Выбрать главу

Le colonel Rogero écouta attentivement les conversations qui se tenaient autour de lui durant les quatre jours de transit par l’espace du saut nécessaires d’Atalia à Varandal. Il chercha bien à parler de la technologie du saut avec les patrons des cargos, mais ceux-ci ne connaissaient pas grand-chose de la théorie qui la sous-tendait ni même des sauts eux-mêmes. C’étaient des gens prosaïques, qui savaient sans doute tenir leur matériel en état de fonctionner et connaissaient ses capacités, mais ils ignoraient si l’espace du saut différait réellement de l’univers normal, pourquoi étoiles et planètes ne s’y étaient jamais formées et pourquoi les distances y étaient beaucoup plus courtes. Ils se contentaient de le traverser pour gagner du temps, sans chercher plus loin.

Les effectifs de ses forces terrestres n’étaient pas très élevés sur chaque cargo : à peine un peloton. Il fallait en effet garder autant de place disponible que possible pour y installer plus tard les prisonniers libérés. Les soldats de Rogero se méfiaient de Bradamont, mais, conscients qu’elle avait été affectée à cette mission par le général Drakon en personne, ils étaient enclins à tolérer à leur bord la singulière présence d’un officier de l’Alliance en liberté.

Elle s’était d’ailleurs débrouillée pour dévoiler « accidentellement » devant certains d’entre eux le tatouage syndic, encore visible sur son bras, qui trahissait sa détention dans un camp de travail. Quiconque était passé par là et y avait survécu se gagnait automatiquement un fort capital de sympathie de la part de soldats qui, comme ceux de Rogero, avaient vécu sous le Syndicat.

Mais cette longue attente touchait maintenant à sa fin. Rogero avait accompagné Bradamont jusqu’à la passerelle étriquée du cargo, où son patron attendait leur émergence de l’espace du saut avec une anxiété mal dissimulée.

« Ils ne vont pas tirer ? demanda-t-il pour la troisième fois à Bradamont, bien qu’elle lui eût déjà répondu à deux reprises par la négative.

— Probablement pas. » Elle n’avait d’ailleurs pas l’air de s’en inquiéter. « S’ils en décident autrement, nous pourrons sans doute gagner le module de survie avant l’explosion du cargo. On n’y entrera pas tous, alors j’espère que vous courez vite. »

Derrière le patron, Rogero adressa un grand sourire à Bradamont, mais elle resta de marbre.

L’irruption du cargo hors de l’espace du saut coupa le sifflet à son patron, si toutefois il avait l’esprit de l’escalier.

Deux destroyers de l’Alliance guettaient à cinq secondes-lumière du point de saut.

Rogero retint son souffle ; affûté par une existence entière consacrée à guerroyer, son instinct le prévenait d’un danger sérieux.

Mais Bradamont pointa l’émetteur du cargo de l’index en lui adressant une mimique d’encouragement. Très bien. Voyons un peu si je sais causer aux gens de l’Alliance. « Ici le colonel Rogero du système stellaire indépendant de Midway. Nous venons en paix, à l’invitation de l’amiral Geary, pour récupérer les prisonniers de guerre appartenant à la flottille de réserve du Syndicat. Veuillez, je vous prie, prévenir l’amiral Timbal que nous détenons des informations relatives à l’amiral Geary et au succès de son expédition, et que nous aimerions nous entretenir avec lui. »

Bradamont le mit en garde d’un geste discret de la main et il réussit à s’abstenir de prononcer les mots par lesquels il comptait conclure son laïus. Il se contenta donc de : « Rogero, terminé.

— J’aurais dû vous avertir plus tôt, dit-elle. Un “Au nom du peuple” vous aurait désigné comme Syndic.

— Ils nous classent probablement parmi les fidèles du Syndicat de toute façon, fit remarquer le colonel. Mais, avec un peu de chance, ces informations sur Black Jack auront assez éveillé leur curiosité pour les retenir de nous détruire.

