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Il en restait vingt.

Bradamont les suivait elle aussi des yeux en comptant les secondes depuis leur largage, tout en observant sur son écran les données relatives à leur endurance fondées sur les capacités précises de missiles syndics. « L’évaluation est bien plus facile à obtenir quand on sait très exactement de quoi sont capables les projectiles, déclara-t-elle à Marphissa. Réduction à zéro de la poussée de toutes les unités principales de propulsion ! » ordonna-t-elle.

Marphissa et Kontos pivotèrent vers le technicien de l’ingénierie, mais celui-ci avait déjà entré la commande. « Poussée de toutes les unités principales de propulsion réduite à zéro, kapitan.

— Relevez les propulseurs de manœuvre de cent soixante-dix-huit degrés ! »

Les propulseurs s’allumèrent, repoussant la poupe du vaisseau vers le haut et le contraignant à se retourner face à la direction d’où il venait, son armement le plus lourd désormais braqué sur les missiles à l’approche. Ses lances de l’enfer en effacèrent encore plusieurs autres.

« Activez à plein régime toutes les unités de propulsion principales ! » ordonna Bradamont.

Le technicien de l’ingénierie n’hésita qu’une fraction de seconde. « Toutes les unités activées à plein régime. »

Le Manticore grinça et gémit, la pression sur sa coque augmentant de seconde en seconde. Sa propulsion principale, à présent retournée à cent quatre-vingts degrés, freinait sa vélocité à un rythme tel que des voyants signalant des menaces à l’intégrité de la coque commençaient à clignoter sur les écrans. Ceux qui étaient restés debout durent se cramponner, car la force de la décélération réussissait à contourner des tampons d’inertie surchargés.

« Combien de temps pourra-t-il tenir ? » murmura Bradamont à l’oreille de Marphissa.

Celle-ci consulta les relevés relatifs à la tension de la coque, dont les chiffres grimpaient à vive allure dans le rouge. « Dix secondes à ce rythme. Guère plus.

— Ça suffira. »

Pour tout le bien que ça leur faisait, les missiles, qui continuaient d’accélérer vers la position qu’aurait occupée le Manticore s’il avait lui-même continué de prendre de la vitesse, se retrouvaient désormais contraints d’adopter des vecteurs d’interception beaucoup plus courts dans la mesure où le croiseur lourd décélérait aussi vite qu’il le pouvait. Les virages qu’ils devaient négocier étaient extrêmement serrés. Bien trop, dans la plupart des cas, pour que leur structure y résistât. Alors même qu’ils zigzaguaient, nombre d’entre eux se fragmentèrent sous la tension.

Six survécurent pourtant, mais, l’espace de quelques secondes critiques, leurs louvoiements brutaux les conduisirent à portée du Manticore et pratiquement au point mort par rapport à lui.

Les lances de l’enfer se déchaînèrent de nouveau et anéantirent les six rescapés.

« Réduisez d’un tiers la poussée de toutes les unités de propulsion principales », ordonna Bradamont. La pression exercée sur le bâtiment s’allégea aussitôt, tandis que, après avoir oscillé un instant, les jauges de sécurité redescendaient lentement dans des zones moins périlleuses.

« Tous les vaisseaux syndics altèrent leur trajectoire, annonça le technicien des opérations. Leur flottille pique sur le portail, kapitan.

— Excellente idée », lâcha Marphissa, en proie à une satisfaction qui ne tarda pas à virer au désappointement. Les croiseurs lourds qui avaient poursuivi le Manticore rebroussaient chemin pour rejoindre le cuirassé syndic à haute vélocité. « Dommage. Ils refusent le combat. »

Les vaisseaux de l’Alliance fonçaient certes vers la flottille syndic, mais, si l’on se fiait aux projections qu’affichait son écran, ils n’arriveraient pas à portée de tir avant qu’elle ait emprunté le portail. « Pourquoi Black Jack n’a-t-il pas pu les rattraper ? demanda Marphissa à Bradamont d’une voix sourde.

