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— Verriez-vous en elle une menace à mon encontre ?

— Oui, répondit-elle, le surprenant de nouveau. Ne vous en offusquez pas avant de m’avoir écoutée. Je ne crois pas le colonel Morgan capable de vous nuire intentionnellement. Elle vous est extrêmement loyale. Ce dont vous devriez vous inquiéter, en revanche, c’est des extrémités auxquelles cette loyauté pourrait la conduire, des mesures qu’elle risquerait de prendre en croyant servir votre intérêt. »

Mon intérêt ? Où donc ai-je déjà entendu ça ? se demanda Drakon.

À Taroa. Morgan s’est servie exactement des mêmes termes. « Tout ce que je fais, c’est dans votre intérêt, général Drakon. » Même sur le moment, il s’était demandé ce que cela recouvrait.

Mais de là à représenter une menace pour lui ? Morgan avait sans doute ses côtés excentriques, mais jamais elle n’aurait obtenu cette dispense médicale si elle n’avait pas été suffisamment stable mentalement pour correspondre aux critères syndics. Certes, ceux-ci pouvaient être élastiques, mais ils ne laissaient aucune place à des électrons libres qui n’auraient pas été pistonnés par un parrain haut placé. Et Morgan n’avait jamais bénéficié d’un tel garant.

Néanmoins, Drakon pouvait comprendre les inquiétudes d’Iceni. « D’accord. Je veillerai à ce que Morgan sache que, s’il vous arrivait quelque chose, à vous ou à quelqu’un de votre entourage, sans que j’en aie clairement et spécifiquement donné l’ordre, ses bons états de service ne lui épargneraient pas les conséquences. »

Les yeux d’Iceni le scrutèrent longuement avant qu’elle ne reprît la parole. « Nous voici devant un dilemme. Je vous apprécie sans doute parce que vous ne mettez pas au rancart les gens qui deviennent gênants. Mais ce trait de caractère me complique aussi l’existence. Très bien. Prévenez-la. Je l’aurai à l’œil.

— Moi aussi. » Drakon lui adressa un regard sceptique. « Vous m’appréciez ? »

La présidente écarta les mains en soupirant. « Un peu. Est-ce si extraordinaire ?

— Eh bien… oui. » Il sourit comme pour se dénigrer lui-même. « Je ne suis pas facile à vivre.

— Et moi non plus, déclara Iceni tandis qu’un sourire fugace fleurissait sur ses lèvres. Je devrais être en train de travailler.

— Moi aussi. » Ne jamais faire confiance, ne pas devenir trop intime, ne pas mélanger plaisir et travail, et ne jamais, au grand jamais, commettre l’erreur de baisser sa garde en raison de sentiments personnels. Les vieilles mises en garde, qui lui avaient sauvé plus d’une fois la vie lorsqu’il gravissait les échelons de la hiérarchie syndic, résonnaient encore dans les oreilles de Drakon quand ils sortirent du bureau.

Mais, bon sang, moi aussi je l’apprécie. Un peu.

« J’ai de nouveau visionné l’interrogatoire de l’agent du SSI par le personnel de la présidente Iceni, rapporta le colonel Malin. Et j’ai conduit mon propre interrogatoire. Je tombe d’accord avec les conclusions qu’on vous a fournies. Ne nous manque plus que votre approbation quant à sa terminaison. »

Drakon se renversa dans son fauteuil, bien content d’avoir enfin regagné son bureau et son QG, et d’être entouré de proches dont la loyauté n’était en aucun cas sujette à caution. Il se repassa encore les dernières paroles du colonel pendant que ce dernier attendait patiemment et respectueusement son bon vouloir, pratiquement figé au garde-à-vous. C’était au demeurant la posture la plus désinvolte qu’il adoptait en présence du général.

« Terminez. » Ce mot de « terminaison » était celui qu’employaient officiellement les Syndics pour parler d’une exécution. Terminez les prisonniers. Combien de fois n’ai-je pas entendu cette phrase ? se demanda-t-il.

Il détestait ce mot. Depuis très, très longtemps.

