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L’ambassadeur opina du chef avec empressement, trahissant ainsi son ardent désir de passer ce marché. « Oui. Je suis bien certain que mon gouvernement saura le comprendre. Nul ne tient à retomber sous la coupe du Syndicat. Kane aurait peut-être besoin d’assistance. »

Les derniers rapports de Kane faisaient état d’un chaos rampant, de dizaine de groupuscules rivalisant pour accéder au pouvoir après l’effondrement des autorités syndics et l’échec consécutif de plusieurs gouvernements faibles qui leur avaient succédé. « Intervenir à Kane pourrait être très périlleux, fit remarquer Iceni. Si Taroa y tient, nous pourrons toujours en débattre. Mais on estime chez nous que l’autorité centrale de Kane va probablement s’émietter en plusieurs gouvernements rivaux. Je serais assez encline à laisser ce processus se poursuivre avant d’engager là-bas nos ressources déjà limitées.

— Je comprends, madame la présidente. Pardonnez-moi, mais j’ai besoin d’une certitude. Vous nous faites cette offre en votre nom et, conjointement, au nom du général Drakon, n’est-ce pas ?

— C’est exact. Vous devrez signifier à votre nouveau gouvernement que nous ne pouvons pas attendre éternellement votre réponse. Si nous nous retrouvons tout près d’achever nous-mêmes le cuirassé de Taroa, nous n’aurons plus besoin de votre aide.

— Bien, madame la présidente. Je mettrai l’accent sur le besoin d’une prompte réaction.

— Merci », conclut Iceni sur un ton laissant clairement entendre que l’entretien était terminé. L’ambassadeur sortit, rayonnant à l’évocation de l’accord qu’on lui proposait, et dont il s’attribuerait certainement le mérite de l’avoir lui-même négocié.

Iceni appela Togo d’un geste. « Dégotte-moi un rapport à jour sur nos agents d’influence à Taroa. Je tiens à m’assurer que nous disposons d’assez d’agents en place pour faire approuver cet accord incessamment, et sans qu’on se pose de trop nombreuses questions à propos de l’autorité qu’il conférera à Midway sur les forces militaires de Taroa. Coopère avec l’équipe de Drakon pour faire en sorte que ceux qui rendent compte à ses gens recevront les mêmes instructions. Je veux que celles-ci partent pour Taroa avec le même vaisseau qui emportera notre proposition.

— Oui, madame la présidente. Pour obtenir son approbation rapide par le gouvernement taroan, il sera peut-être nécessaire d’étoffer davantage que prévu le budget des pots-de-vin. »

Le sourire d’Iceni se fit cauteleux. « Peut-être pas. J’ai découvert qu’il coûtait parfois moins cher de soudoyer des élus que de graisser la patte de bureaucrates appointés. Les bureaucrates se font une idée bien plus précise de leur propre valeur. Mais d’autres débours sont permis si besoin. Nous ne pouvons pas nous permettre de compter exclusivement sur Black Jack pour la défense de Midway. » Le colonel Malin lui-même méritait sans doute un dessous-de-table pour avoir suggéré le premier cet accord, mais il le refuserait à coup sûr. Quels que fussent ses mobiles, la cupidité n’en faisait pas partie.

La réponse de l’amiral Geary au message d’Iceni lui parvint six heures plus tard, aussi vite que possible, donc, puisque la flotte de l’Alliance, qui s’était regroupée en une seule et massive formation, orbitait à présent à près de trois heures-lumière de la planète principale. Black Jack ne semblait guère pavoiser. En vérité, il avait même l’air aussi surchargé de travail qu’elle. Je ne lui envie pas sa position de personnage le plus puissant de l’espace occupé par l’homme. Que faire de tout ce pouvoir quand on a une conscience et un minimum de matière grise ? Fatigué ou pas, son uniforme était immaculé. Il doit avoir une très bonne assistante, qui veille à ce que sa tenue reste impeccable…

Une assistante ? Quelqu’un d’un peu plus proche peut-être, oui. Des rumeurs ont couru…

« Ici l’amiral Geary, s’annonçait Black Jack. Je laisserai aux deux émissaires du gouvernement de l’Alliance qui nous accompagnent le soin de négocier ces questions avec vous. Ils devraient vous contacter très vite à ce sujet. Dans l’immédiat, je me soucie davantage des stocks de minerais bruts de mes auxiliaires, qui sont pour l’heure au plus bas. J’aimerais obtenir votre accord les autorisant à prospecter sur certains des astéroïdes du système stellaire, afin d’extraire ces minerais bruts pour nous permettre de commencer à réparer les avaries dont nous avons souffert à Midway.

