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Iceni se pointait avec deux gardes du corps, qu’elle invita à l’attendre dehors avant d’entrer. Elle regarda autour d’elle en faisant la grimace. « Je ne garde pas de très bons souvenirs de cet endroit.

— Moi non plus, convint Drakon avant de faire signe au colonel Malin de fermer la porte en sortant et de rester devant. Mais c’est le seul de la planète où nous sommes sûrs de ne trouver aucun enregistreur ni dispositif d’écoute.

— Ironique, n’est-ce pas ? » Iceni contempla un instant le bureau et le fauteuil de Hardrad, secoua la tête puis s’assit dans un des fauteuils confortables disposés autour d’une table basse dans un des angles. « Les serpents piégeaient tout sauf le bureau de leur patron.

— Leurs CECH ne veulent surtout pas qu’on sache ce qu’ils ont fait ou ordonné, commenta Drakon en prenant place dans le fauteuil opposé. Qu’est-il arrivé ? »

Elle le dévisagea quelques secondes avant de répondre. « On a voulu me tuer. Ou faire croire à une tentative d’assassinat. »

Le visage de Drakon se fit dur et glacé. « Un attentat ? Dirigé contre vous ?

— La bombe était équipée d’un détonateur biométrique. »

Le général sentit brusquement les joues lui cuire : le volcan menaçait de faire éruption sous la banquise. « Que je… Une seconde ! Vous avez dit qu’on avait cherché à faire croire à une tentative d’assassinat.

— Il se pourrait. » Iceni le scruta, mystifiée. « Vous me posez un dilemme, général. Permettez-moi d’être directe. La bombe qui me visait contenait des explosifs directionnels portant des sigles militaires.

— Quoi ? » Elle n’arrêtait pas de le noyer sous de nouvelles révélations, et il avait le plus grand mal à les digérer l’une après l’autre. « Des sigles militaires ? » Il prit brusquement conscience de ce que ça impliquait et sa colère enfla. « On a tenté de me mouiller là-dedans ? On a voulu vous faire croire que j’avais donné le feu vert ?

— Ce n’est pas le cas ?

— Non ! »

La chaleur de sa voix surprit Iceni, mais elle se borna à lui rendre son regard interrogateur. « Des gens de chez vous, peut-être ? Proches de vous ?

— Certainement pas. Vous faites allusion au colonel Morgan, j’imagine ?

— Entre autres.

— Ce n’est pas elle, poursuivit Drakon. Parce que, si ç’avait été elle, vous seriez morte. Comment a-t-on détecté la bombe ?

— Quelqu’un l’a repérée juste avant que je ne m’asseye.

— Une chance que ce quelqu’un se soit trouvé derrière le bureau. »

Iceni marqua une pause. « Pourquoi dites-vous cela ? » Sa voix lui parut à elle-même un peu trop calme et mesurée.

« Vous venez de m’apprendre qu’on s’était servi d’explosifs directionnels, expliqua Drakon. Le détonateur n’aurait scanné que la direction où les explosifs auraient frappé.

— En effet. Le détonateur ne pouvait donc être détecté que dans cette même direction ? Intéressant.

— Pourquoi ? » demanda Drakon en quêtant une réponse du regard. Elle le scruta un instant avant de parler. Le général aurait aimé pouvoir lire dans ses pensées.

Iceni eut un geste brusque qui se traduisit par l’apparition soudaine dans sa main d’une arme de poing, petite sans doute mais puissante et mortelle. « Vous êtes conscient que je pourrais vous éliminer ici et maintenant.

— Je suis conscient que vous pourriez au moins essayer. Vous devez savoir que je dispose des mêmes moyens de défense.

— Oui. » Autre tour de passe-passe et l’arme regagna sa cachette. « Pourquoi êtes-vous resté aussi impassible quand j’ai sorti mon arme ? »

Drakon pointa l’index sur le visage d’Iceni. « Ce n’est pas elle que je regardais, mais vos yeux. Quand quelqu’un a l’intention de se servir d’une arme, ça se lit avant tout dans son regard. Le vôtre ne trahissait rien de tel.