— L’objectif était de s’en débarrasser, répondit l’interpellée sur le même ton. Avec ou sans combat. Nous avons réussi à leurrer les vaisseaux de Boyens et à les inciter à tirer sur une unité battant pavillon de l’Alliance, laissant ainsi à l’amiral Geary toute latitude pour riposter. Mais, si le CECH Boyens préfère éviter le contact, Black Jack ne peut pas l’en empêcher. Cela dit, le tour est joué : la flottille des Mondes syndiqués quitte Midway. »

Encore passablement contrariée, Marphissa vérifia la trajectoire des autres bâtiments de sa flottille ; elle suivait à présent un vecteur d’interception légèrement incurvé la ramenant vers les croiseurs lourds syndics qui se hâtaient encore de rejoindre leur cuirassé. Croiseur lourd contre croiseur lourd : les chances étaient égales. « Ici la kommodore Marphissa de la flottille de Midway. Veillez à rester hors de portée de tir des vaisseaux syndics à moins que l’un d’eux tente de faire défection.

— Quelles sont les chances pour que ça se produise ? s’enquit Bradamont en changeant de nouveau de vecteur pour faire rejoindre au Manticore la flottille de Midway.

— Elles pourraient être assez fortes, répondit Marphissa. Tout dépend du nombre de serpents qui se trouvent à bord de chaque bâtiment, de leur vigilance, de la loyauté des officiers et des matelots envers le Syndicat, et aussi de pas mal de chance. Mais, si la flottille syndic vise bien le portail de l’hypernet, ça ne laisse guère de temps à une mutinerie pour se déclarer.

— Kommodore… ! » la héla la technicienne des trans avant de s’interrompre brutalement, l’air médusée.

Marphissa ne s’était pas tournée dans sa direction qu’un voyant d’alarme se mettait à clignoter près du cuirassé syndic sur son écran. « Un de leurs croiseurs légers vient d’exploser. » Sur le coup, elle ne prit pas conscience que ces paroles sortaient de sa propre bouche. « Qu’est-il arrivé ?

— En dehors des missiles qu’ils ont lâchés sur nous, il n’y a pas eu d’autres tirs de leur part, affirma le technicien des opérations.

— Selon la signature de l’explosion, il devrait s’agir d’une surcharge de son réacteur, déclara celui de l’ingénierie. Il n’y a pas eu d’avertissements, pas de signes précurseurs. Il s’est mis en surcharge, voilà tout.

— Comment est-ce possible ? demanda Marphissa. Il y a des verrous de sécurité, tant matériels que logiciels. Des mots de passe, des protocoles qu’on doit suivre, des mesures de correction automatiques. Comment le noyau d’un réacteur pourrait-il exploser sans avertissement ?

— Kommodore, intervint timidement la technicienne des trans, je crois le savoir. Juste avant que le croiseur léger n’explose, nous avons reçu un message qui nous était adressé par faisceau directionnel. L’identification de l’expéditeur était CL-347. Je n’ai entendu que le mot “liberté”… puis la transmission a été coupée. »

Marphissa se voila le visage d’une main, consciente du silence qui venait de s’abattre sur la passerelle. Il lui fallut un bon moment pour se composer une contenance, puis elle baissa la main et balaya la salle du regard. « Les serpents… ou les CECH syndics… ont un nouveau tour dans leur sac. Ils préfèrent détruire un de leurs vaisseaux plutôt que de laisser son équipage s’échapper. » Inutile d’enfoncer le clou. Tous haïssaient déjà les serpents et leurs maîtres. L’incident ne ferait que raffermir leur résolution à combattre jusqu’à la mort.

« La flottille syndic vient d’emprunter le portail de l’hypernet, rapporta le technicien des opérations. Midway est délivré des forces d’occupation du Syndicat. »

Bradamont accueillit la nouvelle d’un hochement de tête. « Opération réussie. » Elle aussi s’exprimait d’une voix penaude : la destruction du croiseur léger jetait une ombre sur toute envie de fêter la victoire. « À qui dois-je remettre le commandement du Manticore, kommodore ? À vous-même ou… ? »