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Il faut que je recontacte Malin. Il m’a déjà refusé de liquider Morgan. Peut-être y consentira-t-il maintenant. Pourquoi tiendrait-il à la voir survivre ? S’il ne veut toujours pas m’en débarrasser, je lui ferai comprendre qu’il aurait intérêt à l’empêcher de nous nuire, à moi comme à ce capitaine Bradamont. Si Morgan cherche à s’en prendre à l’une de nous deux, Malin doit savoir que je l’en tiendrai responsable.

« Kommodore ! Un nouveau vaisseau vient d’arriver au portail de l’hypernet ! »

Marphissa se réveilla en sursaut. Elle dormait à poings fermés, épuisée par ce long enlisement durant lequel, des jours durant, la flottille syndic et celle de Midway s’étaient regardées en chiens de faïence, séparées par cinq minutes-lumière, tandis que la flotte de l’Alliance, orbitant à près de deux heures-lumière, faisait échec à toute intervention offensive du CECH syndic. Boyens ne pouvait pas attaquer, mais il refusait de partir, et elle ne disposait pas d’assez de puissance de feu pour l’y contraindre.

En dépit de sa précipitation, Marphissa vérifia du regard la coursive sur laquelle donnait la porte de sa cabine, en quête d’un éventuel traquenard. Les dirigeants et CECH syndics devaient en prendre l’habitude, faute de quoi ils risquaient d’être la proie d’un subordonné ambitieux cherchant à se dégager la voie d’une promotion. C’était en train de changer, mais la rumeur courait toujours d’agents du SSI encore dissimulés dans la masse de la population ou l’armée, de sorte que les vieilles habitudes avaient la vie dure.

La voie semblait dégagée. Marphissa ouvrit son écoutille à l’arraché, la main toujours prête à dégainer, et se rua vers la passerelle.

Une bruyante effervescence y avait remplacé l’ennui collectif qui affectait tout le monde jusque-là. « Un nouveau vaisseau ? Lequel ? demanda-t-elle en se laissant tomber dans son fauteuil de commandement.

— Un croiseur lourd, kommodore, rapporta le technicien en chef des observations. Modifié et disposant d’une plus grande capacité de chargement ainsi que de systèmes vitaux supplémentaires. Il a vu la flottille syndic et il s’enfuit.

— Il s’enfuit ? » Marphissa étudia soigneusement la situation décrite par l’écran avant de se concentrer sur la manœuvre du fuyard. « L’a-t-on identifié ?

— Son identification aurait dû s’afficher dès que nous avons assisté à son irruption, kommodore. Nous n’avons rien vu. »

Marphissa jeta un dernier regard au nouvel arrivant, dont la première réaction, à la vue de la flottille syndic, avait été de déguerpir. « Transmettez-lui la nôtre. Je vais aussi lui envoyer un message personnel. »

L’activité se ralentit un moment sur la passerelle, le kapitan Toirac venant d’arriver et de s’asseoir précipitamment dans le fauteuil voisin de celui de Marphissa. « Que se passe-t-il ? »

Elle lui coula un bref regard en se disant que tout CECH, sous-CECH ou cadre exécutif avec qui elle avait travaillé aurait publiquement vilipendé Toirac pour être arrivé sur la passerelle après son supérieur hiérarchique. « Consultez votre écran », lui lança-t-elle avant de se tourner vers sa console pour transmettre. « À l’attention du croiseur inconnu qui vient d’émerger du portail de l’hypernet, ici la kommodore Marphissa de la flottille de Midway. Nous appartenons à un système stellaire indépendant qui s’est libéré de la tutelle des Mondes syndiqués. Si vous voulez vous rallier à nous, soyez les bienvenus. Si vous cherchez à gagner un autre système, veuillez vous rapprocher de notre flottille et nous vous défendrons contre la force syndic présente à Midway puis nous vous escorterons jusqu’au point de saut de votre choix. Nos forces prêteront assistance à quiconque cherchera à se libérer de la tyrannie syndic. Au nom du peuple, Marphissa, terminé.

— Kommodore ? l’interpella le technicien des observations d’une voix pressante.

— J’ai vu. » Des alertes commençaient à clignoter sur l’écran de Marphissa : les vaisseaux de la flottille syndic entreprenaient de modifier leur trajectoire. « Ils se retournent et accélèrent. Tous leurs croiseurs lourds et leurs avisos.

— Prennent-ils en chasse le nouveau venu ? demanda Toirac.

— Il y a de bonnes chances. Il faut vérifier si…

— Kommodore, la rappela le technicien, nous avons effectué une simulation. Si les forces syndics adoptent leur vélocité maximale, nous ne pourrons jamais rejoindre ce croiseur lourd avant elles. »

Cet homme méritait amplement une promotion. « Peut-il leur échapper ? Il devrait avoir une bonne tête d’avance.

— Il est surchargé, kommodore. Ça limite son accélération. Si les projections actuelles restent en l’état, les vaisseaux syndics le rattraperont forcément. »

Malédiction ! Elle se tourna vers le kapitan Toirac, lequel regardait fixement son écran, l’air d’avoir complètement perdu pied et d’essayer de le dissimuler de son mieux. J’ai recommandé moi-même sa nomination à titre d’essai au poste de commandant en second de ce vaisseau. Nombre de jeunes cadres ont pris rapidement du galon après l’élimination des loyalistes syndics. Quelques-uns étaient sans doute à la hauteur. Mon vieil ami Toirac, lui, était… un bon cadre exécutif. Est-ce là toute l’autorité qu’on peut lui confier ? « Qu’en pensez-vous, kapitan ? le pressa-t-elle.

— Hein ? Oh ! » Toirac se concentra de nouveau sur son écran. « Nous n’arriverons pas à temps… et nous sommes sérieusement surclassés en nombre… Je vois mal ce que nous pourrions faire.

— Ne rien faire est un choix en soi, kapitan, affirma Marphissa. La passivité reste une attitude délibérée. Je ne vais certainement pas me croiser les bras pendant que les forces syndics éliminent ce croiseur lourd. »

Toirac piqua un fard. « Il pourrait s’agir d’un piège.

— Un piège ? Ce croiseur serait un leurre chargé de nous duper en nous incitant à le défendre ? » Marphissa cogita un instant. « C’est possible. Mais, si c’est vrai, il se débrouille comme un empoté. Il aurait dû nous faire croire que nous pourrions l’atteindre à temps pour le secourir. Et si ce n’était nullement un piège ? Qu’y pouvons-nous ? »

Toirac haussa les épaules, le front plissé de concentration. « Une démonstration de force ? Destinée à distraire les forces syndics ?

— Je vois mal comment… » Le regard de Marphissa s’était posé sur le vaisseau amiral syndic. Un cuirassé, bien trop puissant pour qu’elle permette à sa flottille de l’affronter. Seul un dément ordonnerait d’attaquer le cuirassé pendant que tous ses escorteurs étaient occupés à traquer le nouveau venu. « Simulez-moi une interception du cuirassé syndic, ordonna-t-elle. Les croiseurs lourds et les avisos de Boyens peuvent-ils rattraper le nouvel arrivant et regagner le cuirassé avant nous ? »

Tous, depuis Toirac jusqu’au plus humble de ses subalternes, la dévisagèrent l’espace d’une fraction de seconde, puis les vieilles habitudes de soumission instillées par l’entraînement syndic reprirent instinctivement le dessus et les doigts se mirent à voler sur les écrans. « Non, répondit Toirac le premier, en souriant, tout content d’avoir administré la preuve de ses compétences. Je veux dire que, si nous l’agressions, ils ne pourraient pas revenir assez vite pour…