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Une heure avant d’atteindre le point de saut pour Atalia, elle revint sur la passerelle du Manticore, consciente de sa mine défaite et de son humeur exécrable. « Aucune réponse des serpents ? demanda-t-elle à Diaz.

— Aucune, kommodore. » Diaz se frotta les yeux avec lassitude puis plaqua à son bras un de ces patchs stimulants que tout le monde appelait un « remontant ». « Aucune. »

Marphissa chercha à se rappeler la dernière fois où elle était montée sur la passerelle sans y trouver Diaz. Le kapitan était manifestement resté à son poste durant tout le transit. « Aucun signe non plus d’une alerte dans le système stellaire ? insista-t-elle. Pas trace d’une réaction ? Pas de vaisseaux hyper rapides fonçant brusquement vers le portail de l’hypernet comme s’ils étaient chargés d’un message urgent ?

— Non, kommodore. »

Que fabriquent-ils ? Marphissa fixa son écran d’un œil noir. Les serpents doivent à tout le moins nourrir des soupçons. Sont-ils en train de nous tendre un piège ? D’attendre le feu vert d’un CECH qui aurait strictement interdit qu’on le réveille à moins que Black Jack en personne et toute sa flotte ne fassent irruption dans le système ? « Poursuivons. Cap sur le point de saut et Atalia, quoi qu’il arrive dorénavant. »

À sa grande surprise, l’atmosphère parut considérablement se détendre sur la passerelle. Elle adressa à Diaz un regard inquisiteur.

« C’est cette incertitude, répondit-il à voix basse. Elle nous rend tous cinglés. Mais vous venez à l’instant de leur donner des assurances : nous continuons. Ils savent maintenant ce qui va suivre.

— Au moins dans l’heure qui vient, grommela-t-elle. Après, qui peut savoir ?

— Ça pourrait être pire. On pourrait porter encore le complet syndic, et un serpent prêter l’oreille à nos moindres paroles depuis le fond de la passerelle. » Il s’interrompit, en même temps que son visage se crispait. « Ça ferait vraiment suer !

— N’auriez-vous pas pris trop de médocs ? demanda Marphissa.

— Peut-être. » Diaz se renversa pour fixer le plafond. « Je n’aime pas Indras, il me semble. Ce serait sympa, non, si nous disposions d’un grand écran en surplomb qui nous montrerait les étoiles, un peu comme si nous étions de l’autre côté de la coque ou derrière une baie vitrée ?

— Kapitan Diaz, vous avez l’ordre de confier la passerelle à un autre officier dès que nous sauterons pour Atalia, de regagner votre cabine, de vous poser un patch de somnifère et de dormir au moins huit heures. Est-ce bien entendu ?

— Euh… Oui, kommodore.

— Je sais que vous vous sentez responsable de ce vaisseau parce que vous êtes son commandant, mais, à moins qu’il n’y ait pas d’autre choix, il ne sert à rien de rester à votre poste jusqu’à ce que vous soyez à moitié déconnecté de la réalité. Il faut au contraire que vous soyez assez dispos pour prendre les décisions correctes et être au mieux de votre forme au moment critique. Et, oui, je suis également consciente d’avoir moi-même piètrement réagi au cours des dernières heures. Je compte bien aller moi aussi me coucher dès notre entrée dans l’espace du saut.

— Arrivée d’un message, rapporta le technicien des trans. L’encryptage correspond à celui des serpents. Le même dont nous nous sommes servis. »

Marphissa ferma les yeux et expira lentement pour se calmer. « Que dit-il ? demanda-t-elle.

— “Nous comprenons”… C’est tout.

— Quoi ? Quoi exactement ?

— Ça s’arrête là, kommodore. C’est tout le message. Nous comprenons. »

Diaz se redressa pour fusiller le technicien du regard. « Sommes-nous certains qu’aucun virus, logiciel malveillant ou cheval de Troie n’était attaché à ce message ?

