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« Boyens se retrouve échec et mat, expliqua-t-elle. Il ne peut plus menacer d’endommager le portail si l’Alliance en devient la copropriétaire. Cela équivaudrait à une agression par les Mondes syndiqués des biens du gouvernement de l’Alliance.

— Une rupture du traité de paix ?

— Claire et indubitable. Boyens s’est déjà présenté comme le représentant du gouvernement syndic en désignant sa flottille comme une force appartenant à ce gouvernement. Il ne pourrait plus se prévaloir de ne pas agir au nom du Syndicat.

— Le gouvernement syndic de Prime aurait sa tête sur un plateau. » Drakon se tut ; les pensées affluaient dans la sienne. « À quelle hauteur ?

— La participation de l’Alliance ? Peu importe qu’elle ne possède qu’une part infime du portail. Toute attaque de celui-ci resterait une agression contre l’Alliance. Consentiriez-vous à lui en céder un centième ?

— Un pour cent ? Qu’obtiendrions-nous en échange ?

— Nous l’avons déjà obtenu. Nous lui accorderions cette participation d’un pour cent en remerciement de sa défense de Midway contre les agressions de l’espèce Énigma. »

Drakon réfléchit davantage. « L’idée est de vous ?

— J’aurais bien aimé, mais non. Elle a été avancée par une politicienne de l’Alliance du nom de Rione, qui accompagne la flotte. Nous n’avons pas beaucoup de renseignements sur elle, mais nous avons au moins appris qu’elle avait été vice-présidente de la République de Callas et sénatrice de l’Alliance.

— De hautes responsabilités, semble-t-il.

— En effet. Ce qui rend d’autant plus étrange son entêtement à se présenter comme une simple émissaire du gouvernement de l’Alliance. Nous en sommes certes très loin, mais nous avons intercepté de faibles rumeurs portant sur certaines perturbations consécutives à la guerre. Rien de comparable à ce que connaissent les Mondes syndiqués, mais quelques problèmes. » Iceni marqua une pause. « Si Black Jack a pris le contrôle de l’Alliance, il doit avoir besoin de politiciens pour aller au charbon et régir tous les systèmes stellaires en son nom. Si ce nouveau titre d’émissaire dont Rione se réclame fait d’elle une représentante personnelle de Black Jack, elle jouit peut-être de bien plus de pouvoirs que dans ses anciennes fonctions. »

Drakon reluqua l’image de Rione, encore visible sur l’écran qui surplombait la table, en hochant la tête. « Jolie femme. Jusqu’à quel point ses relations avec Black Jack sont-elles intimes, selon vous ?

— Cette Rione m’a fait l’effet d’une femme très habile. Sans doute, pour l’Alliance, ce qu’on trouve de plus proche de nos propres CECH syndics en matière de pénétration. Je doute qu’elle ait besoin de recourir à la promotion canapé.

— Je ne voulais pas dire… Bon, vous savez comment ça marche. Le dirigeant décide des conditions d’emploi de ses subordonnés sans tenir compte de leur desideratas ni de ce que disent des lois que tout le monde ignore d’ailleurs. Elle n’a peut-être pas choisi d’appartenir à Black Jack.

— Je sais comment ça marche sous la tutelle syndic, reconnut Iceni, cédant quelques pouces. Vous avez raison. Il aurait pu l’exiger d’elle. Mais, à ce que je sais de Black Jack et à ce que j’ai pu voir de lui, ce qui se réduit d’ailleurs à bien peu, il n’est pas fait de ce bois. Tout le monde n’abuse pas ainsi de ses subordonnés, même dans le Syndicat.

— Tout à fait d’accord, admit Drakon. Mais nous pouvons au moins présumer, sans crainte de nous tromper, que, si cette idée a été avancée par son émissaire, elle lui a été soufflée par Black Jack.