— Je vais devoir m’exercer. J’ai cru que, peut-être, vous… me faisiez confiance. L’expérience de toute une vie, à mesure que je m’élevais dans la hiérarchie syndic, m’a appris à ne me fier à personne. Il n’y a qu’un seul être à Midway dont je sois certaine qu’il n’œuvre pas contre moi. »

Drakon ébaucha un sourire, qui s’effaça dès qu’Iceni reprit la parole.

« C’est l’officier de liaison de l’Alliance. J’ai la certitude qu’elle n’est pas un serpent et qu’elle ne travaille pas pour vous ni pour aucune autre faction de ce système stellaire ou d’un système voisin.

— Selon vous, elle n’aurait pas d’autres projets ? la défia Drakon, la voix rauque.

— Je sais qu’elle en a d’autres. Mais aussi qu’ils devraient épouser les miens.

— Vraiment ? Êtes-vous prête à adopter ce suffrage libre et universel dont se targue tant l’Alliance ? »

Iceni ne répondit pas aussitôt ; elle se rejeta en arrière et se passa la main dans les cheveux en détournant le regard. « Vous avez déjà mis ce sujet sur le tapis, finit-elle par dire. Les citoyens se satisfont des quelques miettes que nous leur jetons.

— Vous avez probablement lu les mêmes rapports que moi, insista Drakon. Certains éléments sont d’ores et déjà mécontents et exigent maintenant des élections à toutes les fonctions, y compris aux vôtres. »

Les yeux d’Iceni revinrent se poser sur lui, comme pour le narguer cette fois. « Mais pas aux vôtres.

— Parce que je ne remplis pas de telles fonctions. Mais ces éléments en question attendent de moi que j’obéisse à celui qu’ils auront élu à votre poste. Je ne peux pas dire que cela m’enchante, ajouta Drakon. À un moment donné, il nous faudra affronter ces citoyens. Autrement dit, mettre de notre côté la majorité des électeurs et la majorité des élus. Pour ma part, je sais ce que cela implique. Vous aussi. Cet officier de l’Alliance ? Vraisemblablement pas. »

Iceni hocha la tête sans le quitter des yeux. « Vous avez raison. Qu’essayez-vous de me dire, Artur ?

— Que la raison pour laquelle nous avons décidé de travailler conjointement reste recevable. Si nous voulons survivre, si nous voulons gagner, nous devons travailler en équipe. » Je ne sais pas pourquoi je tiens tant à ce qu’elle s’en persuade, mais c’est le cas. Toujours est-il que c’est la vérité. Sans l’autre, chacun de nous court à sa perte.

Iceni finit par sourire. « Je tenais à vous l’entendre dire. Je suis d’accord avec vous, mais je voulais savoir si vous étiez toujours conscient de la situation que nous affrontons. Mais qui d’autre à part vous et moi ? Tous ceux qui travaillent pour nous ?

— Non. » À quoi bon tourner autour du pot ? « Pas pour moi en tout cas.

— Ni pour moi. » Elle se leva puis lui tendit la main. « Y a-t-il quelqu’un à qui vous vous fiez dans notre système stellaire ? »

Drakon dut soigneusement y réfléchir avant de répondre puis finit par se lever et serrer brièvement la main qu’on lui présentait. « Oui. »

Il savait qu’Iceni espérait en entendre davantage avant qu’ils ne gagnent tous les deux la porte, mais, encore sous le coup de sa déclaration selon laquelle elle ne pouvait se fier qu’au seul officier de liaison de l’Alliance, Drakon n’en dit pas plus.

La flotte de Black Jack avait quitté le système mais elle avait laissé à bord de la principale installation orbitale quelque chose qui requérait la présence du général Drakon en personne : les trois cent trente-trois citoyens syndics naguère capturés par l’espèce extraterrestre Énigma et qui, tous, avaient choisi de rester à Midway. Black Jack avait commencé par faire cette proposition à dix-huit seulement d’entre eux et Midway avait accepté, mais, au dernier moment, quand on les avait séparés du groupe, tous les autres avaient changé d’avis à l’unanimité. On aurait pu s’y attendre de la part de gens qui souffraient encore des séquelles d’une longue et commune détention. Mais tous étaient désormais libres et séjourneraient à Midway. Certes, ils ne savaient strictement rien des Énigmas, mais leur présence dans le système ferait figure de coup d’éclat diplomatique.