Et maintenant… ça !
« Où se trouve Sobek ? » demanda-t-elle, un nuage noir au front. La réponse s’afficha instantanément sur son écran : une fenêtre montrant une région de l’espace bien plus proche de l’Alliance. « Pourquoi le portail de ce système serait-il épargné ?
— Ça n’a pas grand sens, fit Drakon. Sauf si Prime en a aussi donné l’ordre et que quelque chose ait marché de travers, si bien que son portail ne se serait pas effondré comme prévu.
— Mais ça non plus n’aurait aucun sens ! Prime aurait ordonné la destruction de son propre hypernet ? Pourquoi ne pas carrément se suicider ? » Iceni baissa les yeux. Elle cherchait à se maîtriser, effort que tous devaient constater, elle s’en rendait compte. « Avez-vous une petite idée de l’impact que ça aurait sur Midway ? Cela équivaudrait à rendre notre propre portail pratiquement inutile.
— Il nous reste toujours les points de saut, fit remarquer Drakon.
— Oui. Ça nous laisse un relatif avantage, admit-elle. Mais… Maudits soient-ils !
— Black Jack ne pourrait-il pas nous bluffer ?
— Pour quoi faire ? On en aurait le cœur net dès qu’un vaisseau ferait irruption à un autre portail. Togo, ordonne à tes techniciens de vérifier celui-ci. Je veux un diagnostic complet à distance et un contrôle de tous les portails accessibles par nos logiciels de surveillance.
— À vos ordres, madame la présidente. » Togo se figea dans une posture d’écoute, une main sur l’oreillette de son unité de com. « J’avais déjà demandé à nos techniciens de vérifier les signaux émis par le nôtre. Selon eux, il fonctionne parfaitement.
— Si notre portail ne présente aucun dysfonctionnement, alors ce sont tous les autres qui sont morts ! s’écria Iceni. Envoyez-y un vaisseau. Je veux que les techniciens contrôlent ce portail en personne, pas à distance. Boyens est resté très longtemps à proximité. Peut-être a-t-il réussi à introduire dans son mécanisme de contrôle quelque chose qui serait responsable de ce problème.
— Théoriquement, on aurait détecté de telles interférences avec le mécanisme de contrôle, fit remarquer Togo.
— Je ne t’ai pas demandé de me faire un cours en chaire ! Selon ce qu’a découvert l’Alliance, la technologie de ces portails viendrait des Énigmas. Nous en savons beaucoup trop peu sur l’hypernet. Suis mes instructions ! » Elle se tourna vers Drakon, folle de rage. « Qu’ont encore bien pu nous faire ces salauds qui dirigent les Mondes syndiqués ? Seraient-ils en train de tout détruire autour d’eux rien que pour s’assurer de notre perte ? »
Mais Drakon ne l’écoutait pas vraiment ; il fixait son écran avec attention. Iceni réussit à maîtriser sa colère avant qu’elle n’explose. « Verriez-vous quelque chose qui m’échappe ? demanda-t-elle, les dents serrées.
— Non. » Le général secoua la tête distraitement, comme perdu dans ses pensées. « Il ne reste qu’un portail, celui de Sobek. Pourquoi Sobek ?
— J’ai déjà posé la question.
— Black Jack va donc être contraint d’y conduire sa flotte.
— Bien sûr, c’est… » Comprenant brusquement où il voulait en venir, Iceni s’interrompit à mi-phrase. « Prime veut que Black Jack passe par Sobek et uniquement par ce système.
— Ouais. » Drakon se renfrogna puis secoua la tête. « Ça expliquerait pourquoi son portail est le seul accessible : pour rentrer chez lui, Geary sera forcé d’emprunter la route que Prime veut lui voir prendre. Et, si j’ai bien compris, ça ne lui laisse pas le choix. Pour regagner l’espace de l’Alliance dans un délai raisonnable, il devra fourrer la tête dans la gueule du lion. Recourir aux points de saut sur tout le trajet exigerait trop de temps. Mais ça n’explique pas pourquoi, dans le seul but de le contraindre à passer par Sobek, Prime aurait pris la mesure extrême de détruire le reste de son réseau.