— Ils savent que l’amiral Timbal au moins voudra en prendre connaissance. Et ils ne tiennent pas à le mettre en colère. »

Rogero regarda l’écran relativement limité du cargo se remettre à jour et afficher précipitamment la liste apparemment interminable d’une multitude de vaisseaux de guerre, bâtiments auxiliaires, appareils civils, stations de radoub et autres installations défensives. « Black Jack n’est même pas encore là, murmura-t-il. Et regardez-moi toute cette ferraille. »

Bradamont avait entendu. « Il n’y a pas beaucoup de vaisseaux de guerre et ce sont au mieux des croiseurs.

— Bien assez gros pour nous inquiéter », grommela le patron du cargo.

Moins de trente secondes s’écoulèrent avant qu’une réponse ne leur parvînt d’un des destroyers.

« Ici le lieutenant Baader, commandant du destroyer de l’Alliance Saï. Nous ignorons encore votre statut et votre allégeance, colonel Rogero. Votre vaisseau et vous-même nous faites l’effet de Syndics. »

Bradamont l’encouragea du geste et le colonel tapota de nouveau ses commandes. « Je suis un colonel des forces terrestres du système stellaire libre et indépendant de Midway. Mon allégeance va à notre présidente, Gwen Iceni, et au général Drakon. Nous ne sommes plus soumis au Syndicat. Il est désormais notre ennemi. Nous sommes en paix avec l’Alliance et nous avons combattu côte à côte avec votre amiral Geary à Midway. »

Cette fois, il se passa près d’une minute avant que l’image du lieutenant Baader ne réapparaisse à l’écran. « Nous avons transmis votre message à l’amiral Timbal, colonel Rogero. Vos cargos devront rester sur cette orbite jusqu’à ce que nous ayons reçu l’autorisation de vous laisser avancer.

— Devons-nous encore attendre ? s’enquit Rogero.

— En effet, répondit Bradamont. Ils ont repassé la patate chaude à leurs supérieurs. C’est sûrement ce qu’ils avaient de mieux à faire. »

La lumière traversa en rampant, aller puis retour, les énormes distances séparant les vaisseaux de l’Alliance de la massive installation orbitale hébergeant le QG de l’amiral Timbal. Arraché à un sommeil agité par le patron du cargo, Rogero regagna la passerelle après avoir embarqué Bradamont au passage.

« Ici l’amiral Timbal. » Timbal semblait à la fois pensif et méfiant, ce qui parut un bon signe à Rogero. « Nous serons naturellement très heureux de rapatrier les prisonniers syndics encore détenus chez nous, et plus encore les représentants d’un système stellaire qui a rejeté le joug du Syndicat. Mais, à la lumière du passé commun de nos deux peuples, c’est là une question délicate. Je vais devoir demander conseil aux autorités supérieures. Vos vaisseaux devront patienter jusqu’à ce que je reçoive une réponse, qui pourrait exiger un délai d’au moins deux semaines. »

Rogero se tourna vers le capitaine Bradamont, qui fit la grimace. « C’est le pire des scénarios, admit-elle. Mais nous disposons au moins, à présent, de l’identité d’un interlocuteur à qui répondre. L’équipement de ce cargo peut-il émettre sur un faisceau étroit sécurisé, réservé à son seul destinataire ?

— Il ne le pouvait pas avant, mais nous avons procédé à quelques améliorations avant la mission pour Taroa, répondit Rogero. Son matériel de transmission n’est pas standard. Mais, pour recourir à cet équipement modernisé, nous devons nous rendre dans un compartiment spécialement aménagé à cet effet. »

Il prit la tête pour la guider dans les coursives du cargo, pratiquement désertes à cette heure, jusqu’à une écoutille ouvrant sur un petit compartiment. L’odeur qui régnait à l’intérieur trahissait encore sa destination précédente : il servait naguère à stocker patates et oignons. Un soldat de Rogero montait la garde devant l’équipement qui, pourtant, ne risquait guère de recevoir des transmissions visant ses paramètres actuels. « Comptez-vous l’envoyer en clair ? » demanda Rogero à Bradamont.