces qui, commandées par Black Jack, s’apprêtent à défendre notre système stellaire, se reprit-elle. Placez-vous sous ses ordres et obéissez à toutes ses instructions tant qu’elles ne contreviennent pas à vos responsabilités envers moi.

» Au nom du peuple, Iceni, terminé. »

Ce n’est qu’après avoir articulé ces derniers mots (au nom du peuple) qu’Iceni se rendit compte qu’elle avait mis l’accent sur eux au lieu de débiter mécaniquement cette expression si longtemps privée de son sens. Depuis la rébellion conduite par Drakon et elle-même, on ne la prononçait plus sur le même ton. Ceux qui la prenaient au pied de la lettre étaient sans doute animés de bonnes intentions, mais ils risquaient aussi de décider que « le peuple » en question se porterait mieux s’il se choisissait d’autres dirigeants. Et pourtant je viens moi aussi de lui accorder un sens. Et si Marphissa avait raison ? L’attitude de mes travailleurs ne serait-elle pas en train de déteindre sur moi ?

Drakon la dévisageait sans mot dire. Malgré tout, elle aurait pu lire dans ses pensées. « Je cherchais seulement à motiver le plus efficacement possible la kommodore Marphissa, marmotta-t-elle si bas que lui seul pouvait l’entendre. Cette façon de les éperonner dont vous avez parlé. »

Drakon fut assez avisé pour se borner à lui répondre d’un hochement de tête.

Iceni survola du regard le centre de commandement en s’efforçant de déceler un changement de l’atmosphère qui y régnait. Quelque chose avait basculé. L’appréhension et l’angoisse qui couvaient derrière le masque stoïque des travailleurs depuis l’arrivée de la flottille de Boyens et de l’armada Énigma avaient cédé la place à quelque chose d’autre. L’inquiétude était toujours là, mais s’y ajoutait maintenant une sorte de singulière résolution qu’Iceni n’avait pas l’habitude de sentir émaner de ses travailleurs.

Le colonel Malin prit la parole d’une voix sourde. « L’Alliance est là. Ils ne tiennent pas à faire mauvaise figure devant elle. Ceux des forces mobiles et des forces terrestres y sont habitués, mais pas l’homme de la rue, le travailleur moyen. Vous leur avez insufflé une grande fierté en ce qu’ils sont et ce qu’ils font, madame la présidente. Ils ne flancheront pas devant l’Alliance.

— Dommage que je n’aie pas songé plus tôt à ces stimuli », répliqua Iceni sur le même registre. En réalité, j’y ai bel et bien songé. Mais le système syndic ne m’aurait pas permis de tenter de telles expériences. Plutôt voir l’univers s’effondrer que de laisser quiconque risquer de compromettre la docilité des travailleurs.

« Nous devrions envoyer un message à Black Jack, intervint Drakon. Vous et moi.

— Conjointement ?