Mais, tout euphémisme mis à part, le sort de cette femme ne laissait aucune place à la discussion. Elle avait travaillé pour les serpents. Elle avait prétendu (et son interrogatoire l’avait corroboré) qu’on l’avait forcée à collaborer en menaçant sa famille, mais ça n’y changeait rigoureusement rien. Elle ne pouvait s’attendre à aucune pitié de la part de ses anciens collègues. La laisser filer était tout bonnement exclu.

Pourtant, Drakon n’envisageait pas sans une étrange réticence d’ordonner son élimination. « Et la présidente Iceni ? A-t-elle donné des ordres quant à la prisonnière ?

— Son bureau a approuvé sa terminaison, général.

— La présidente Iceni ou seulement son bureau ? » s’enquit Drakon.

Malin marqua une pause. « Je vérifierai si la présidente a personnellement approuvé cette décision, mon général. »

Cette décision unilatérale contrevenait-elle à son accord avec Iceni ? Probablement. La présidente aurait dû le consulter avant d’approuver l’assassinat de l’agente. D’autant qu’il n’était nullement nécessaire de précipiter cette exécution. Mais pourquoi la reporter ? Sans doute serait-ce différent si l’agente du SSI était encore de quelque utilité…

Drakon se rendit compte qu’il souriait. « Mettons que nous la gardions en vie, colonel Malin… ?

— En vie ? » Pour une fois, Malin semblait éberlué.

« Supposez que vous soyez un des serpents qui opèrent encore en sous-main sur la planète ou dans le système, que vous ayez été informé de l’arrestation de cette femme, mais que vous ayez appris que nous ne l’avons pas exécutée. Qu’en concluriez-vous ? »

Malin retourna brièvement la question dans sa tête, puis son visage s’éclaira. « Qu’elle peut encore nous être utile.

— Exactement. Qu’elle garde toujours une certaine valeur à nos yeux. Alors, que feriez-vous ?

— J’essaierais de l’abattre. De l’éliminer moi-même. » Il adressa à Drakon un sourire approbateur. « Vous voulez vous servir d’elle comme d’une chèvre pour forcer les autres agents du SSI à se dévoiler.

— C’est l’idée générale. » Vraiment ? Était-ce réellement l’unique raison de sa réticence ?

Mais toutes ces morts le rendaient malade. Avant que les Énigmas et Boyens ne débarquent, Gwen Iceni avait fait allusion devant lui à des moyens différents de gouverner, sans recourir sans cesse à des exécutions et en posant des limites au pouvoir dont disposaient les autorités en place. « Bran, auriez-vous des textes sur des systèmes de gouvernement permettant de restreindre les pouvoirs des responsables ? »

Malin hocha vivement la tête. « Oui, mon général. Je peux vous en fournir quelques-uns. Sur la science politique et l’histoire.

— Si la politique est une science, alors c’est une science pervertie, grommela Drakon. Je sais pourquoi les gens qui approuvent le pouvoir absolu dont disposent les CECH dans le régime syndic sont si nombreux. Ils espèrent devenir eux-mêmes un CECH, d’où cette propension.

— Ne sous-estimez pas la terreur que peut inspirer un tel régime. Quand on peut se servir de propos anodins pour incriminer des innocents et justifier un châtiment, nombreux seront ceux qui se refuseront à parler de vive voix. Et, pour être franc, il faut dire aussi que ceux qui croient nécessaire de placer un tel pouvoir entre les mains des dirigeants pour préserver l’ordre et la sécurité forment la majorité.

— Pourtant ils haïssent les serpents, lâcha Drakon, ironique. C’est ce à quoi a mené le régime syndic et ce qu’il justifie : un Service de sécurité interne que nous redoutions davantage que l’Alliance elle-même.

— Oui, mon général. C’est précisément à cela que ça conduit. Je vais vous dénicher ces textes. »

En dépit de l’absurdité des soupçons qu’entretenait Iceni sur Morgan, Drakon n’avait pas cessé de les ressasser, et ces références aux serpents les avaient encore exacerbés. « Colonel Malin, sommes-nous certains des renseignements que nous détenons sur le passé du colonel Morgan ? N’y aurait-il rien d’important qui m’aurait échappé ? »