— Les Danseurs ? » À cette seule pensée, une boule de glace se forma dans l’estomac de la présidente. « Pour leur interdire d’atteindre l’espace de l’Alliance ? Cela en vaudrait-il la peine ?
— C’est possible, lâcha Drakon, plus lugubre que jamais. Le premier contact de l’homme avec une intelligence non humaine si l’on ne compte pas les Énigmas, ce dont je suis bien certain. Il n’y a jamais eu de “contact” avec eux. Que la guerre. Mais les Danseurs sont différents. Aller jusqu’à détruire les Mondes syndiqués pour empêcher l’Alliance de se lier d’amitié avec une espèce extraterrestre, voilà qui ressemblerait bien aux CECH de Prime.
— C’est une explication plausible. Mais il y a également le supercuirassé. Boyens a demandé avec insistance la permission d’y accéder, longtemps après avoir compris que Black Jack ne l’autoriserait pas à s’en approcher à moins d’une heure-lumière. Tout ce que Geary nous en a dit, c’est que ce vaisseau bof recelait potentiellement une toute nouvelle technologie et des informations sur ses constructeurs, du moins fallait-il l’espérer. Il n’en sait peut-être pas plus. Mais cette technologie est assurément d’une valeur inestimable, et Prime ne tient sûrement pas à laisser l’Alliance s’en emparer. » Iceni crispa le poing et s’en racla le front. « Mais tout cela s’inscrit dans le long terme. En revanche, à brève échéance, le contrecoup sur le commerce des Mondes syndiqués serait catastrophique. Je vois mal comment Prime aurait pu s’y résoudre. Je vais répondre à Black Jack que nous n’avons encore aucune idée de ce qui se passe, mais que nous ferons notre possible pour cerner le problème.
— Comptez-vous le prévenir pour Sobek ? interrogea Drakon.
— Est-ce vraiment nécessaire ?
— Non. Si nous avons vu le danger, vous pouvez être certaine que Black Jack l’aura vu aussi. »
Suivie de près par Togo, Iceni se dirigea vers le bureau sécurisé adjacent au centre de commandement qu’elle avait déjà utilisé récemment. « À quand remonte notre dernière occasion de vérifier que notre portail donne encore accès à d’autres systèmes que Sobek ? » lui demanda-t-elle en chemin.
Togo consulta sa tablette de données. « À deux jours. Un cargo en provenance de Nanggal.
— Rien depuis ? Inusité mais pas extraordinaire. Pas étonnant que ça nous ait surpris. »
Elle entra dans le bureau. Togo fit halte derrière elle pour s’assurer que la porte était hermétiquement scellée et elle-même jeta un coup d’œil aux diodes de son linteau, dont la lueur verte signalait que le compartiment était sécurisé ; elle atteignit la table de travail et entreprit de la contourner pour gagner son fauteuil quand…
« Fixe ! »
Togo n’utilisait ce terme et ce ton de commandement que quand le besoin s’en faisait réellement sentir.
Iceni se pétrifia si violemment qu’un de ses muscles protesta, mais elle ignora la douleur et se contraignit à ne pas broncher.
Elle vit Togo la dépasser en étudiant un de ses appareils de surveillance, en même temps qu’il dardait le regard vers la table de travail. Ses gestes se ralentirent pour devenir plus prudents et posés, et il s’agenouilla devant le bureau. Il resta quelques secondes dans cette position, secondes qui parurent bien plus longues à Iceni, laquelle s’efforçait de ne pas respirer trop fort.
Togo finit par se relever, toujours prudemment mais plus naturellement. « Une bombe, madame la présidente. Cachée sous le bureau et invisible à l’œil nu puisqu’elle est dissimulée par une pellicule très fine appliquée sous la table. Explosif directionnel. Elle vous aurait coupée en deux.