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— Je… » Marphissa posa les yeux sur l’enveloppe qu’elle tenait toujours à la main. « Je ferais peut-être mieux de les lire maintenant. »

Au bout de plusieurs secondes exaspérantes, elle réussit enfin à comprendre qu’il fallait briser le sceau qui fermait l’enveloppe. Elle farfouilla à l’intérieur, en tira la paperasse qu’elle contenait et la parcourut. Officier de liaison… assistance à un projet spécial… pleinement habilitée à… « C’est quoi, ce projet spécial ? Minute, il y a encore une page. »

Une opération destinée à piéger la flottille syndic dans une impasse, où il lui faudrait choisir entre combattre ou détaler ? Le regard de Marphissa se focalisa de nouveau sur l’officier de l’Alliance. « Capitaine… ?

— Bradamont.

— Je suis complètement larguée. Jamais je n’aurais imaginé m’adresser un jour à quelqu’un comme vous. Quand les serpents grouillaient dans tous les coins, ç’aurait suffi à me faire accuser de haute trahison.

— Les serpents ? Oh, la sécurité interne ! »

Le mépris que trahissait la voix de Bradamont reflétait exactement les sentiments qu’inspiraient les serpents à la kommodore. Marphissa se rendit compte qu’elle se dégelait légèrement. « Ils sont tous morts. Nous les avons éliminés. » J’en ai tué un moi-même. Pourquoi est-ce que je ressens brusquement le besoin de m’en vanter, comme s’il me fallait noyer cette femme sous mes exploits ? Mais je déteste me remémorer le meurtre de ce serpent. Il l’avait sans doute mérité, mais je déteste me le rappeler.

Bradamont avait hoché la tête. « Je sais que vous vous êtes débarrassés de votre Service de sécurité interne. Je n’aurais pas consenti à rester à Midway s’il existait encore.

— Consenti ?

— Je me suis portée volontaire. Ou disons plutôt que l’amiral Geary me l’a demandé.

— L’amiral Geary ? Oh, Black Jack, voulez-vous dire ? Une requête qu’il vous aurait été difficile de décliner, en effet. Vous apparteniez à son état-major ? »

L’officier de l’Alliance secoua la tête. « Je commandais le Dragon. Un croiseur de combat. »

Cette déclaration ne sonnait pas comme une vantardise, mais elle aurait pu en être une. Marphissa se rapprocha de Bradamont pour la scruter. « Pourquoi nous avez-vous crus quand nous vous avons appris que nos serpents n’étaient plus là ?

— Ne pas remarquer les ruines de votre Service de sécurité interne eût été malaisé, fit observer Bradamont. Et quelqu’un de Midway qui a toute ma confiance me l’a confirmé.

— L’Alliance avait un espion dans notre système stellaire ? éructa Marphissa.

— Non. Loin de là. C’est un… ami.

— Un ami ? » Un espion, Marphissa aurait pu l’accepter, mais un ami ? Comment était-ce possible ?

Un long silence s’ensuivit. Toutes deux semblaient soudain incapables de trouver un sujet de conversation. De quoi peut-on bien parler avec une ennemie ? Même quand elle a cessé de l’être. Bradamont finit par embrasser les alentours d’un geste vague. « Je constate que vous vous êtes trouvé un cuirassé.

— Oui. À Kane. Nous l’avons réquisitionné là-bas, dans l’installation orbitale syndic.

— J’ai lu le compte rendu de l’opération, déclara Bradamont, stupéfiant Marphissa. Votre présidente me l’a envoyé. Belle manœuvre, kommodore. »

L’éloge faillit faire sursauter Marphissa ; puis elle s’aperçut qu’elle se dégelait encore plus, tout en restant sur le qui-vive. Cette femme commandait un des croiseurs de combat de Black Jack et elle trouve que j’ai fait du bon boulot à Kane ? Eh bien, c’est la vérité. Mais je ne me serais jamais attendue à l’entendre de la bouche d’un officier de l’Alliance. « Merci… capitaine. » Nouveau silence embarrassé. « Êtes-vous déjà montée à bord d’un cuirassé ? demanda la kommodore.