— Ce serait effectivement une de ces manœuvres politiciennes extrêmement retorses dont nous avons pu constater qu’il était capable », céda Iceni. L’espace d’un instant, elle laissa voir son malaise à Drakon. « Dans la mesure où nous avons encore besoin de sa protection, il serait stupide de le décevoir. Mais nous créerions aussi un précédent en nous… pliant à ses exigences. »

Drakon hocha la tête à deux reprises. « On n’y peut pas grand-chose, n’est-ce pas ? Un pour cent. Ça me va parfaitement. C’est un marché gagnant-gagnant. Je dois avouer que j’aimerais assez voir la tête que tirera Boyens quand il l’apprendra. » Drakon fixa la représentation virtuelle du système de Midway, proche d’une paroi du bureau. « Nous révolter contre la férule du Syndicat était pour nous une question de vie ou de mort. Je n’ai guère consacré de réflexions à certains aspects de l’indépendance. À ces accords officiels, par exemple, comme celui-ci avec l’Alliance. Ou celui que nous avons offert à Taroa. Sommes-nous assez bien informés pour avoir la certitude que nous nous y prenons bien ?

— Douteriez-vous de mes compétences, général ?

— Non. Mais nous naviguons désormais en eaux très profondes.

— J’en conviens. » Iceni modifia l’écran des étoiles de manière à ce qu’il affiche toute la région de l’espace entourant Midway. « Grâce à ces accords, nous édifions une sorte de forteresse autour de nous en ajoutant à nos forces celles que nous puisons chez d’autres. Si nous n’y prenions pas garde, le contraire se produirait. Mais je suis bien certaine que nous en tirerons autant de bénéfices, voire davantage, que nos futurs partenaires.

— Du moins si nous avons le temps de laisser s’en accumuler les dividendes, fit remarquer Drakon.

— C’est vrai. Nous en avons besoin tout autant que d’alliés dans les systèmes voisins. Taroa voudrait intervenir à Kane.

— Je sais. » Il fit la grimace. « Kane est une authentique fosse septique, à ce que j’en ai vu. La dernière chose dont nous avons besoin, c’est bien de nous pointer là-bas pour devenir l’ennemi contre lequel se coaliseront toutes les factions. Ulindi ne manque pas non plus de légèrement m’inquiéter.

— Qu’en savons-nous ? demanda Iceni.

— Très peu. Une sorte de black-out l’entoure. Je m’efforce de découvrir ce qui s’y produit de si grave pour qu’on cherche à le cacher aux étrangers.

— Très bien. Contrairement à Ulindi, nous dépendons du trafic spatial qui emprunte nos points de saut et notre portail, et nous ne pouvons pas empêcher les vaisseaux en transit d’apprendre ce qui se produit chez nous. » Elle se passa la main dans les cheveux. « Nos favoris semblent bien partis pour remporter les élections à Midway. Cela devrait assurer une certaine stabilité.

— Nous ne pouvons pas gagner partout, protesta Drakon. Nous aurions l’air d’avoir truqué les résultats à la mode syndic.

— Nous ne remporterons pas tous les postes, le rassura Iceni. Juste ce qu’il faut. » Elle s’esclaffa. « Et, apparemment, nous n’aurons pas non plus à manipuler les résultats électoraux. Nos actions et celles de nos partisans sont passablement élevées depuis notre résistance héroïque lors de l’attaque Énigma. Vous trouvez ça bizarre ?

— Quoi donc ?

— Nous sommes aux affaires parce que le peuple le veut et non parce que nous avons le pouvoir de le manœuvrer. N’est-ce pas singulier ?

— Et s’il changeait d’avis ?

— Il nous restera toujours le pouvoir. »

Assise à la passerelle du Manticore, son vaisseau pavillon, la kommodore Asima Marphissa était cruellement consciente de l’infériorité numérique et de la faiblesse de ses forces mobiles par rapport à toutes les formations qui croisaient présentement dans le système de Midway. La moitié de ses croiseurs lourds stationnaient près de la géante gazeuse pour protéger l’installation qui orbitait autour, ce qui ne lui en laissait que deux autres, plus cinq croiseurs légers et douze avisos, pour affronter le CECH Boyens. Sa petite flottille se perdrait sans doute au milieu de la flotte de l’Alliance, et celle du Syndicat la surclassait sévèrement d’un cuirassé, de six croiseurs lourds, de quatre croiseurs légers et de dix avisos. Elle-même était sans doute outrageusement fière de sa minuscule formation, mais elle ne se faisait aucune illusion sur sa taille ni sur ses capacités.