— Aucun, kapitan. Il n’y a pas de pièce jointe et il est trop peu volumineux pour contenir un logiciel hostile. Rien qu’un en-tête et ces deux mots. »

Marphissa exhala de nouveau, plus pesamment cette fois. « Ils savent. Ils jouent avec nous. Ils ont compris que nous ne sommes pas ce que nous prétendons. Mais ils ne savent sans doute pas qui nous sommes. Peut-être espèrent-ils que ce message nous incitera à le leur révéler, en insinuant qu’ils en savent plus long qu’ils ne le croient.

— Une vieille ruse du SSI, convint Diaz.

— Et ils ignorent aussi pour quelle raison nous nous rendons à Atalia. Ils ne se doutent pas un instant que nous comptons gagner ensuite l’espace de l’Alliance, je parierais ma vie là-dessus. Ils ont probablement des agents qui travaillent en sous-main à Atalia, et ils trouveront le moyen d’obtenir d’eux qu’ils les informent de nos activités sur place. » Elle tourna vers Diaz un regard triomphant. « Mais, si les informations du capitaine Bradamont sont encore pertinentes, nous y disposerons d’une puissance de feu supérieure à tout ce qu’on pourrait nous opposer, et nous pourrons donc interdire à quiconque de quitter Atalia pour Indras, du moins jusqu’à ce que les cargos soient revenus de Varandal et que nous ayons sauté. Les serpents n’apprendront ce que nous mijotions qu’à notre retour à Indras, et il sera alors trop tard pour nous en empêcher. »

J’espère, en tout cas.

Quarante minutes plus tard, la flottille de récupération atteignait le point de saut. « À toutes les unités, sautez ! » ordonna Marphissa. C’est à peine si elle ressentit l’espèce de secousse électrique qu’imprime au cerveau l’entrée dans l’espace du saut, si elle remarqua qu’à la noirceur constellée de l’espace conventionnel se substituait sa sempiternelle et uniforme grisaille, et si elle nota au passage qu’une des étranges lueurs, toujours inexpliquées, qui s’y allument et s’y éteignent aléatoirement s’était épanouie sur le flanc même du Manticore. « Je vais aller dormir un peu. Et vous aussi, kapitan Diaz. Veillez à ce qu’on me prévienne en cas d’urgence », ajouta-t-elle à l’intention du technicien des opérations avant de quitter la passerelle pour gagner sa cabine.

Il leur fallait traverser Kalixa pour gagner Atalia. Kalixa avait été naguère un système passablement opulent, hérissé de défenses et hébergeant une population de plusieurs millions d’âmes.

Puis les Énigmas avaient provoqué l’effondrement de son portail dans l’espoir de déclencher une escalade de représailles entre l’Alliance et les Mondes syndiqués.

« Il n’en reste rien, souffla le kapitan Diaz, sidéré, en contemplant les vestiges calcinés du système stellaire. L’étoile elle-même est devenue instable.

— On aperçoit encore des ruines sur ce qui était jadis la seule planète habitable, ajouta sombrement Marphissa. La couche d’atmosphère n’est plus assez dense pour nous les cacher. Si le plan des Énigmas avait réussi, nombre de systèmes appartenant à l’Alliance ou aux Mondes syndiqués seraient maintenant dans le même état. »

On ne pouvait pas, avec les cargos, traverser précipitamment Kalixa, mais au moins couvrit-on aussi vite que possible la distance séparant la flottille du point de saut ; tous poussèrent un soupir de soulagement lorsque la grisaille de l’espace du saut succéda enfin aux vestiges de ce système.

Les informations du capitaine Bradamont relatives à Atalia étaient toujours pertinentes.

Marphissa se détendit en voyant son écran se remettre à jour pour lui offrir le spectacle d’un unique aviso orbitant près de la principale planète habitée du système, tandis qu’une estafette isolée de l’Alliance stationnait à proximité du point de saut pour Varandal. Émerger de l’angoissant et floconneux isolement de l’espace du saut pour retrouver un espace conventionnel à nouveau constellé d’étoiles scintillantes est toujours un soulagement. Mais un répit auquel l’anxiété apporte une certaine tension : qu’est-ce qui les guettait au sortir du point de saut ?