» Veuillez transmettre à la kommodore Marphissa toute ma gratitude pour sa collaboration et celle de ses vaisseaux à notre défense de Midway. Ils se sont bien battus. En l’honneur de nos ancêtres, Geary, terminé. »

Iceni consacra quelques instants à réfléchir à sa réponse.

« Il est sérieusement en manque de minerais bruts », lâcha Togo. Il était revenu quelques instants plus tôt pour remettre à Iceni une copie interceptée et décryptée du message ultrasecret de l’ambassadeur de Taroa à son gouvernement, relatif au traité de défense commune, et se tenait depuis derrière elle, muet comme une carpe. Il s’exprimait à présent d’un air embarrassé. « Sinon Black Jack n’aurait jamais demandé. Pas dans un système stellaire syndic.

— Nous ne sommes plus un système syndic, fit remarquer Iceni.

— Pour eux, si, madame la présidente. » Pas moyen, à sa seule expression ni à sa voix, de deviner ce qu’il en pensait. « Nous avons aussi eu le temps d’évaluer les dommages visibles infligés aux vaisseaux de l’Alliance. Ils ont livré de très rudes combats et exigent effectivement de très grosses réparations. Il lui faut ces minerais.

— Que suggères-tu ?

— Une sorte de transaction commerciale à notre avantage, madame la présidente. Nous sommes en mesure de marchander et d’obtenir des avantages qui devraient rehausser votre stature et assurer la sécurité de votre position. »

Iceni y réfléchit. C’est tentant. J’ai un moyen de pression qui pourrait me valoir des concessions.

Tentant.

Comme le fromage d’une souricière ?

Black Jack a-t-il vraiment un besoin si urgent de ces minerais bruts ? Il rentre chez lui, après tout, et il dispose d’une puissance de feu colossale. Même si ses auxiliaires rentraient à vide, ils pourraient toujours piller un astéroïde au passage dans n’importe quel système stellaire, sans demander la permission ni offrir de compensations.

Il pourrait même le faire à Midway. Prendre tout ce qui lui plairait. Se borner à dire « Vous me devez bien ça », et nous ne pourrions rien objecter.

Mais, au lieu de se servir de ce formidable atout, Black Jack demande l’autorisation.

Ô toi, grand-maître de la ruse et de la fourberie, tu voudrais que je morde à l’hameçon, n’est-ce pas ? Voir comment je réagis quand on m’offre une occasion de me défiler, de marchander et de me comporter en véritable parangon du CECH syndic. C’est de cette manière, faut-il supposer, que tu as remporté sur nous des victoires à répétition. En nous laissant croire que nous avions la haute main puis en…

« Nous ne pouvons pas nous permettre de sous-estimer Black Jack, affirma-t-elle.

— Madame la présidente ?

— Il veut nous contraindre à négocier avec lui alors que nous le croyons en position de faiblesse. Pour vérifier si nous ne lui sauterons pas à la jugulaire à la première occasion. À le voir, il a l’air d’un simple spatial formulant une requête sincère. Comment, en effet, quelqu’un de cet acabit aurait-il bien pu détruire les forces mobiles des Mondes syndiqués ? Là-dessus, il cherche à m’endormir en faisant l’éloge de la kommodore Marphissa, très finaude tentative de manipulation destinée à le faire passer pour un homme ouvert et franc du collier. En réalité, Black Jack est en train de poser un collet si soigneusement dissimulé qu’il pourrait facilement nous étrangler. »