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— À vos ordres, kommodore ! répondit le technicien de l’ingénierie. Désactivation de l’unité de propulsion principale numéro deux. Unité deux désactivée. »

Marphissa se tourna vers Bradamont. « Il vous faut ce siège ?

— Non. Les armes sont à vous. Je peux donner debout, d’ici, toutes les instructions de manœuvre.

— Plus qu’une minute. Boucliers au maximum, toutes les armes parées à tirer », annonça Marphissa.

Kontos n’avait pas moufté, mais ses yeux étaient braqués sur Bradamont.

Ils émergèrent du portail : le néant qui cernait jusque-là le Manticore fut brusquement remplacé par le noir piqueté d’étoiles de l’espace infini. « Je prends le commandement, déclara Bradamont. Virez à cent soixante-dix degrés sur tribord, descendez de deux. Accélération maximale des unités de propulsion principales un, trois et quatre. »

Le Manticore pivota et accéléra : sa trajectoire dévia pour viser les autres vaisseaux de la flottille de Midway, à cinq minutes-lumière.

« Boyens est toujours là », fit remarquer Marphissa, son écran remis à jour.

Bradamont hocha la tête et, de l’index, pointa un autre secteur relativement proche du portail de l’hypernet. Quand le Manticore avait quitté Midway, la flotte de l’Alliance s’en trouvait encore à deux heures-lumière, mais, à présent, une force assez conséquente de croiseurs de combat et d’escorteurs orbitait à dix minutes-lumière.

« La flottille syndic manœuvre, annonça le technicien en chef. Croiseurs lourds et avisos. Ils reviennent sur nous pour une interception. »

Bradamont opina derechef. « Quand arriveront-ils à portée de tir ? »

Les techniciens échangèrent un regard. « Nous n’avons pas émergé du portail à une très haute vélocité, kapitan Bascare, et, avec une unité de propulsion principale désactivée, nous ne pouvons pas non plus fournir une accélération optimale. Les croiseurs lourds syndics seront à portée de missile dans dix-sept minutes.

— Très bien. Dans quel délai l’unité de propulsion principale numéro deux pourra-t-elle être réactivée ?

— Cinq secondes, kapitan. Et cinq de plus pour atteindre la poussée maximale. » Le technicien eut pour Bradamont un regard curieux, comme s’il se demandait comment un officier aussi haut gradé pouvait ignorer des données aussi rudimentaires sur un vaisseau construit par les Mondes syndiqués. Tous avaient pourtant vu le kapitan Bascare à la manœuvre du Manticore à l’occasion de quelques transits par un système stellaire, alors qu’il escortait l’autre croiseur, et ils avaient donc la certitude qu’elle savait piloter, ce qui rendait cette lacune encore plus intriguante.

Bradamont esquissa un sourire. « Seize minutes », annonça-t-elle à Marphissa.

Son assurance était si perceptible que l’équipage, en dépit de sa fébrilité et du détachement syndic lancé à leurs trousses, attendit sans poser de questions que, sur les écrans, la bulle marquant l’enveloppe d’engagement des missiles syndics se fût encore rapprochée du Manticore.

« Les vaisseaux de l’Alliance bougent ! Ils… piquent sur la flottille syndic ! » La technicienne des opérations fixa son écran en clignant des paupières d’incrédulité puis sourit. « Ils viennent à notre rescousse ? Black Jack arrive ! »

Pas l’Alliance, Black Jack, nota Marphissa. Elle s’en souviendrait.

Une alerte se mit à clignoter sur les écrans : les missiles syndics arriveraient à portée d’impact dans une minute.

« Du calme, lâcha Bradamont. Ingénierie, je vais ordonner la réactivation de l’unité de propulsion principale numéro deux dans une minute et dix secondes. C’est bien compris ? Attendez mon ordre.

— Oui, kapitan. »

Marphissa se tourna vers Bradamont. « Maintenant ?

— Quarante secondes, répondit le capitaine de l’Alliance. L’information devra parvenir aux vaisseaux syndics trop tard pour qu’ils réagissent. »

Quarante secondes plus tard exactement, Marphissa appuyait sur une touche et la transmission de l’identification du Manticore s’allumait, annonçant à tout l’univers que le vaisseau était…

« Kommodore ? demanda le technicien des trans, ébahi. Notre code d’identification déclare que notre unité appartient à… l’Alliance.

— Qu’elle bat pavillon de l’Alliance, rectifia Marphissa. Ce n’est pas la même chose. Écoutez le capitaine Bascare.

— Activez unité de propulsion principale numéro deux, ordonna Bradamont. Poussée maximale. » Elle enfonça les touches de l’unité de com de Marphissa. « Unités des Mondes syndiqués, ici le capitaine Bradamont de la flotte de l’Alliance, commandant un vaisseau officiellement affrété par l’Alliance. Cessez immédiatement vos manœuvres hostiles.

— Ils ont largué des missiles ! » L’avertissement se fit entendre au moment précis où Bradamont finissait sa phrase. Ses tampons d’inertie ne réussissant pas entièrement à amortir les effets de la réactivation à plein régime de son unité numéro deux, le Manticore réagit par une embardée à cette augmentation sensible de son accélération.

Puis les derniers mots de Bradamont se gravèrent dans les esprits et tous sur la passerelle, sauf Kontos et Marphissa, la fixèrent d’un œil stupéfait. « À vos postes ! » vociféra Kontos pour les rappeler à leurs responsabilités.

Les missiles étaient au nombre de vingt-quatre. Leur solution de tir avait été gravement affectée par la brutale accélération du Manticore, mais leurs systèmes de visée pourraient la rectifier jusqu’à un certain point. « Virez de quatre degrés sur bâbord, ordonna Bradamont. Et descendez de six degrés.

— La flottille de Midway change de cap, déclara le technicien des opérations. Elle adopte à présent une trajectoire d’interception des croiseurs lourds syndics qui nous pourchassent, kapi… kapitan Bascare. »

Le regard de Marphissa vola d’une zone à l’autre de son écran : elle venait de remarquer que le petit vecteur signalant le changement de trajectoire du Manticore plaçait désormais les missiles qui le pourchassaient directement derrière lui. Autrement dit, leur vitesse relative avait été réduite dans la mesure du possible et en faisait des cibles plus faciles à acquérir. Détail, certes, mais détail important.

« Minute ! » Le kapitan Toirac venait de bondir de son siège en fixant Bradamont d’un œil noir. « Nous ne pouvons pas obéir à cette…

— Bouclez-la ! aboya Marphissa, à bout de patience.

— Je ne… »

Mais Toirac ne finit pas sa phrase. Son visage s’était crispé. Marphissa se rejeta en arrière, assez pour constater que Kontos avait dégainé son arme de poing et enfoncé son canon entre les omoplates du commandant du Manticore. À bout touchant, la combinaison de survie de Toirac ne suffirait pas à amortir le tir et il en était conscient. Les vieilles méthodes sont parfois les plus efficaces.

« Je le voyais venir », déclara Bradamont en détournant les yeux de la scène. Elle ne laissa rien transparaître de ce qu’elle pensait des protocoles de commandement syndics.

Mais elle n’était certainement pas impressionnée. Marphissa se focalisa de nouveau hargneusement sur l’engagement et ordonna à ses batteries de lances de l’enfer de poupe d’ouvrir le feu ; puis elle regarda les faisceaux de particules déchiqueter les missiles à l’approche. Un missile, puis trois, puis quatre.