— Au nom du peuple ! » s’écria Iceni d’une voix sonore, s’attirant des applaudissements renouvelés du public tandis que les médecins entreprenaient de conduire les ex-prisonniers au bloc qui leur avait été attribué.
Une enfant qui, sans doute, n’avait jamais connu la liberté se détacha du groupe et courut à la rencontre du capitaine Bradamont. « Merci ! Merci de nous avoir sauvés ! » cria la gamine avant que sa mère ne la rattrape et ne la ramène dans la file.
Drakon tourna la tête vers Iceni et constata qu’elle souriait. Ce bref épisode ferait son petit effet dans tous les bulletins d’information comme dans les autres médias. Gwen l’aurait-elle aussi mis en scène ?
Le capitaine Bradamont suivit un instant des yeux les ex-prisonniers qui s’éloignaient puis fit de nouveau face à Drakon et Iceni. « Je suis à votre disposition. »
Elle donnait bien le change, Drakon devait lui reconnaître au moins ça. Mais cette impavidité de façade n’en cachait pas moins de la nervosité.
« C’est ce que j’ai cru comprendre, dit-il. Venez. Vos bagages suivront plus tard. »
Flanquant Bradamont, Iceni et lui entreprirent de se diriger vers l’aire d’embarquement des VIP. Ça faisait tout drôle de marcher côte à côte avec un officier de l’Alliance. Étrange sensation. À mesure qu’ils progressaient, des soldats formaient devant et derrière eux un cordon de sécurité, en même temps que plusieurs hommes et femmes en civil dont irradiait une aura de dangereuse compétence, qui restaient à l’écart mais semblaient extraordinairement vigilants.
« Mon service est en train d’émettre une annonce publique vous concernant, capitaine Bradamont, déclara Iceni. Tout le monde à Midway saura que vous êtes en poste ici pour représenter personnellement Black Jack. Connaissez-vous le terme “filleul”. »
Bradamont secoua la tête.
« Il existe plusieurs sortes de parrainage dans le système syndic, expliqua Iceni. Nous continuons de nous rapporter à ce système. Les gens raisonnent encore en ces termes et les comprennent. La plupart de ces arrangements sont informels et reflètent les divers degrés d’intérêt que porte un subordonné à son avancement dans sa carrière et sa vie.
— Jusque-là, je comprends, déclara Bradamont.
— Et il y a les filleuls, poursuivit Iceni. Un filleul est le fruit d’un parrainage formel, officialisé. Lorsqu’un individu est désigné comme le filleul d’un personnage de haut rang, cela signifie que tout ce qui lui arrive arrive aussi à son parrain, que toute menace qui lui est faite équivaut à une menace faite à son parrain. Mon service vous désigne à l’attention de tous nos concitoyens comme la filleule de Black Jack, sa protégée et celle du général Drakon et de moi-même. »
Elle adressa à Bradamont un regard désabusé. « Jamais une filleule n’a sans doute disposé d’autant de pouvoir. Félicitations.
— Merci, mais ce n’était pas nécessaire…
— Oh que si, affirma Drakon. Chacun devait savoir que toute tentative pour vous nuire ou vous maltraiter sera regardée comme une attaque personnelle contre moi ou la présidente Iceni. Cela ne vous mettra sans doute pas à l’abri de tout tireur cherchant à vous éliminer, mais au moins de ceux qui seraient tentés de régler des comptes avec l’Alliance.
— En même temps que vous aurez la certitude d’être traitée en fonction de votre rang, ajouta Iceni. Quiconque vous insultera nous aura aussi insultés. » Elle sortit une unité de com et la tendit à Bradamont. « Pour vous. Elle contient les numéros personnels du général Drakon, de moi-même et de quelques-uns de nos assistants de confiance. Si vous vous en servez pour appeler un de ces numéros officiels, la conversation sera automatiquement encodée. Ça ne veut pas dire qu’on ne pourra pas intercepter le signal ni le déchiffrer. Ne dites jamais rien de confidentiel en public ni dans cette unité de com. Réservez cela aux tête-à-tête en environnement sécurisé.
