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Iceni scruta Drakon. « Selon vous, le service du renseignement de l’Alliance se servait d’elle comme les serpents de Rogero ?

— J’en ai la certitude.

— Elle travaille donc pour eux depuis plusieurs années ?

— Autrement, pourquoi aurait-on tant insisté pour la muter à Midway ? fit remarquer Drakon. Cela étant, comme l’a dit Black Jack, elle a aussi commandé un croiseur de combat de l’Alliance.

— Pendant la campagne de l’amiral Geary contre les Mondes syndiqués, ajouta Iceni, pensive. Que ne doit-elle pas savoir sur ses méthodes de combat ! » Elle se redressa. « Black Jack déclarait qu’elle pouvait nous fournir conseils et assistance. Y compris en matière de défense. Ce savoir pourrait nous être très précieux. Inestimable. Oh, oui, il est retors. Des conseils stratégiques sous une forme d’apparence parfaitement inoffensive.

— Vous comptez donc l’accepter ?

— Nous ne pouvons pas nous permettre de la rejeter. Et, si le colonel Rogero se porte garant pour elle… » Iceni réfléchit un instant en se mordillant la lèvre. « Ce sera délicat. Très délicat. Elle est l’ennemi. Plus maintenant, officiellement parlant, mais, toute notre vie, nous avons regardé l’uniforme qu’elle porte comme celui de l’ennemi. D’un ennemi responsable du massacre d’un nombre incalculable de nos concitoyens.

— Nous avons déclenché le conflit, fit sèchement remarquer Drakon.

— Mais le travailleur moyen n’en a cure, souvenez-vous. » Iceni secoua encore la tête. « Il va falloir trouver un moyen de gérer ça. La reconnaissance officielle par l’Alliance de notre statut de système stellaire indépendant, et la présence d’un officier chargé à la fois de représenter Black Jack et de nous instruire de ses tactiques ? Pas moyen de décliner. »

Drakon hocha la tête. « Vous avez raison à cet égard, mais aussi quand vous affirmez qu’on aura le plus grand mal à trouver des gens qui accepteront de travailler avec elle. Comptez-vous la claquemurer pendant un certain temps sur l’installation orbitale, elle aussi ?

— Non. Je veux qu’elle puisse aller et venir librement et faire tout ce qui lui chante. » Iceni sourit. « Nous saurons ainsi où elle veut se rendre et ce qu’elle compte y faire.

— Très bien. Nous savons déjà qu’elle rapportera à Black Jack ce qui se passe à Midway.

— Je peux le tolérer, du moment qu’elle ne cherche pas à en faire un nid d’espions de l’Alliance. »

Drakon tripota un instant les commandes et Iceni revit une partie du message de Geary : « “… dans votre transition vers une forme plus libérale de gouvernement…”

— Ce pourrait être un problème, concéda-t-elle, s’il s’attend vraiment à ce que nous continuions d’offrir à nos concitoyens davantage de liberté et de participation au gouvernement. Nous avons déjà pris certaines dispositions, comme ces élections libres aux fonctions subalternes, qui devraient réjouir l’Alliance.

— On m’a conseillé de poursuivre autant que possible dans ce sens, tant que nous pourrons le faire sans danger, déclara Drakon. Afin d’assurer la stabilité à long terme du régime, ainsi que l’adhésion de nos concitoyens au gouvernement. »

Où ai-je déjà entendu cela ? Dans la bouche de cet assistant de Drakon, le colonel Malin. Il doit encore prôner ces idées. « À condition de nous en tenir au “tant que nous pourrons le faire sans danger”, je n’y vois en théorie aucune objection, lâcha Iceni. Quoi qu’il en soit, il s’agit là du long terme. Nous avons un autre problème à brève échéance. Que faire de votre colonel Rogero ? »

Drakon rumina quelques secondes. « Je préfère lui laisser la bride sur le cou. Je soutiendrai toutes les décisions qu’il prendra à cet égard, quelles qu’elles soient. »

Comme j’aurais pu m’en douter avant de poser la question. « Ça pourrait se retourner contre lui, fit-elle remarquer. Si jamais les citoyens apprenaient qu’elle n’est pas seulement un officier de l’Alliance, mais qu’elle a aussi servi d’informatrice aux serpents…

— Techniquement, Rogero était lui aussi un agent double. Il n’a pas cessé de fourvoyer le SSI, mais ses dossiers le désignent comme un informateur. Tâchons d’y mettre une sourdine dans les deux cas.

