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La surprise se lut fugitivement sur le visage de Togo. « Pardonnez-moi. Je n’avais pas mesuré à quel point Black Jack pouvait être fourbe.

— Mais, à présent, nous l’avons démasqué. Je vais lui donner ce qu’il convoite. Gratuitement. Sans barguigner. » Iceni eut un sourire empreint d’amertume. « Il saura ainsi qu’il traite avec quelqu’un d’assez futé pour éviter ses traquenards.

— Oui, madame la présidente. » Togo leva légèrement la main. « Nous devrions nous assurer que l’Alliance, quoi qu’elle fasse, aura bien coordonné ses activités avec les autorités minières responsables de l’extraction sur les astéroïdes. Nous pourrons ainsi surveiller ce qu’elle fait exactement en feignant de se plier aux procédures standard.

— Excellente idée. Annonce aux autorités minières qu’elles auront très bientôt des nouvelles de la flotte de l’Alliance et qu’elles doivent honorer ses requêtes sans hésitation. » Elle envoya à Geary une réponse cordiale lui accordant la permission de prospecter puis retransmit à Marphissa la dernière partie du message de l’amiral contenant ses félicitations.

« Les autorités minières ont été prévenues, madame la présidente, rapporta Togo.

— Parfait. » Elle lui adressa un regard inquisiteur. Les doutes qu’elle nourrissait un peu plus tôt sur Togo s’étaient en majeure partie dissipés dans la mesure où il n’avait cessé de lui témoigner toute la déférence qui lui était due et de se soumettre obligeamment à ses instructions. Après tout ce qui s’était déjà produit, l’irruption des Énigmas m’avait méchamment secouée. En de pareilles circonstances, on n’a aucune peine à voir le danger partout. « Black Jack est certainement en train de recueillir des renseignements sur ce que nous trafiquons à Midway et dans les systèmes voisins. Ses vaisseaux doivent tirer le maximum des transmissions, des bulletins d’information et de toutes les sources disponibles. Nous devons veiller à ce que le tableau général qui se composera dans sa tête nous soit favorable. »

Togo se tenait parfaitement immobile, le regard fixe, comme braqué sur un objectif mental très éloigné. « Il faut trouver un moyen de lui faire parvenir un topo convaincant, conforme à ce qu’il pourrait apprendre par ailleurs mais en nous assurant que l’image d’ensemble corresponde à nos préférences.

— Lui envoyer un tel paquet ferait un peu trop gros, non ? Une touche au moins d’objectivité est requise…

— Ce qui exigerait un moyen de contacter la flotte de l’Alliance officiellement, mais de façon… officieuse.

— Et ce n’est pas comme si nous avions de nombreux amis à bord des vaisseaux de Black Jack », grommela Iceni.

Des amis ? Dans la flotte de Geary ?

Togo s’apprêtait à ajouter quelque chose, mais Iceni lui intima le silence d’un geste en s’efforçant de retrouver ce qui lui échappait. Ah ! C’était ça. Cette affaire impliquant un subordonné de Drakon et une subordonnée de Black Jack. « Contacte le général Drakon pour moi. Je dois lui parler le plus tôt possible. »

Je n’aime pas ça, se dit Drakon. « Ce que je vous demande ne vous choque pas ? » dit-il au colonel Rogero. En vérité, c’est Iceni qui m’a exhorté à poser la question à Rogero, mais j’ai pris moi-même la décision de lui présenter cette requête, et je refuse de me planquer derrière quelqu’un pour me justifier.

Rogero hocha la tête. Son masque restait impassible. « J’apprécie cette occasion de transmettre un… message personnel, mon général.

— Donal, vous vous êtes montré franc avec moi quant à ce qu’elle signifie encore pour vous. Je suis conscient que ça ne vous sera pas facile, d’autant que nous recourons à ce subterfuge pour servir à Black Jack notre version personnelle des récents événements.

— Je préfère être manipulé par la présidente Iceni que par les serpents, répliqua Rogero avec un léger sourire. Je n’y vois aucune objection, mon général. Ça me permettra de dire… au revoir. Nous n’en avons jamais eu l’occasion. »

Drakon détourna le regard, plus mal à l’aise que jamais. « Nous enverrons ouvertement ce message puisque nous n’avons plus à nous inquiéter des questions que se poseraient les serpents. Enregistrez ce qui vous chante. Je ne relirai rien. Mais vous devrez ajouter le texte pondu par les gens de la présidente. Il ne contient rien de contestable, juste une mise à jour qui nous permettra de faire bonne figure. À propos des élections, de ce que nous avons fait à Taroa et ainsi de suite. Après quoi je l’adresserai personnellement à Black Jack. Rien ne garantit que ce capitaine… ?

— Bradamont. »

Étrange à quel point on pouvait investir d’émotion dans un simple nom, encore que Rogero s’efforçât visiblement de la réprimer.

« Qu’elle le recevra, termina Drakon. Mais je demanderai à Black Jack de le lui transmettre.

— D’accord, mon général. Puis-je disposer de quelques minutes d’intimité pour le rédiger ?

— Prenez tout le temps que vous voudrez. Et… merci, Donal. J’aurais aimé que ça se passe autrement.

— Nous savons tous les deux que c’est impossible, général. Elle appartient aux cadres de la flotte de l’Alliance et j’étais moi-même, encore récemment, officier dans les forces terrestres syndics. Le destin nous réunit, mais ni elle ni moi n’avons jamais rien espéré de cette aventure, sinon, tôt ou tard, une séparation. »

Moins d’une demi-heure plus tard, assis derrière son bureau, Drakon enfonçait la touche permettant d’adresser le message au vaisseau pavillon de l’Alliance. « C’est un service personnel que je vous demande là, amiral Geary. Je suis conscient que rien ne vous contraint à l’accorder à un ancien ennemi. Néanmoins, cette faveur ne m’est pas destinée à moi-même mais à l’un de mes subordonnées, le colonel Rogero, officier des plus fiable et hautement apprécié. Il m’a prié de veiller à ce que le message joint soit transmis à l’une vos subalternes. Compte tenu de ses excellents états de service, et d’un militaire professionnel à un autre, je vous prie moi-même de bien vouloir le remettre à sa destinataire. La présidente Iceni est informée de cette communication comme de la teneur du message joint, et elle n’y voit pas d’objection. Je répondrai moi-même à toute question regardant cette affaire que vous me feriez parvenir. »

Là. Il n’avait pas besoin d’en dire davantage. Mais c’était son premier message personnel à Black Jack et ce serait peut-être aussi le seul. Drakon se dépeignit mentalement, assis à côté de lui, le légendaire amiral de l’Alliance. Êtes-vous aussi réel que vous en avez l’air ? Je l’espère. C’est tout cela que je vous dirais, d’un combattant à un autre, si vous étiez vraiment cet homme. « Je me félicite que nous n’ayons jamais eu à nous affronter pendant la guerre, amiral. Je ne suis pas certain que j’y aurais survécu, mais, avant de mourir, je vous aurais offert la bataille de votre vie. Au nom du peuple, Drakon, terminé. »

Il était toujours assis derrière son bureau quelques minutes plus tard, quand le colonel Malin appela. Même s’il n’avait pas déjà été survolté par les récents événements, le visage morose de Malin l’aurait certainement alarmé. « Que s’est-il passé ?

— L’agent du SSI est morte, mon général. »