— D’un cuirassé syndic, voulez-vous dire ? » Bradamont inclina légèrement la tête, comme pensivement. « Une seule fois. À la tête d’une équipe d’abordage. À Ixchel. »

Il n’existait apparemment pas de sujets anodins. « Cette bataille ne m’est pas familière. » Il y en avait eu tant et tant. « L’Alliance l’a emporté, j’imagine ?

— Si la victoire revient aux derniers qui restent en vie, alors, oui, nous avons gagné, même si nous n’étions plus très nombreux. Puis nous sommes partis et nous l’avons fait sauter. »

Au moins un terrain commun. Guère surprenant, à la vérité. « Vous avez perdu beaucoup d’hommes pour l’arraisonner puis vous êtes partis en le faisant sauter.

— À croire qu’on a connu les mêmes expériences.

— Quelquefois. »

Nouveau silence gêné, puis Marphissa désigna les chaises dressées autour de la table la plus proche. Quand il serait terminé, ce compartiment servirait de salle de détente aux officiers. Il lui manquait encore de nombreux aménagements, mais les meubles étaient déjà installés.

« Merci, dit Bradamont. Au cas où vous vous poseriez la question, je me sens moi aussi mal à l’aise.

— Je m’en serais doutée. Parce que, voilà quelques mois à peine, nous nous serions sans doute entretuées ?

— Et parce que nous avons passé toute notre vie d’adulte à nous consacrer à ce but, comme nos parents et grands-parents.

— Mais, maintenant, nous sommes… euh… » Marphissa échoua à trouver le mot juste. « Que sommes-nous, au fait ?

— Du même bord, j’imagine. Que dites-vous de ce plan pour nous débarrasser de la flottille syndic ?

— Qu’il est risqué. Mais que… si ça marche… »

Bradamont sourit. « En effet. Si ça marche. » Elle plongea la main dans un paquetage posé à côté de la table en faisant mine de ne pas remarquer que Marphissa s’était tendue, et elle en sortit une bouteille. « Je vous ai apporté un petit cadeau. En gage de… euh…

— De bienvenue ? demanda Marphissa en examinant l’étiquette. Du whiskey ? De Vernon ? Savez-vous au moins combien vaudrait une telle bouteille dans l’espace syndic ? Nul n’a pu mettre la main sur cette gnôle depuis un siècle… sauf par le marché noir.

— Nous ne sommes pas dans l’espace syndic, n’est-ce pas ? »

Marphissa sourit en dépit de ses appréhensions. « Non. Plus maintenant. Puis-je l’ouvrir ?

— Je n’attends que ça. » Bradamont lui rendit son sourire. « Je boirai la première gorgée pour vous prouver qu’il n’est ni drogué ni empoisonné.

— Vous auriez pu prendre un antidote, fit remarquer Marphissa. À moins que vous n’ayez envie d’en boire une gorgée de plus.

— Vous êtes rudement gonflée pour une… » Le sourire de Bradamont s’effaça. « Pardon.

— La force de l’habitude, laissa tomber Marphissa en en versant deux verres. Je pourrais moi-même vous servir des noms d’oiseau sans même m’en rendre compte. Tâchez de ne pas les prendre trop à cœur.

— Entendu. »

Marphissa sirota le breuvage du bout des lèvres en s’émerveillant de sa saveur. « J’avoue avoir été estomaquée. Comment avez-vous pu décider de vous remettre entre les mains de…

— De gens qui étaient des Syndics autrefois ? » Une étincelle s’alluma dans les yeux de Bradamont. « J’ai été détenue dans un camp de travail syndic. Je les connais.

— Il n’y a plus de camps de travail. Du moins là où s’exerce l’autorité de la présidente Iceni.

— C’est ce qu’on m’a dit. » Bradamont sourit de nouveau. « Vous avez l’air de vous en enorgueillir.

— J’en suis très fière. Nous… Nous sommes en train de tout changer. » Au tour de Marphissa de sourire. « La présidente Iceni nous aidera à bâtir un gouvernement qui soit vraiment pour le peuple. »