— D’accord. » Iceni le dévisagea. « Quelqu’un d’autre est-il au courant de leur liaison ? Et des rapports de Rogero avec les serpents ? »

Drakon opina pesamment. « Une seule personne. »

Une boule d’angoisse fleurit dans l’estomac d’Iceni. Une seule personne ? « Pas elle ?

— Si. Le colonel Morgan.

— Pourquoi diable êtes-vous allé lui dire…

— Je ne le lui ai pas dit. » Drakon fixa Iceni, l’œil noir. « Elle l’a découvert elle-même en cherchant à débusquer des agents secrets du SSI après la sombre affaire du colonel Dun. Je vous avais bien dit qu’elle était douée.

— Oh !… Magnifique ! » Iceni s’efforça de dissimuler sa contrariété. « Pouvons-nous la garder en vie ?

— Morgan ?

— Bradamont !

— Ah ! » Le visage de Drakon afficha une sévère détermination. « Oui. Vous n’avez pas à vous faire de bile.

— Pardonnez-moi, mais je vais m’en faire quand même ! » Iceni soupira puis réussit à se maîtriser. « Si vous me promettez que Bradamont sera à l’abri des… dangers, je répondrai à Black Jack que nous l’acceptons à Midway, ainsi que les citoyens libérés des Énigmas. »

Drakon opina puis se pencha pour mieux souligner ses paroles. « Demandez-lui si Bradamont pourra nous fournir des informations sur ce qu’a fait sa flotte dans l’espace Énigma, et où elle a trouvé ces six mystérieux vaisseaux et ce bâtiment format mammouth. On ne nous a encore rien dit à ce propos. Si Black Jack tient véritablement à officialiser nos rapports, sa représentante devrait consentir à partager au moins une partie de ces renseignements. Midway est le système stellaire le plus proche du territoire Énigma. Nous devons savoir ce qu’il a découvert.

— Oui. Absolument, convint Iceni. Je vais formuler cela diplomatiquement, mais bien faire comprendre que nous espérons obtenir ces renseignements et que nous les regardons comme d’une importance critique pour la sécurité de Midway. » Une autre idée lui traversa l’esprit, la contraignant à fixer Drakon d’un œil aigu. « Le nom de code de Bradamont était Mante religieuse. Pourquoi les serpents l’ont-ils appelée ainsi ? »

Il haussa les épaules. « Aucune idée. Les serpents n’ont guère l’habitude de s’expliquer. Quelle importance ? La mante est un insecte, n’est-ce pas ? Ce nom de code devait probablement servir à la désigner.

— Je ne suis pas de cet avis. La mante religieuse n’est pas seulement un insecte. C’est un insecte très dangereux. Un prédateur. Appartenant à une espèce où la femelle dévore ses mâles. »

Drakon la scruta puis secoua la tête. « Eh bien, elle commandait un croiseur de combat, non ? Ce sont des gens coriaces, pas vrai ? C’est peut-être de ça qu’il s’agit. Ou de l’idée de l’humour que se font les serpents.

— Peut-être. Si elle travaillait pour le service du renseignement de l’Alliance, il a dû lui aussi lui attribuer un nom de code. Je me demande lequel. »

Après le départ du général, Iceni resta encore assise un bon moment à ruminer les idées qui affluaient dans son esprit. Bon nombre des problèmes qui la taraudaient ne pouvaient être résolus aussi vite et aisément qu’elle l’aurait souhaité… quand ils pouvaient l’être. Celui de Morgan, par exemple. Je ne peux pas lâcher Togo à ses trousses. Il serait à la hauteur. Il est si doué qu’il me fiche même la frousse. Mais toute connexion entre le meurtrier de Morgan et moi-même mettrait fin à ma collaboration avec Drakon. Cette histoire de loyauté est vraiment une idée fixe.