— Nous vous avons installé des quartiers dans mon QG, reprit Drakon. Le complexe dispose d’une suite réservée aux VIP en visite. Elle est sans doute plus luxueuse que ce à quoi un officier de votre rang aurait normalement droit, mais vous êtes également une sorte d’ambassadeur. Que vous séjourniez à l’intérieur de ce périmètre nous facilitera amplement la tâche d’assurer votre sécurité. »
Bradamont se contenta cette fois d’opiner, tout en observant les gardes civils et les militaires qui les entouraient. On ne pouvait deviner ses pensées à sa seule expression, mais Drakon se surprit à se demander si des dirigeants de l’Alliance avaient droit à autant de gardes et de mesures de sécurité. Probablement. Le Syndicat n’a pas le monopole des timbrés. Mais, pour quelqu’un comme Bradamont, qui se situe à un échelon bien inférieur, un tel niveau de sécurité doit faire un drôle d’effet.
Ils avaient atteint l’accès à la soute des VIP et semé la majeure partie des gardes et la totalité des badauds en quittant le secteur grand public. « Quelles sont vos impressions de la kommodore Marphissa ? demanda la présidente au capitaine Bradamont.
— Elle est talentueuse et elle présente un très gros potentiel, répondit celle-ci sans l’ombre d’une hésitation. C’est vrai, elle manque encore un peu d’expérience, si l’on tient compte de son rapide avancement, mais je ne doute pas qu’elle se rattrapera très vite.
— J’ai cru comprendre que vous aviez assisté à la destitution du kapitan Toirac ?
— En effet.
— Quel effet vous a fait le kapitan ? »
Cette fois, Bradamont marqua une pause avant de répondre. Chaque mot cachait comme une arrière-pensée. « Il a été promu à un grade trop élevé pour ses compétences. Il est incapable d’assumer les devoirs de cette charge. Tout comme, d’ailleurs, de reconnaître ses faiblesses. Et le voilà à présent si rempli d’amertume que j’hésiterais à lui confier un poste de responsabilité.
— Je vois. » Iceni s’arrêta, contraignant ses deux compagnons à faire halte eux aussi, et elle scruta Bradamont. « En avez-vous discuté avec la kommodore Marphissa ?
— Oui, madame la présidente.
— Et le kapitan-levtenant Kontos ? Qu’en pensez-vous ? »
Bradamont eut un léger sourire. « Il est impressionnant. Il lui reste encore beaucoup à apprendre, mais je suis bien certaine qu’il s’instruira très vite. C’est une nature. Ce que j’ai vu de plus proche d’une nature, en tout cas.
— Une nature ? s’enquit Iceni.
— Quelqu’un qui comprend instinctivement ce qu’il faut faire et comment s’y prendre, répondit Drakon à sa place. C’est aussi l’opinion que se fait de lui le colonel Rogero. »
Bradamont était restée impassible quand Drakon avait prononcé ce dernier nom, mais son regard s’était reporté sur le général.
Iceni l’avait remarqué. Elle arqua un sourcil à l’intention de Drakon. « Je vais vous abandonner ici, capitaine Bradamont. Le général et moi-même devons emprunter des navettes différentes pour des raisons de sécurité. La kommodore Marphissa m’a fait une requête relative à une mission des plus périlleuses. J’aimerais en débattre avec vous le plus tôt possible. Vous devrez également assister à cette réunion, général. La mission en question exigera l’appui de forces terrestres.
— Oui, renchérit Bradamont. Moi aussi, je tiens à en discuter le plus vite possible. Mais, maintenant que l’hypernet syndic est HS, il me semble que ce n’est plus jouable.
— Vous n’êtes donc pas au courant ? Un cargo est arrivé il y a quelques heures par notre portail. Tout fonctionne de nouveau normalement. »
Bradamont fixa Iceni. « Vous… Les Mondes syndiqués seraient donc capables de bloquer leur réseau de manière sélective…